Syriens en quête d’hospitalité
Annoncée, décriée, redoutée ou attendue, la vague syrienne ne semble pas encore avoir atteint Marseille. Marsactu est allé à la rencontre des premiers Syriens arrivés sans faire de bruit et le plus souvent, pour mieux en repartir.
Syriens en quête d’hospitalité
Le 22 septembre dernier, le préfet évoquait devant la presse les différentes mesures d’urgence mises en oeuvre pour faire face à la vague attendue de migrants. Trois semaines après la publication de la photographie du corps échoué du petit Aylan sur les côtes turques, l’Europe, la France, et désormais les Bouches-du-Rhône, se mettaient en action pour organiser cette arrivée d’une ampleur sans précédent de familles syriennes fuyant la guerre. Déjà la presse locale s’interrogeait : combien de Syriens arrivés à Marseille ces derniers mois ? Une goutte d’eau comparée à la submersion annoncée. Et si Marseille n’était tout simplement pas concernée ? Un mois plus tard, la vague annoncée n’est pas arrivée. En revanche, de nombreuses familles dispersées ont fait leur chemin jusqu’à Marseille. À leur arrivée, ils ont trouvé un accueil qui tient plus de la débrouille que du plan national coordonné. Chronique d’une hospitalité bricolée.
Les maisonnettes près de l’église
21 septembre
En ce soir de fin d’été, après l’école, des enfants jouent sur un trottoir, ils s’amusent à passer de chez l’un à chez l’autre. Les portes de leurs petites maisons nichées à proximité de l’église des Réformés sont entrouvertes pour laisser entrer les petits et les amis de la famille. Derrière la porte de droite, il y a Yasmine, arrivée au printemps à Marseille avec son mari et ses enfants de 4 et 10 ans, ainsi que son beau-frère, sa belle-soeur et leurs enfants des mêmes âges, qui occupent la maisonnette mitoyenne. Yasmine n’a pas trente ans, elle passe ses journées à la maison, à attendre l’heure de la fin de l’école. Assise sur le canapé, un verre de thé à la main, un brin mélancolique, elle résume simplement la raison de son exil : “En Syrie, je ne pouvais pas offrir d’avenir à mes enfants“.
Les deux couples ont choisi Marseille pour y rejoindre le grand-père, opposant politique au régime de Bachar El Assad, réfugié ici depuis 2011. Il est allé les chercher en Espagne pour les ramener en France après leur passage en Europe via Melila, enclave espagnole au Maroc. “La traversée nous a coûté 3000 euros pour toute la famille. Arrivés ici, il ne nous restait que 120 euros de toutes nos économies“. Depuis, c’est la débrouille. Leurs deux petites maisons à un étage, un peu vétustes mais propres, leur sont prêtées gracieusement par un bienfaiteur algérien dont on ne saura pas grand chose. Son beau-frère et sa belle soeur vont partir en Centre d’hébergement pour les demandeurs d’asile (CADA) à Martigues d’un jour à l’autre, ils n’aiment pas trop l’idée de quitter la ville.
Yasmine voudrait que cette installation marque la fin du voyage. Mais elle vit dans l’angoisse : “Nous avons dû donner nos empreintes en Espagne, j’ai peur qu’ils nous renvoient là-bas”. Si, lors de leur dépôt de demande d’asile à la Préfecture, les fonctionnaires ont pu constater que leur arrivée a bien été enregistrée en Espagne, le risque est réel. Le règlement Dublin II adopté en 2003 par l’Union européenne veut que toute personne demandant l’asile doive le faire dans le premier pays qu’elle traverse. À défaut de visa pour arriver en France directement et légalement, les migrants qui parviennent jusqu’à Marseille sont donc très largement menacés par cette possibilité de “réadmission” comme on dit dans le jargon, direction l’Italie ou l’Espagne le plus souvent.
Sur le parking du Formule 1
8 septembre
Eux ont décidé de reprendre la route. Une autre soirée de septembre, une quarantaine de personnes se retrouve dans un coin du parking du Formule 1 de Plan-de-Campagne. Le lieu est atypique. Mais les convives assis en tailleur ont installé des tapis tout contre un taillis de cannes provençales, l’ambiance en devient presque exotique. “C’est plus vivant que dans les chambres !” s’exclame l’un d’eux. Depuis plus d’un mois et demi, 70 syriens sont hébergés dans cet hôtel en bordure d’autoroute après avoir été expulsés d’un squat insalubre qu’ils occupaient depuis cinq mois. Mais ce soir, c’est la fin. Il ne reste plus qu’une petite quinzaine d’entre eux. Le jour suivant, ils prendront la route vers la Belgique, comme l’ont fait avant eux les autres membres de cette famille (très) élargie. “Si on nous donnait des papiers, une maison, on resterait. On sait qu’en France demander l’asile est trop compliqué. On a entendu que c’est mieux en Belgique, explique Naji, un solide garçon de 23 ans, en glissant quelques mots de français dans sa langue arabe. Pourtant, on aimerait que le voyage s’arrête“. Car le périple a duré plus de deux ans, en traversant l’Afrique du Nord, avec plusieurs mois d’arrêt en Algérie, puis en Espagne.
Leurs cinq mois à Marseille n’auront pas été des plus heureux. “Ils passaient leurs journées à attendre qu’on leur apporte à manger” se souvient Aïssa Sessaoui de Massilia Barraqa, l’une des quelques associations à être entrées en contact avec ces Syriens. De la France, ils n’auront eu qu’un mince aperçu et surtout très peu de liens avec les institutions censés les aider. Jusqu’à l’expulsion de leur squat et leur prise en charge par le samu social, ils vivaient dans la clandestinité. Un travailleur social le reconnaît : “Ils étaient soixante-dix et en effet, on ne les connaissait pas. Après l’expulsion, des séances d’information sur leurs droits ont été organisées pour eux, mais ils ne sont pas revenus. Leur situation n’était pas très claire”.
C’est donc avec des acteurs comme Massilia Barraqa qu’ils auront préféré rester en contact. L’association regroupe des particuliers, une dizaine, de confession musulmane “mais ouverts”, qui organisent depuis avril des maraudes et distributions de nourriture pour les sans-abris de la ville. Ils ont donc rencontré ces Syriens presque par hasard et ont tissé des liens car la plupart parlent arabe. “Leurs conditions de vie n’étaient pas croyables. On se relayait avec une autre petite association pour leur fournir deux repas par jour. On se demandait si on allait tenir”, lâche Aïssa Sessaoui. En août, quand un premier membre de la famille parti pour la Belgique y a reçu un meilleur accueil, tous les autres ont décidé de lui emboîter le pas.
Massilia Barraqa a décidé d’accompagner ce choix en prenant contact avec une autre association en Belgique. En préparation de leur départ, une collecte sur les réseaux sociaux est lancée. En dix jours, 3000 euros sont récoltés, via la communauté musulmane, mais pas seulement. “On nous appelle de partout, on se déplace pour récolter les dons qui n’arrêtent pas d’arriver”, s’enthousiasme Fatiha Nasri, autre pilier de l’association. Des voitures de fortune et des places de bus ont pu être achetées pour permettre la route jusqu’au plat pays. Sur le parking, les marques de générosité affluent. Trois jeunes filles sont venues entre copines apporter vêtements, médicaments et bonbons après avoir vu l’appel aux dons sur les réseaux sociaux. Le restaurant qui jouxte le Formule 1 offrira quant à lui le repas du lendemain. À la tombée de la nuit, à l’heure de se séparer, les yeux se font humides et on se sert dans les bras. Les bénévoles distribuent les derniers billets aux familles, en s’embrouillant un peu dans les parts distribuées à chacun.
“Bénévoles, on ne remplacera jamais l’État, mais …”
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22 octobre
Spontanés, motivés mais pas toujours très organisés et un peu dépassés par les événements, des groupes comme celui-ci ont fleuri depuis le printemps à Marseille. Le même travailleur social regrette leur isolement et déplore qu’ils ne soient “pas très au point sur le droit d’asile“. Mais ils remplissent les interstices de plus en larges dans le suivi des demandeurs d’asile, car le dispositif classique se fissure déjà sous la pression. La vague serait-elle donc arrivée ?
“Nous, on la voit l’augmentation !” tranche Céline du collectif “Soutien migrants 13”. Habituée depuis le début de l’été à accompagner les demandeurs d’asile en préfecture, elle a vu les temps d’attente s’allonger en quelques semaines et revendique l’utilité de la mobilisation citoyenne. “En étant bénévole, on ne remplacera jamais l’État, mais les institutions comme la Plateforme Asile par exemple, on les arrange bien : on sert d’interprètes, on accompagne les gens dans leurs démarches … Ils commencent même à nous envoyer des gens !” s’amuse-t-elle.
Né dans le quartier de la Plaine en juillet, le collectif “Soutien migrants 13” ne se veut “ni charitable, ni humanitaire : politique” résume Éric, chargé de la communication du groupe qui rassemble plus d’une centaine de membres. En septembre, ils ont ouvert un lieu d’accueil dans un ancien garage squatté rue Horace Bertin, dans le 5e arrondissement. Formé d’habitants du quartier, de militants d’extrême-gauche aguerris à l’action politique et de novices, le collectif a voulu un “lieu d’accueil, social, avec des activités, des informations sur leurs droits, des cours de français. Tout ça bénévolement“, récapitule Éric. “Pour beaucoup, notamment ceux qui arrivent de Vintimille, Marseille n’est qu’une ville étape, alors nous les renseignons sur ce qui les attend à Paris et à Calais. Certains y renoncent, d’autres continuent leurs routes”, ajoute Céline. Mais comme tout squat, la durée de vie du “Manba”, pour “source” en arabe, est limitée. Déclarés expulsables, les militants ont déjà commencé à déplacer les activités dans d’autres lieux pour protéger les migrants, pour beaucoup en situation irrégulière, d’une descente de police imprévisible.
Confusion
Parallèlement aux annonces d’accueil et de bonne volonté de la part des autorités, de nombreux migrants mettent donc toute leur énergie à se dissimuler ou à essayer de quitter Marseille. Combien de Syriens parmi eux ? Difficile à dire, répond Marianne Roux qui anime un autre collectif, le Groupe d’action solidaire pour les réfugiés : “On rencontre des Syriens par le bouche-à-oreille, via des amis arabophones ou musulmans qui les ont croisés à la mosquée. On dirait que personne ne sait combien ils sont, c’est le flou.”
Les guichets de la préfecture sont embouteillés, la plateforme asile déborde. La fameuse vague, même relativement modeste, est là et elle cause déjà beaucoup de confusion. Les Syriens ne sont qu’une toute petite partie de ce phénomène. Au Manba, les accueillis sont en grande majorité soudanais. Et, surprise, les premiers arrivés en PACA dans le cadre du plan migrants de la région accueillis à Istres sont aussi … soudanais. Un pays dont on parle moins, mais qui est lui aussi déchiré par de violents affrontements.
Des Syriens, en revanche, il y en avait dans les avions affrétés depuis Calais pour remplir le centre de rétention du Canet (14e) et vider la jungle aux portes de la Grande-Bretagne. Mais ceux-là, comme tous leurs camarades de rétention, ont filé vers le Nord dès leur libération. À croire que Marseille, et plus largement, la France, n’arrivent pas à convaincre les Syriens qu’ils y sont les bienvenus.
Commentaires
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Super article que l’on aimerait lire plus souvent dans la presse quotidien régionale voir nationale…..
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lire quotidienne,
une fonction “corriger” accessible avant d’éventuelles réponses serait bienvenue sur le site définitif…..
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Oui, un bel et bon article, bien documenté, donnant la parole aux concernés, plutôt que de les traiter en “objets” de reportage, s’attardant dans les interstices du social et de micro-initiatives qui finissent tôt ou tard par faire des rivières, des initiatives conduites par des gens qui préfèrent agir que faire parler d’eux; ça tombe bien car la “grande” presse n’a pas l’intention d’en causer, tout à son agenda de scoops sans trop de lendemains et d’émotionnel. Marsactu fait la différence, dans le droit fil des articles concernant la plate-forme d’asile et les ridicules audiences de l’annexe justice du centre de rétention (!) du canet… A l’échelon national, on commence à voir des articles sur la politique de gribouille du gouvernement, tentant de vider la jungle de calais par la dispersion des réfugiés dans les centres de rétention les plus lointains que possible,ne faisant que déplacer -pour un temps- le problème , au même titre que sarkozy fermant le centre de sangatte . Une politique ruineuse pour l’argent public, en frais de justice inutiles autant qu’en transports notamment aériens, inhumaine pour les réfugiés concernés. Mais on reste encore, de façon dominante, dans le déni, le silence et la complaisance avec ce gouvernement aux abois.
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« À croire que Marseille, et plus largement, la France, n’arrivent pas à convaincre les Syriens qu’ils y sont les bienvenus. »
Cette conclusion morale est cohérente avec l’article, mais est-ce la seule façon de voir les choses ? J’en ai connu des Syriens à Marseille, qui n’avaient pas du tout le sentiment d’être mal accueillis, mais là où le bât blessait, c’était dans la possibilité de trouver un emploi à Marseille, voir en France. Je connais notamment une famille originaire de Homs et Hama (une région détruite avec une population gazée par le père de Bachar déjà) et de Damas, qui est maintenant aux Etats-Unis et au Maroc. Aux Etats-Unis dans la recherche médicale, mais occupant aussi des emplois plus modestes au Maroc. L’accueil de réfugiés demande également une dynamique économique à la hauteur de la générosité qu’on aimerait mettre en œuvre. Et le verrou de cette dynamique à Marseille, se situe dans l’alphabétisation, une école où davantage de jeunes réussissent et une formation qui anticipe sur les besoins des entreprises, pour les jeunes français comme pour les jeunes d’origine plus lointaine, qui ne demandent qu’à s’intégrer par le travail.
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Oui, il y a bien sûr un accueil chaleureux de la part des citoyens (ainsi qu’on le voit en dernière partie ici). Concernant l’après-demande d’asile, sorte d’impensé en effet, nous l’évoquions ici : http://marsactu.fr/des-ruines-de-damas-au-pole-emploi-du-3e/ .
L’un des freins à l’intégration le plus évoqué par les accompagnants et les concernés est l’inactivité à laquelle sont tenus les demandeurs d’asile durant le traitement de leur dossier : pas d’accès à la formation professionnelle ni au travail (sauf rares exceptions) durant de longs mois, ce qui rend d’autant plus difficile l’arrivée sur le marché de l’emploi une fois la demande acceptée.
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