Sur la colline du Plan d’Aou, Salim Hatubou revit parmi les livres et les enfants
Ouverte en catimini il y a plus d'un an, la médiathèque Salim-Hatubou invente un nouveau rapport aux livres en plein cœur d'un quartier populaire. Reportage en dessins.
Ces mamans venues avec des bébés trop jeunes pour lire profitent juste du lieu. Dessin : Ben8.
Désormais pour aller voir Salim Hatubou, on peut prendre le train. Pas pour le voir en vrai, malheur, l’écrivain et conteur est parti comme un voleur en mars 2015, laissant proches et lecteurs dans la peine. Une partie de son âme flotte entre livres et rires d’enfants tout en haut du Plan d’Aou (15e). Une médiathèque porte son nom, au centre de cette ancienne cité HLM dont les dominos de béton ont été jetés à bas par la rénovation urbaine.
Au sortir de la gare de Saint-Antoine, il faut faire confiance à son instinct de lecteur : aucun panneau n’indique quelle direction prendre. Il a fallu presque 30 ans pour que ce projet passe du papier au concret. C’est la première bibliothèque municipale neuve à Marseille depuis l’inauguration de l’Alcazar, en 2004. Cela vaut le coup de remonter la pente, au hasard.
Médiathèque de cités
En façade, la médiathèque avance modeste. Ouverte il y a un an en plein reconfinement, elle n’a jamais été inaugurée. Le bâtiment se fond dans le décor, encapsulé dans le Monticole, un ensemble livré par Erilia qui comprend du logement social et intermédiaire, et bientôt une cafétéria et un centre médical. L’intérieur fait la part belle au bois et à la transparence. Le regard traverse les espaces se posant là sur un pouf en forme de galet, ici sur les lamelles façon champignon du plafond.
Des minots trottinent, boîte de jeux plein les bras, ça entre et sort sans bousculade. Il y a forcément une anguille sous le galet puisque, ce jour-là, les prêts sont impossibles pour une période indéterminée. “Pour le coup, nous n’y sommes pour rien, affirme l’agent à l’accueil. Une pelleteuse a sectionné un câble à quatre kilomètres d’ici. Nous n’avons plus la fibre”. Elle est revenue ce vendredi, permettant aux livres de circuler à nouveau.
Avec 250 à 300 personnes par jour, la fréquentation se construit doucement. Ici tout a été pensé dans la fluidité, un grand auditorium prolonge d’entrée et un grand meuble modulable peut séparer cet espace d’accueil du reste du lieu. Le visiteur passe d’une section à l’autre, sans rupture, ni cloison. Les premiers livres qui tombent sous le regard sont en langue étrangère. “C’est une volonté de mettre en avant des livres dans toutes les langues, explique Bérénice, assistante de conservation. Nous avons des livres en anglais, espagnol, arabe et comorien. Cela correspond aussi à notre volonté d’accueillir des gens qui sont parfois loin du livre ou de la langue”.
Abolir les frontières
La même volonté de flouter les frontières vaut dans le partage des collections : les grands ados mélangent leurs romans à ceux des adultes, les BD font salle commune au centre de la médiathèque et la partie jeunesse ressemble à une crèche où même les sièges enfants supportent le poids d’un adulte. La jeunesse est un des axes du projet avec le numérique et l’environnement. Les livres pour la jeunesse constituent 60 % des 30 000 objets du fonds.
La petite équipe de 12 agents se serre es coudes, trop heureuse d’échapper à la déprime des lieux qui ferment ou n’ouvrent qu’avec parcimonie. “Il n’y a que trois personnes qui viennent du réseau des autres bibliothèques de la ville et elles sont volontaires pour être là, défend Marie-Line Barbin, la directrice. Nous avons justement axé le recrutement sur des profils atypiques, bien plus axés sur la médiation. Certains ont des compétences artistiques, musicales, numériques…”
Plusieurs des agents ont travaillé dans des espaces-lectures, ces lieux dédiés aux livres et placés en pied d’immeubles, là où les bibliothèques sont loin. Catogan gris, anneau à l’oreille, Pascal est de ceux-là. À 50 ans passés, le gratteux a passé 13 ans à l’espace-lecture du Plan d’Aou, avant de glisser vers ce nouveau lieu. “Du coup, je vois arriver des gens avec leurs enfants que j’ai accueillis au même âge, constate-t-il. Cela permet de voir s’il y a eu transmission ou pas”.
Dans ces hauteurs populaires, la culture du livre n’est pas une évidence. “Il y a des familles qui n’en ont pas chez elles. Pour elle, l’éducation est du domaine scolaire. C’est aussi pour cela qu’on a besoin de gens qui sont dans la transmission, qui ont un lien et des savoir-faire pluridisciplinaires”.
Le lieu est fondé sur le lien au public, avant le livre. “Nous voulons que les gens poussent la porte et s’y trouvent bien, revendique Marie-Line Barbin. Même si c’est pour se caler dans un fauteuil et regarder son téléphone”. Avec un budget d’un peu plus de quatre millions d’euros, bâtiment et documents compris, on se prend à rêver sur la réplicabilité du projet.
Saïda s’installe sur les grandes tables courbes pour lire avec sa fille et ses nièces. À 37 ans, elle prend la lecture aux sérieux et demande à chacune des jeunes filles de lire à haute voix le livre choisi. “Avant on descendait à l’Alcazar, mais il fallait prendre un bus et le métro, c’était long, raconte cette habitante de la rue de Lyon. Maintenant, c’est plus simple. On peut venir plus souvent“. Avec l’entrée de sa fille en CP, les premiers livres font leur apparition à la maison. Mais le lieu compte autant que ce qu’on y trouve.
Derrière elles, trois jeunes mamans jouent avec leurs enfants, dont certains n’ont pas l’âge de tenir un livre. Ils jouent d’un pouf à l’autre, grimpent et crapahutent. L’ambiance est calme, mais ce n’est pas la messe.
Salim Bernou vient en voisin. Lui est un habitant historique du Plan d’Aou où il est né, vit toujours dans un des bâtiments rénovés. Il vient fréquemment avec ses jeunes enfants dont le plus jeune, Medhi l’accompagne aujourd’hui. Il prend un livre, une BD ou un jeu. Car la médiathèque est la seule de Marseille à prêter des jeux éducatifs.
“«Kiri», je peux le faire ?”
Un peu plus loin, sur une grande table, Josette Berthier a pris place avec son mari. Elle fait face à deux jeunes filles autour d’un plateau de Scrabble. “«Kiri», je peux le faire ?“, tente sa partenaire. “Non, ce n’est pas autorisé, mais regarde tu peux faire autre chose”, explique la bénévole de 78 ans. Avec son mari, ancien mécanicien auto, elle monte la pente depuis Saint-Antoine, plusieurs fois par semaine.
“J’étais déjà bénévole à l’espace-lecture avec Pascal, raconte-t-elle. Tout naturellement, j’ai continué au centre social en attendant que la bibliothèque ouvre. L’idée est d’amener vers les mots de manière ludique. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le Scrabble n’est pas passé de mode”. Ses partenaires de dix ans acquiescent : “«One», je peux le faire ?” Josette poursuit sa partie, en expliquant patiemment que l’anglais n’est pas proscrit, “mais pas tous les mots…”
Autour d’elle, d’autres enfants passent avec des boîtes de jeux éducatifs ou vont chercher un casque à l’accueil. “Cela marche vraiment”, se réjouit Mérida, une des anciennes du service, arrivée ici “après deux burn-out costauds”. Elle ne s’étend pas sur les raisons qui l’ont poussée dans l’ornière et préfère insister sur la différence : “Quand j’ai rencontré Marie-Line, on s’est tout de suite entendues pour explorer la partie non professionnelle de mon CV”. Du coup, elle propose du yoga aux usagers et une animation sur la parentalité le samedi matin où les livres d’enfants deviennent support aux discussions.
Chacun fait en fonction de ses choix et de ses envies. Dernièrement, Pascal est venu glisser sa mandole dans une séance de conte franco-arabe. Bientôt un fab lab doit ouvrir dans un des salles du fond. Une graineterie – où partager des graines – doit également s’installer en lien avec les nombreux projets de jardins partagés. “Les gens doivent se sentir chez eux, reprend Mérida. Tout est ouvert“. À l’entrée un patio est construit autour d’un micocoulier. En été, on peut sortir y lire à son ombre et se réjouir d’être au Plan d’Aou.
Commentaires
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Nous avons conçu l’aménagement de la bibliothèque et le plus beau des encouragements c’est lorsque les usages et les histoires sont plus beaux, plus belles et supplantent le lieu que les accueille.
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Épatante cette médiathèque. Comment se fait il qu elle n est toujours pas été inaugurée un an après son ouverture ? La richesse de ce lieu vient aussi semble t il de la diversité du personnel qui y travaille. Merci pour cet article !
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Bravo pour les initiateurs de ce projet et les animateurs actuels de cette mediatheque qui fait un bien fou aux habitants de ce quartier. Il est indispensable que de tels lieux se multiplient et soient correctement tenus (avec personnels et moyens de fonctionner). Quelle belle idée que d’embaucher aussi des personnes au profil professionnel varié.
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Oui, décidément, bravo à tou-te-s : aux initiateurs de ce projet, à ceux qui le font vivre, à ceux qui fréquentent ce lieu. Félicitations également au journaliste pour ce texte qui tranche par rapport aux tonnes de poubelles par ci et aux règlements de compte par là. Enfin, un grand bravo au dessinateur de ces illustrations : une bien belle façon de faire du dessin de presse !
ça fait du bien !
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