The Camp, un pari privé… et public
The Camp, le campus nouvelle génération inauguré ce jeudi soir dans l'Arbois, repose sur un modèle financier dans lequel les collectivités locales ont accepté de prêter 21 millions d'euros aux côtés d'entreprises privées. De leur côté, les porteurs du projet ne livrent que peu de détails sur le modèle économique qui permettra de rembourser ces dettes.
Image de synthèse du cabinet d'architecte Vezzoni et associés.
The Camp. Le nom claque, efficace. Deux petits mots anglais pour porter un immense projet en terres provençales. Ce jeudi 28 septembre, sur le plateau de l’Arbois, un lieu d’un tout nouveau genre en France est inauguré en grande pompe. Au programme de la cérémonie : “expo découverte”, “apero sunset” et “odyssée musicale” à base d’art lyrique pour le clin d’œil aixois et de DJ set.
The Camp se veut un campus à l’américaine qui s’étale sur 7 hectares et dont le cœur, un bâtiment de 8000 m² à l’architecture futuriste a pour objectif de rassembler étudiants, chercheurs et entrepreneurs sur les thématiques du numérique et du développement durable. Autour de ce bâtiment, des résidences pour héberger ce beau monde qui ensemble, devra penser la ville de demain, la “smart city”. Rien que ça.
L’anglais n’est pas utilisé à tout-va par hasard dans cette histoire. À seulement un quart d’heure de la gare TGV d’Aix et de l’aéroport Marseille-Provence, The Camp est aussi pensé pour rayonner au-delà des frontières. École, université, centre de formation mais également incubateur et accélérateur d’entreprises, de quoi attirer dans la région nombre d’acteurs ou de futurs acteurs économiques. “Ce sera un lieu transdisciplinaire, transculturel et transgénérationnel dans lequel on apprend, on réfléchit et on expérimente ensemble”, disait Frédéric Chevalier, patron charismatique qui a inventé et porté ce projet jusqu’à son décès en juillet dernier. Frédéric Chevalier était entre autres le fondateur du groupe de communication côté en bourse High-Co. (il a par ailleurs été actionnaire de la société éditrice de Marsactu, avant que ses journalistes ne reprennent le titre en 2015, ndlr).
21 millions apportés par les collectivités locales
The Camp va engloutir in fine 80 millions d’euros pour sortir de terre jusqu’à stabiliser son modèle économique. Pour l’heure, la vitrine grandiose du projet semble effacer les questions d’argent, même si les 12 millions d’euros que Frédéric Chevalier avait annoncé sortir de sa poche sont complétés par d’importants financements privés… et publics. Le conseil régional PACA, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône, la métropole Aix-Marseille Provence ainsi que la Chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence ont en effet largement participé à l’amorçage du projet.
Au total, la participation des collectivités locales s’élève à 21 millions d’euros sur une durée de 5 ans. Cet apport doit permettre de combler “46 % des frais de fonctionnement” sur cette période, selon Marie-Christine Bouillet, chargée des relations avec les partenaires publics. Des frais qui représentent quelques 45 millions d’euros et s’ajoutent au budget immobilier, 38 millions financés à 30 % par la Caisse des dépôts, un autre acteur public.
Côté privé, de nombreux mastodontes de l’économie française ont décidé d’investir dans The Camp. Les logos de 19 partenaires privés, Vinci, Air France, Cisco, la CMA-CGM ou encore le Crédit Agricole figurent parmi d’autres sur le site web du projet. Mais leur participation chiffrée n’est pas mise en avant, sauf peut être en ce qui concerne le Crédit agricole, régulièrement cité par l’équipe de The Camp. “Ce sont eux qui vont piloter la branche accélérateur”, précise Lionel Minassian, vice-président du projet. Dans une interview accordée à La Provence, Thierry Pomaret, le directeur général du Crédit Agricole Alpes Provence avance le chiffre de 5 millions d’euros investis. Enfin, des prêts bancaires ont été effectués par la SAS The Camp auprès du même Crédit Agricole et de la Caisse d’Épargne. Mais, interrogé par Marsactu sur le montant de ces derniers, Lionel Minassian n’a pas souhaité répondre.
Des collectivités locales au diapason
Cette même question, The Camp a pourtant dû y répondre, ainsi que celle sur le montant apporté par les investisseurs privés, afin de rassurer les pouvoirs publics. “Nous ne voulions pas faire un chèque en blanc comme ça alors que le projet était encore flou. Nous voulions des garanties que les privés allaient suivre, que nous ne serions pas les seuls à nous lancer”, se souvient Sophie Camard de la France insoumise, à l’époque présidente écologiste de la commission économie du conseil régional. Après de vigoureuses négociations, et notamment à la région, quatre collectivités locales font le choix d’accorder à The Camp une aide financière.
En avril 2015, une délibération pose ces modalités. Il s’agira d’avances remboursables, en d’autres termes de prêts à taux zéro, qui s’élèvent pour chaque institution à 5 millions d’euros, sauf pour le conseil régional qui dans un premier temps ne prévoit que 3 millions. “La Région donnera finalement 5 millions. Nous avons vu cela avec Renaud Muselier, c’est en cours de validation. La proposition devrait passer en octobre”, met à jour Marie-Christine Bouillet. Une partie des versements à déjà eu lieu. Effectués en trois tranches, ils s’étalent jusqu’à 2019. La fin de ces versements sonnera le début de la période de remboursement.
Le business model en arrière-plan
Comment The Camp compte-t-il s’y prendre pour rembourser ? “Le risque de non-remboursement est très faible. D’ici 3 ans environ nous générerons un revenu de 15 millions d’euros qui nous permettra de rembourser nos dettes”, assure Antoine Meunier, responsable de la communication de The Camp. Mais le spécialiste du marketing refuse de transmettre des précisions sur le business plan des années à venir. “Pour l’instant, nous ne communiquons pas là-dessus. Mais nous allons bientôt publier nos comptes”, annonce-t-il pour couper court.
Sans parler de chiffres, The Camp mise donc sur l’offre de formation pour rembourser ses dettes. “Notre modèle économique repose sur la formation en continu dans le domaine des technologies émergentes ainsi que des formations à la carte et sur mesure proposées aux entreprises”, explique Antoine Meunier. The Camp a-t-il été plus explicite face aux pouvoirs publics pour obtenir une aide financière ? “Il s’agit d’un projet complexe et l’expliquer aux pouvoirs publics a été très, très long… Mais j’ai le sentiment que la culture de la dépense publique est en train de changer”, conclut-il.
En tout cas, au sein des institutions publiques, on parle clairement de “pari”. À la région, à l’époque du lancement du projet, c’est Bernard Morel qui est au centre des négociations. Le conseiller PS le défend, même si ses contours ne sont pas bien définis. “Il y avait un risque d’échec, mais ce projet était innovant d’un point de vue philosophique et économique. Bien sûr il présentait une forme d’imprécision. Mais c’est ça l’innovation, on ne connaissait pas la suite”, argumente-il aujourd’hui.
Les avances remboursables, “une astuce” pour financer
Si à l’époque, le projet semble séduire et rassembler la droite et la gauche, quelques voix s’élèvent contre. Chez les écologistes et les communistes les retenues sont en effet beaucoup plus présentes. “On hésitait entre voter contre ou s’abstenir”, rejoue Sophie Camard. Plus vindicative, Anne Mesliand, du Front de Gauche, déclarait dans les colonnes de La Marseillaise : “Jusqu’à nouvel ordre on nous avait vendu les partenariats publics-privés en nous disant “là où l’État n’a pas les moyens, il faut que le privé vienne aider”. Et bien aujourd’hui c’est l’inverse, c’est le privé qui vient demander de l’argent public à des collectivités territoriales.”
Lors de ces négociations, The Camp apparaît comme un projet qui sort des cadres. Mêlant plusieurs domaines, il ne rentre dans aucune case et, à demi-mot Bernard Morel l’avoue : “Il a fallu trouver une astuce pour que ça passe, une formule juridique pour pouvoir donner de l’argent à une entreprise”. Antoine Meunier parle même d’un “modèle privé/public pensé par Frédéric Chevalier, sans subvention en jeu mais avec un amorçage”, sous forme d’avances remboursables donc.
Loïc Gachon (PS) siégeait à l’époque au conseil départemental et se souvient des réticences de certains face à un projet qui pouvait paraître fumeux, mais appuie surtout sur l’admiration témoignée par beaucoup de ses collègues. “Au final, c’était une histoire de confiance. Est-ce qu’on allait suivre le chemin de Chevalier ? On a décidé de le faire. À l’époque, il y avait plus de questions que de certitudes c’est sûr. Il y a encore des doutes aujourd’hui. Je me demande par exemple comment l’équipe de The Camp va faire pour se transcender et se passer du charisme de Chevalier. En tout cas, j’ai envie d’y croire.”
Il faut dire que The Camp séduit une large part de l’échiquier politique, qui voit là un projet audacieux capable de dynamiser le territoire. “Je crois que ce projet à la capacité de créer une véritable synergie entre les entreprises et les personnes en formation et de développer une véritable économie numérique”, s’émerveille encore Bernard Morel. Et puis, hasard du calendrier ou ingéniosité de son créateur, The Camp semble s’inscrire parfaitement dans les politiques portant l’économie numérique lancées par l’ancien gouvernement.
L’étendard de la French Tech
“À l’été 2014, quand Frédéric Chevalier commence à présenter son projet, les pouvoirs publics le trouvent aussi flou que fascinant”, se souvient Nicolas Maisetti, chercheur en politiques urbaines qui s’est penché sur la labellisation French Tech de la métropole Aix-Marseille. Lancée en 2014 par le gouvernement, la French Tech a pour but de rassembler les acteurs économiques et les collectivités locales d’un territoire dynamique dans le secteur des nouvelles technologies. Le but étant de porter collectivement les savoir-faire français à l’étranger. “The Camp se lovait parfaitement dans la French Tech. Si au départ il ne faisait pas partie des négociations, le projet est vite devenu Tech champion, c’est-à-dire entrepreneur star du territoire”, poursuit Nicolas Maisetti.
Pour le moment, la French Tech n’apporte au projet aucun soutien financier, même si une équipe de la branche “accélérateur” étudie en ce moment les modalités d’une demande d’aide à la Banque publique d’investissement dans le cadre de la French Tech. Mais cette labellisation a apporté un éclairage médiatique certain à The Camp. “Quand le ministre vient faire un tour sur place [en juillet 2015], tous les projecteurs sont braqués sur le projet. Et ça, ça peut entraîner les pouvoirs publics”, analyse Nicolas Maseitti. Un ministre, Emmanuel Macron, devenu président de la République, et qui lançait alors : “La France a besoin de femmes et d’hommes qui prennent des risques”. Et de collectivités pour les suivre.
Commentaires
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Bonjour,
Je suis plutôt enclin à accueillir la nouveauté avec enthousiasme, les initiatives d’un bon oeil et “l’atypicité ” me séduit plutôt.
Cependant, je ne comprends pas bien quel est le projet ? Le contenu ?
L’article nous décrit un contenant sans qu’il nous soit possible d’entrer dans la matière ?
Ne vous méprenez pas, j’ai bien compris qu’il s’agit ici d’une volonté du journaliste de mettre en exergue le ” flou” d’un projet largement financé par le public.
In fine , il est inquiétant effrayant de constater que nos élus et décideurs “y croit” , “sont séduit par le charisme ” ou ” ont envie de faire confiance” ….croire à quoi, confiance en quoi ? On aimerait vraiment le comprendre.
Merci pour ce papier .
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Le site de The Camp semble plus messianique que pédagogique …
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Ce que je crois comprendre : on récupère auprès d’entreprises l’argent de la formation professionnelle et aussi certainement des économies d’impôts en montant des dossiers RSE “Responsabilité Sociale des Entreprises” , ces partenaires privés se paient à bon compte une belle image sociétale , en fait de “l’écolo french tech washing” et amorcent la pompe de bon argent public.
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Et certainement du crédit import recherche, même si à leur échelle il faudra justifier.
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Voilà un article intéressant, heureusement résumé par barbapapa, un commentateur, qui apporte une synthèse de la stratégie suivie pour ce genre de business éducatif, heureusement imaginé et promu par un saint homme… (“Frédéric Chevalier, patron charismatique”), alleluia, mes frères !
La journaliste a eu l’heureuse idée de citer quelques élus qui eux aussi ont fait leur synthèse de ce genre de business éducatif.
Dont celui-ci:
“Plus vindicative, Anne Mesliand, du Front de Gauche, déclarait dans les colonnes de La Marseillaise : « Jusqu’à nouvel ordre on nous avait vendu les partenariats publics-privés en nous disant « là où l’État n’a pas les moyens, il faut que le privé vienne aider ». Et bien aujourd’hui c’est l’inverse, c’est le privé qui vient demander de l’argent public à des collectivités territoriales. » ”
Mais pourquoi précéder cette synthèse de l’expression “Plus vindicatif, Anne Mesliand…”. N’aurait-il pas été plus exact d’utiliser l’expression “Plus anticipatrice, Anne Mesliand…” ?
Est-ce l’influence de la ligne éditoriale?
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Encore une baudruche de “décideurs” qui se dégonfle très vite. Après combien de millions d’euros d’argent public englouti ?
Et avec un entretien au rabais, en combien de temps cela va-t-il devenir une friche ?
Dire qu’ils ont fait ça en pleine nature…
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