Sur les marchés marseillais, producteurs et primeurs veulent se réinstaller dans la durée

Reportage
le 14 Mai 2020
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À Marseille, comme dans la quasi totalité des communes des Bouches-du-Rhône, les marchés de plein air font leur retour à la faveur du déconfinement. Ils doivent s'adapter avec la mise en place de mesures barrières. Producteurs et primeurs s'inquiètent de l'avenir économique.

Au stand d
Au stand d'un Potager d'un curieux sur le marché du cours Julien. Photo : PID

Au stand d'un Potager d'un curieux sur le marché du cours Julien. Photo : PID

Masques sur les visages et rubalises devant les stands, le marché paysan hebdomadaire du cours Julien (6e) a repris ses marques ce mercredi 13 mai. Hormis ces particularités du moment, il semble se tenir comme à son habitude. En témoignent les musiciens qui viennent s’y produire, guitare ou accordéon en mains. Comme tous les autres marchés de France, sauf exceptions accordées par les maires, le marché du cours Julien ne se tenait plus depuis l’annonce de leur fermeture le 23 mars par le Premier ministre Édouard Philippe.

Comme une grande famille qui se retrouve, les habitués se saluent, s’interpellent, s’échangent des nouvelles. “Personne n’a été malade autour de vous ?”, demande une boulangère à un homme en masque de tissu noir, assorti au caddie sur lequel il s’appuie. L’homme rassure en répondant par la négative. Les conversations se font l’écho des préoccupations du moment. Elles s’engagent avec les producteurs pour savoir comment ils s’en sortent économiquement. Elles se transforment en débat sur l’action de l’État et du préfet pour gérer la crise. Elles interrogent sur le futur du marché : sera-t-il encore autorisé à se tenir dans les semaines à venir ?

“Le marché c’est plus agréable”

En train d’attendre son tour devant un stand d’œufs, Charlie, un trentenaire habitant du quartier, ne cache pas sa satisfaction : “pendant le confinement, j’ai reporté mes achats sur les primeurs, mais c’est plus agréable le marché, tout est au même endroit et on finit par connaitre les gens au fur et à mesure. On soutien les producteurs locaux, alors qu’au primeur, ce n’est pas toujours bio et local”, expose-t-il. Masque orange pétant sur le visage, une dame âgée est rassurée par les mesures sanitaires prises. “Il est bien ce marché, sinon je ne viendrais pas”, proclame-t-elle.

Musicien au marché paysans du Cours Julien le 13 mai 2020. Photo : PID

Mais vers 11 heures, l’affluence est telle qu’il est impossible pour les chalands d’observer le mètre de distance dans les longues files qui s’étirent avant d’accéder aux stands. Déjà, les vendeurs craignent que cette situation encourage les pouvoirs publics à ne plus autoriser le marché. “Ce premier marché a ses défauts, il fallait bien que l’on teste. Il va falloir revoir notre organisation pour les prochains”, confie un producteur.

“Hier on a eu un dernier échange avec le service des emplacements de la mairie. Ils nous ont dit, “on vous fait totalement confiance” pour l’application des consignes, glisse Jérôme Laplane président de l’Association pour le développement de l’emploi agricole et rural (ADEAR 13) qui organise le marché. Pour nous ça veut dire “débrouillez-vous”. Et puis ils viendront nous casser du sucre sur le dos si ça ne se passe pas bien. Alors que pour nous le but c’est de faire les choses ensemble”, ajoute le maraîcher de Roquevaire. Il aurait souhaité un engagement de la Ville pour aider sur les mesures sanitaires, comme par exemple par la mise à disposition de barrières.

“En période de crise l’agriculture périurbaine est primordiale” 

À quelques stands de là, Luc Falcot, éleveur de chèvres du Rove à Cuges-les-Pins et producteur fromager, plaisante avec une cliente. “Je te fais un bisous virtuel”, lui dit-il. “Et on mange du fromage virtuel”, rétorque-t-elle à la vue du stand vide. “Depuis 9 heures et demi j’ai tout vendu”, confirme le paysan. Le chevrier, militant de la Confédération paysanne, est très en colère à propos de l’action du gouvernement : “On nous a fermé des marchés où nous avions déjà mis en place des mesures sanitaires et dans le même temps les hypermarchés peuvent ouvrir dans lesquels les gens faisaient n’importe quoi. Il a mis en danger l’agriculture de proximité et les artisans”.

Jérôme Laplane, maraicher et président de l’ADEAR 13 (à gauche) avec Luc Falcot, éleveur caprin et membre de la Confédération Paysanne. Photo : PID

Malgré tout, les producteurs que nous rencontrons disent ne pas faire face à de grosses difficultés économiques, mais au prix d’une mobilisation supplémentaire de leur part pour retrouver d’autres circuit courts. Ils se sont organisés pour bricoler des livraisons, des drives ou autres marchés à la ferme. Jérôme Laplane s’en est sorti en continuant de livrer les paniers en AMAP (associations pour le maintien de l’agriculture paysanne) et la vente à la ferme qui représente 70 % de son activité. Luc Falcot s’est adapté en affinant ses fromages pour pouvoir les stocker, puis par un appel sur Facebook pour trouver des clients.

“Dans les Bouches-du-Rhône on s’en sort pas trop mal parce qu’on a un bassin de population qui le permet, analyse Luc Falcot. On s’aperçoit qu’en période de crise l’agriculture périurbaine est primordiale plutôt que l’agriculture d’importation. Par exemple, il n’y avait plus d’œufs disponible à un moment. Mais pour l’instant on n’est pas assez nombreux”. Et pour les exploitations les plus en difficultés, le syndicaliste demande que soient mis en place “des reports de charge et des annulations de crédits”. D’une manière presque paradoxale, la période a profité au potager d’un curieux qui valorise et produit des semences et des plants dans le Luberon. “On a vachement bien travaillé parce que les gens avaient du temps pour faire leur jardin et ils nous ont acheté des graines sur internet. On est quand même content de revenir au marché parce que c’est trop bien de voir les gens”, s’enthousiasme Violette derrière son stand qui propose graines et plants.

Marché restreint à Noailles

À 500 mètres de là, à Noailles (1er), le masque est porté par la majorité des clients et des primeurs. Ici aussi l’affluence est au rendez-vous. Le marché des Capucins a repris ses activités journalières depuis ce lundi, mais de façon restreinte. Comme cela avait déjà été envisagé avant l’annonce du premier ministre, seule une des deux rangées des étals est installée. Chacune ouvre alternativement tout au long de la semaine, pour éviter une allée centrale habituellement bondée. “Un jour sur deux c’est mieux que rien, se résigne Olivier derrière son stand. La marchandise que l’on ne vend pas aujourd’hui, demain on la jette”.

Au marché des Capucins à Noailles le 13 mai. Photo : PID

Les primeurs ne souhaitent pas s’épancher sur leurs difficultés économiques. Leurs inquiétudes se lisent dans la raideur des visages et des paroles. “Si on nous donne un salaire tous les mois, ils peuvent nous faire fermer pendant 20 ans”, s’agace Olivier. Durant le confinement, ils ont été plusieurs à se réunir régulièrement sur la place pour interpeller sur la nécessité à poursuivre leur activité, sans ressentir d’écoute de la part des pouvoirs publics. “On est baladés entre la mairie et la préfecture qui nous renvoient vers l’une ou vers l’autre”, nous avait dit l’un d’eux fin avril. Olivier se souvient du jour de fermeture, sans anticipation : “la police est venue à midi pour nous dire qu’à 13 heures le marché serait fermé. Ce jour-là j’ai jeté 700 à 800 euros de marchandise.”

À un stand voisin, un vendeur semble retrouver le plaisir d’interpeller les clients. “Vous avez été dans les grandes surfaces, on vous a volé. Et oui, c’est cher les grandes surfaces”, engage-t-il avec une cliente qui approuve le commentaire. “Je suis super content de reprendre le marché. Ça nous a manqué, confie-t-il. La santé c’est primordial. Mais ça fait deux mois sans salaires, avec les employés en chômage partiel. Alors maintenant ce qu’on espère c’est de pouvoir revenir à la normal à partir de juin.” Puis il interrompt la conversation pour s’adresser à un monsieur aux cheveux blancs. “Vous avez des sachets devant vous jeune homme”, s’amuse-t-il. Seule certitude, le confinement n’a pas altéré la bonne humeur avec les clients.

Reprise des marchés dans les Bouches-du-Rhône
Pendant la période de confinement, 18 marchés avaient été exceptionnellement autorisés dans le département, comme indiqué par France Bleu. Le 20 avril, le préfet avait finalement autorisé à nouveau l’ouverture de la grande halle du marché aux puces, pour “répondre au besoin d’approvisionnement dans ce secteur de Marseille, notamment des populations aux revenus modestes”. Si à l’heure du déconfinement, une majorité de communes installent à nouveau leurs marchés, certaines se montrent encore prudentes en différant la date de retour comme c’est le cas à Gardanne. Dans cette commune ainsi qu’à La Gavotte aux Pennes-Mirabeau, ils n’ont pas repris, privant l’Adear de deux des sept marchés paysans qu’elle organise.

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Commentaires

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  1. anne Boluda anne Boluda

    Je me permets de rectifier votre article sur la commune des Pennes-Mirabeau le marché de la gavotte se tient le samedi matin sous forme de drive

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    • Pierre Isnard-Dupuy Pierre Isnard-Dupuy

      Bonjour,
      Merci pour votre information. Un drive n’est pas un marché de plein air, et nous n’avons pas recensé dans cet article les drives des Bouches-du-Rhône (ni tous les marchés d’ailleurs).

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  2. barbapapa barbapapa

    Sauf erreur, le marché de la place Sebastopol est toujours fermé ! Ce marché est vaste et bien tenu, bizarre… Vengeance mesquine envers B. Gilles ?

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    • Pierre Isnard-Dupuy Pierre Isnard-Dupuy

      Bonjour,
      Effectivement, comme bien d’autres, le marché de la place Sébastopol n’a pas été prévu à la réouverture sur la première semaine de confinement. Dans un communiqué, la ville précise que la réouverture des marchés est progressive et que son “objectif est de rouvrir entièrement
      tous les marchés au début du mois de juin”.

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    • Jean-Marie Leforestier Jean-Marie Leforestier

      La mairie du 4/5 nous informe que le marché de la place Sebastopol rouvrira la semaine prochaine.

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  3. anne Boluda anne Boluda

    Pour la gavotte c’est un drive à pied sur la place du marché avec les marchands ( un marchand représente un deuxième marchand) c’est très bien fait. Un parcours à pied, c’est géré par Adear. Disons que c’est un marché un peu particulier avec commandes en début de semaine.

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