Un capitaine risque une forte amende pour avoir pollué la mer avec ses filtres à air

Actualité
le 3 Sep 2024
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Le tribunal correctionnel de Marseille s'est penché sur un usage abusif de "scrubbers", ces filtres à particules utilisés par les navires pour limiter la pollution atmosphérique, mais qui rejettent leurs déchets en mer. Le parquet a requis 50 000 euros d'amende.

Grand port maritime de Marseille-Fos. (Photo : VA)
Grand port maritime de Marseille-Fos. (Photo : VA)

Grand port maritime de Marseille-Fos. (Photo : VA)

Une amende de 50 000 euros, c’est ce que le parquet de Marseille a requis ce lundi à l’encontre d’un capitaine philippin jugé pour “pollution de la mer territoriale”. Cette amende n’est pas loin d’être inédite, dans une affaire qui pourrait faire date et où il est question de “scrubbers”. Ces filtres, utilisés aujourd’hui par près de 4 000 navires dans le monde, permettent de diminuer les émissions atmosphériques, notamment en particules fines. Problème : ces rejets sont ensuite déversés dans la mer.

Ce lundi 2 septembre, la 6e chambre du tribunal correctionnel de Marseille entame sa rentrée avec une audience consacrée aux dossiers environnementaux. Dans l’affaire des scrubbers, le navire qui nous intéresse s’appelle le Seaforce. Il est domicilié à Malte pour le compte d’un armateur grec. En mars 2023, le navire fait l’objet d’un contrôle de la gendarmerie alors qu’il s’apprête à décharger une cargaison de charbon dans le port de Fos-sur-Mer. Les autorités découvrent alors que le navire a déversé plus d’un million de litres d’eau polluée à proximité des quais.

L’usage de scrubbers est bien autorisé, mais réglementé. En l’occurrence, depuis janvier 2022, ces filtres ne doivent pas fonctionner en “open loop”, c’est-à-dire en “boucle ouverte”, à moins de trois miles des côtes. Ils doivent en effet passer en “boucle fermée”, où les déchets ne sont pas évacués par l’eau de lavage, mais conservés à bord. L’objectif est simple : ne pas reverser ces eaux polluées ailleurs qu’en haute mer, pour en limiter l’impact environnemental. C’est le “paradoxe des scrubbers” : si ces derniers limitent la pollution atmosphérique, ils la répercutent dans le milieu aquatique.

Le capitaine jugé sans l’armateur

Ce dossier assez technique avait fait l’objet d’un premier procès en novembre 2023. Mais lors de cette audience, le procureur Michel Sastre avait demandé à requalifier les faits, pour que l’impact environnemental de l’infraction soit davantage pris en compte. Cette requalification permet aussi à la justice de prononcer une amende plus lourde. En l’occurrence, “sur la pollution atmosphérique, la jurisprudence oscille entre 80 000 et 150 000 euros d’amende. Sur la pollution aquatique, c’est plus difficile à apprécier, car on est vraiment au début de tout”, explique le procureur Michel Sastre ce lundi.

Quoi qu’il en soit, il est impossible de chiffrer précisément l’impact environnemental causé par les rejets du Seaforce. Les magistrats essayent plutôt d’estimer s’il y a, ou non, intentionnalité de la part du capitaine. Ce professionnel philippin, qui comptabilise plus de vingt ans de carrière, a expliqué sa version au cours de l’enquête. Il a soutenu avoir bien ordonné à son chef mécanicien de passer les filtres en “boucle fermée” à l’approche des côtes. Ce que ce dernier n’a pas fait.

“Dans tous les dossiers qui arrivent ici, on est toujours face à des capitaines qui s’excusent de leurs négligences en disant qu’ils sont débordés”, note avec cynisme le procureur. Une défense peu entendable selon Pascal Giano, chef du centre de sécurité des navires de Marseille, appelé en tant qu’expert pour répondre aux interrogations des magistrats. “Aujourd’hui, la législation est bien connue. Il y a la peur du gendarme”, assure-t-il. Et ajoute : “Je connais beaucoup de sociétés françaises où la maintenance des scrubbers est parfaitement maîtrisée. Sur les gros bateaux de croisière qui accostent chez nous aujourd’hui par exemple, on voit toujours un officier dédié aux scrubbers.”

Ce qui n’était pas le cas pour le Seaforce. Et qui inspire une remarque à l’expert Pascal Giano : “C’est aux armateurs de s’assurer que l’équipe à bord a les moyens de maîtriser l’usage des scrubbers.” En l’occurrence, pour le Seaforce, l’armateur n’a pas été poursuivi.

Avantage économique

“Le fioul qu’utilisent les navires, même lorsqu’il respecte la réglementation, reste 100 fois plus polluant que le diesel. La philosophie des scrubbers, c’est dire qu’au lieu de polluer l’air, on va polluer la mer”, dénonce Isabelle Vergnoux, avocate de l’Association de protection des animaux sauvages (Aspa), l’une des cinq associations parties civiles. “Dans quelques années, les scrubbers en boucle ouverte disparaîtront”, prophétise-t-elle. Avant de rappeler que ces eaux ainsi déversées sont chargées en métaux lourds et hydrocarbures, ont des effets néfastes sur la faune marine, et contribuent à leur échelle à augmenter la température des océans.

Pour l’avocate de France nature environnement (FNE), les motivations du capitaine du Seaforce étaient claires : “Il y a un avantage économique absolument énorme.” En effet, l’usage d’un scrubber évite au navire d’utiliser un carburant moins chargé en soufre, puisque le soufre en question est alors filtré. Cette “démarche économique” ne fait aucun doute aux yeux du procureur Michel Sastre. “À l’approche des côtes, plus on repousse l’arrêt d’un scrubber, plus on repousse l’usage d’un carburant vertueux”, résume-t-il. Le magistrat rappelle que les faits ont eu lieu dans “une zone biologiquement très fragile, une zone de pêche, qui permet de nourrir la population”.

En défense, l’avocate du capitaine demande la relaxe. “J’ai l’impression qu’on confond le procès de mon client avec le procès du fret maritime en général”, accuse-t-elle. De plus, selon cette dernière, un “vide juridique” subsiste autour de la réglementation des déchets des scrubbers : “On ne se base pas sur une loi, mais sur un simple décret ministériel”, estime-t-elle. Cela n’empêche pas, à entendre l’expert Pascal Giano, l’immense majorité des navires de respecter cette réglementation. Un peu moins de 200 bateaux sont ainsi contrôlés à Fos-sur-Mer chaque année. Pour ce qui est du Seaforce, le délibéré est fixé au 21 octobre.

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Commentaires

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  1. Pussaloreille Pussaloreille

    Y a de l’info, et très interessante ! Merci pour cet article.

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  2. Patafanari Patafanari

    « … note avec cynisme le procureur. ». La rédactrice de l’article a sans doute confondu cynisme avec scepticisme.

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  3. mrmiolito mrmiolito

    Ce qui est marrant c’est qu’on reproche au navire d’avoir déversé ses déchets liquides… au mauvais endroit, dans les eaux territoriales. à un mile nautique de là, tu déverses ce que tu veux, pas de problèmes !
    Essayons juste d’imaginer ça à terre (… où fort heureusement, chaque mètre carré du territoire appartient, au minimum, à une commune)
    Je pense que la Mer, elle, elle s’en fout, et qu’elle voudrait juste qu’on interdise cette technologie de boucles ouvertes une bonne fois… sur terre on a tous les outils pour traiter des déchets liquides toxiques, si on s’en donne les moyens.

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    • Alceste. Alceste.

      La Mer souhaite aussi sans doute que la station d’épuration de Marseille épure aussi les eaux marseillaises.

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