Sur le cours Belsunce, de gros propriétaires bloquent depuis 16 ans un projet public
La Ville de Marseille, voudrait lancer un projet immobilier à partir de trois immeubles dont elle est en grande partie propriétaire. Problème, les voisins sont des habitués des bras de fer judiciaires. Une récente décision de justice vient encore de rallonger la procédure.
Sur le cours Belsunce, de gros propriétaires bloquent depuis 16 ans un projet public
Seize ans et de multiples rebondissements. Depuis 2006, la Ville de Marseille est propriétaire du 48 cours Belsunce, à deux pas de l’Alcazar. Et depuis, elle essaie de faire place nette au rez-de-chaussée de l’immeuble, occupé par un magasin de textile. Son exploitant, Élie Ammar, n’est pas un quidam. Sa famille fait partie des gros propriétaires fonciers et commerçants du quartier et s’y connaît en expropriations qui trainent.
Un autre Ammar, Alex, a d’ailleurs déjà touché 218 000 euros pour la rupture du bail commercial dont sa société civile immobilière bénéficiait dans le même local. C’est en qualité de sous-locataire de cette dernière, arguant du chiffre d’affaires perdu, qu’Élie Ammar et sa société Texel sont venus taper à la porte pour obtenir une indemnisation.
Dans un arrêt rendu le 6 avril, la Cour de cassation fait repartir cette procédure pour un tour. C’est la quatrième fois qu’une cour d’appel, cette fois-ci celle de Lyon, se penchera sur le premier jugement d’expropriation rendu en… 2009. Beaucoup de temps perdu pour la Ville mais pas pour Élie Ammar. Initialement rejetée dans son droit à être indemnisée, Texel a obtenu 260 000 euros au deuxième tour. Ce montant a ensuite été amélioré à 1,4 million et se trouve donc remis en jeu. Contacté par Marsactu, Alex Ammar s’estime “pas concerné” par la nouvelle procédure. Quant au reste de la famille, elle n’a pas répondu à nos sollicitations.
Sur le cours Belsunce, les Ammar sont en leur jardin. Si c’est l’état déplorable de l’hôtel meublé du 8 rue de la Fare qui leur a valu une exposition médiatique régulière, c’est dans le textile qu’ils sont le plus présents. Pas moins de six pieds d’immeubles, occupés par des magasins de vêtements ou des snacks, appartiennent à la SCI familiale. Le n° 50 et son magasin de téléphonie en fait partie. Si elle voulait avoir les mains libres sur l’ensemble des trois immeubles, la Ville devrait donc mener de nouvelles négociations ou une longue procédure judiciaire. Mais pour l’heure, c’est avec l’hôtel-restaurant que la Ville ferraille en cassation, au sujet du montant de l’indemnité, après deux jugements défavorables.
Penser l’après mic-mac judiciaire
L’enlisement de ces deux dossiers empêche la maîtrise des immeubles par la Ville de Marseille, qui possède déjà en totalité le n°46. La collectivité essaie malgré tout d’imaginer un avenir après ce mic-mac judiciaire pour ce trio, situé sur un emplacement stratégique, à deux pas de la grande bibliothèque de l’Alcazar et du tramway. “L’idée est de ne pas attendre la fin des procédures pour réfléchir. Cela permet aussi de limiter le temps pendant lequel les immeubles restent vides, avec un risque de squat et de dégradation”, défend Mathilde Chaboche, adjointe à l’urbanisme. Au numéro 46, propriété publique depuis plus de quinze ans, cela fait déjà quatre ans que l’ancien Hôtel des deux mondes a tiré le rideau. Il est aujourd’hui orné du panneau d’une société de gardiennage de biens vacants.
Lors du conseil municipal de mars, la Ville a confié une mission à la SPLA-IN, la société publique chargée de la rénovation du centre-ville de Marseille (voir notre encadré), pour proposer des “scénarios d’intervention”. En quelques grandes lignes, l’élue à l’urbanisme esquisse la possibilité d’une réhabilitation, dans ce “secteur protégé” d’un point de vue patrimonial, avec “pour orientation logique d’avoir du logement dans les étages, en partie social parce qu’il y a un besoin dans ce secteur. Et au rez-de-chaussée, sur un cours extrêmement passant, cela appelle un lieu qui vit. Après cela peut être des tas de choses, de la brasserie à la crèche”.
La mission semble idéale pour mettre le pied à l’étrier à la SPLA-IN, qui n’a pas encore démarré les grands travaux sur les quartiers de Noailles, de Belle-de-Mai et Saint-Mauront. Comme une initiation accélérée aux subtilités du centre-ville de Marseille avec pour objectif de faire mieux que ceux qui s’y sont cassé les dents depuis des décennies. À côté des copropriétés et des expertises à rallonge, l’enjeu des rez-de-chaussée commerciaux est un autre frein récurrent à l’action publique en la matière. Souvent, les sociétés en place tentent de maximiser leur indemnité de départ.
“On aurait pu mandater un bureau d’architecte lambda, la SPLA-IN n’est pas du tout là pour purger les procédures judiciaires”, précise toutefois Mathilde Chaboche. Pour l’élue, il s’agit de remettre l’action publique dans le bon ordre et sur de bons rails alors que l’ancienne équipe municipale avait “racheté sans projet”, cingle-t-elle.
“Garder des réflexes normaux”
L’important patrimoine municipal accumulé par les plans successifs de rénovation regorge de taudis mais aussi de projets sans lendemain.
Les trois propriétés du cours Belsunce font en effet partie de l’important patrimoine accumulé au fil des plans de réhabilitation du centre-ville. En 2019, dans une enquête en partenariat avec Mediapart, La Marseillaise et Le Ravi, Marsactu a mis en lumière les dizaines de taudis que la Ville laissait pourrir dans les 1er et 2e arrondissements. Moins dégradé et en partie occupé, le trio de Belsunce illustre d’une autre manière l’absence de concrétisation de nombreuses acquisitions, faites en fonction des opportunités du moment ou en prévision de projets plus globaux.
Que les Ammar soient dans le paysage ne doit rien changer pour l’élue, qui plaide au contraire pour “garder des réflexes normaux” : “Il faudrait s’interdire de regarder normalement le bon devenir pour ces immeubles parce que derrière il y a peut-être des marchands de sommeil et que c’est compliqué ? Pour, au final, dans plusieurs années se retrouver propriétaire d’un immeuble qui présente un risque, sans rien avoir fait ?”, interroge-t-elle.
Une première mission pour la SPLA-INAprès les effondrements de la rue d’Aubagne le 5 novembre 2018, l’État, la métropole et la Ville ont mis en commun leurs forces dans une société publique chargée de lutter contre l’habitat indigne et de rénover le centre-ville de Marseille. Depuis plus d’un an, elle travaille sur quatre îlots prioritaires, à Noailles et dans le 3e arrondissement de Marseille, où se concentrent arrêtés de périls et copropriétés fragiles. En mars, le dossier a obtenu un financement de l’Agence nationale de la rénovation urbaine. La mission confiée par la Ville de Marseille constitue un à-côté qui positionne davantage la SPLA-IN comme un opérateur ressource, rôle dévolu jusqu’à présent à la société publique Soleam.
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C’est une position courageuse, mais le pouvoir de nuisance en face semble infini.
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