Un rapport cerne les “manquements majeurs” à l’origine du drame de la rue d’Aubagne

Décryptage
le 10 Juil 2020
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Le rapport remis aux juges d'instruction en charge de l'information judiciaire sur les effondrements de la rue d'Aubagne permet de souligner les premières responsabilités. Deux experts, les services de la Ville et Marseille habitat sont ainsi pointés pour leurs "manquements graves".

Les pouvoirs publics souhaitent racheter les immeubles du haut de la rue pour prendre en main la rénovation. (Photo JV)
Les pouvoirs publics souhaitent racheter les immeubles du haut de la rue pour prendre en main la rénovation. (Photo JV)

Les pouvoirs publics souhaitent racheter les immeubles du haut de la rue pour prendre en main la rénovation. (Photo JV)

Le rapport est épais, parfois âpre en ce qu’il décrit, mais ses deux rédacteurs font montre de pédagogie. Les experts judiciaires, Fabrice Mazaud et Henri de Lépinay, répètent, soulignent, illustrent et mettent du gras dans leurs polices pour exposer le plus clairement possible les causes probables des effondrements de la rue d’Aubagne. Leur rapport, dont Le Monde a révélé la teneur et que nous avons consulté, décrit avec le même soin les manquements qui les ont rendus inéluctables.

Depuis le 17 juin, le juge Matthieu Grand a donc désormais de quoi guider ses prochaines auditions et déterminer d’éventuelles mises en examen. L’information judiciaire est ouverte pour “homicides involontaires” aggravés “par violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité”. Le rapport des deux hommes de l’art éclaire sur 15 pages les manquements “comme autant d’occasions manquées de prévenir le sinistre”. Ces manquements pourraient déboucher sur d’éventuelles mises en cause pénales. Aujourd’hui, seuls deux experts qui sont intervenus au n°65 sont placés sous le statut de témoins assistés. Ce statut devrait rapidement évoluer vers une mise en examen si les juges suivent l’avis des deux experts.

Les manquements majeurs de Richard Carta

Le premier d’entre eux est Richard Carta. Expert reconnu auprès du tribunal administratif, il est intervenu le 18 octobre 2018 pour une suspicion de péril grave et imminent au 65, rue d’Aubagne. À lire ses confrères, dès le début de cette mission, Richard Carta prend des décisions qui, a posteriori, ont contribué à accélérer les désordres structurels et leur conséquence funeste.

Selon ses dires en auditions, il n’a pas visité la cave, ni une grande partie de l’immeuble et n’a donc pas entendu “les signalements des occupants”. Il n’a pas plus visité les deux immeubles voisins aux destins pourtant liés. Les experts judiciaires considèrent comme “un manquement majeur” les travaux que ce même expert préconise pour mettre fin au péril. La réalisation d’un nouveau mur et la mise en place d’un étaiement ont contribué à aggraver le poids porté sur la dalle du rez-de-chaussée. Or, celle-ci reposait en partie sur un pilier en cours de désagrégation. Comme il méconnaissait les problèmes rencontrés dans les appartements des étages au-dessus, il n’a pu anticiper la chaîne de causalités qui a débouché sur l’effondrement de l’immeuble et des adjacents.

Pire, le 18 octobre, son rapport prévoit l’évacuation d’un seul habitant, au premier étage. Lors de son audition par les juges, “Richard Carta affirme qu’il a verbalement donné des instructions claires pour que l’ensemble des occupants de l’immeuble soit évacué”, lit-on dans le rapport. Une affirmation battue en brèche par le directeur du service de prévention des risques présent sur place, qui déclare en audition : “Après expertise, les occupants ont eu l’autorisation de réintégrer, c’était fait de manière verbale”. Une réintégration logique, selon lui, puisque Richard Carta n’a pas prononcé d’interdiction d’occuper. ni les services de la Ville, ni l’expert n’ont pris en compte les nombreux signalements des occupants qui vivaient dans l’effroi.

Les manquements majeurs de Reynald Filipputti

Le second expert mis en cause par le rapport du 17 juin 2020 est sans doute l’homme qui connaît le mieux la problématique de ces immeubles avant leur effondrement. Il s’agit de Reynald Filipputti, expert nommé par le tribunal administratif en 2014 dans le cadre du différend entre le propriétaire du 67, ceux du 65 et par ricochet du 63.

À de nombreuses reprises, les deux experts mandatés par le juge d’instruction mettent en doute les conclusions de leur confrère sur l’origine des désordres de l’immeuble. Surtout, ils pointent comme “un manquement majeur” l’attitude de Reynald Filipputti et de l’ensemble des “participants sachants” présents lors d’une réunion sur les lieux, le 25 octobre 2018. Tous se rendent dans la cave du 65, parfaitement éclairée par des spots de chantier. Ils ne réagissent pas aux alarmes d’un représentant d’une propriétaire qui pointe l’état d’un “poteau de structure très fortement et très visiblement dégradé”. Ils ne réagissent pas plus quand ce même quidam pointe le mur en partie effondré et humide qui sépare cette cave de celle du 63.

Les manquements majeurs de la Ville

Reynald Filipputti est aussi un lanceur d’alerte. Dès décembre 2014, il prévient le service de prévention et de gestion des risques de l’état de l’immeuble. Pour la mairie, “les infiltrations d’eau, de fissurations de façades ou de problématiques d’affaissements [sont] suivis”. Le 25 octobre 2017, rebelote. Cette fois-ci, Reynald Filipputti prend soin de joindre à son signalement le rapport du cabinet Betex sur l’état du mur porteur entre les 65 et 67. Le même technicien est envoyé sur place. Il saisit le syndic mais aucune mesure de péril n’est mise en place.

Un an plus tard, la Ville ne réagit pas plus lorsqu’une voisine alerte la maire de secteur après avoir constaté que des débris de pierre se détachent de l’entrée du 67. Or, selon les experts, cette fracturation a “contribué à l’effondrement soudain des façades”. Sabine Bernasconi répond à l’administrée avoir saisi Julien Ruas, l’adjoint à la prévention des risques urbains. Les suites de ce signalement restent inconnues.

Le manquement majeur de Marseille Habitat

Lors de la conférence de presse qui a précédé les effondrements, l’élu au logement et présidente de Marseille Habitat, Arlette Fructus brandissait des photocopies couleur d’une image satellite du toit de l’immeuble 63 dont la société d’économie mixte était propriétaire. Elle entendait prouver que le toit était intact contrairement à ce qu’avait écrit la presse, à la suite des effondrements.

Le rapport de Fabrice Mazaud et Henri de Lépinay permet d’établir en quoi, elle a menti. Tout d’abord, une ouverture présente sur le toit était à ciel ouvert, permettant aux eaux de pluie de ruisseler à l’intérieur. Surtout, pendant 17 mois, la société Marseille Habitat a laissé “les eaux de pluies stagner et ruisseler sur les sols après la démolition de la maison en fond de parcelle”.

En effet, si le toit du 63 apparaissait intact, il n’en allait pas de même pour la maison située en fond de parcelle. Au printemps 2017, Marseille Habitat entreprend de démonter cette maisonnette. À cet endroit, désormais, rien ne protège les murs et le sol du ruissellement des eaux et du risque qu’elles font courir à des murs anciens. Il faut attendre le 22 octobre 2018, pour qu’une société soit mandatée pour installer une rigole, censée canaliser ces eaux. Le 25 octobre, un imposant cortège de propriétaires et d’experts visitent les lieux. Ce jour-là, ils constatent que le mur qui sépare cet immeuble du 65 est gonflé. Comme celui qui sépare 65 du 67. Aucun d’eux ne tirera de conséquence de cette découverte majeure.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    Je sens que cela va être la faute de Gaston DEFFERRE !

    Signaler

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