Suivi des élèves non francophones : les enseignants contraints de “faire du tri”
Manque de postes, augmentation du nombre d'élèves, absence de salles dédiées... Des enseignants réunis en intersyndicale dénoncent de multiples dysfonctionnements pour l'accompagnement des élèves non francophones scolarisés dans le département.
Suivi des élèves non francophones : les enseignants contraints de “faire du tri”
“Je me sens comme une soignante, j’en viens à faire du tri parmi mes élèves. La priorité, ce sont les grands qui vont passer au collège. Pour les CP, on se dit qu’on rattrapera l’année d’après”, confie Sandrine, enseignante pour les élèves non francophones dans le centre-ville de Marseille. Plus d’une vingtaine de professeur d’écoles témoignent ce jeudi 12 janvier, à l’appel d’une intersyndicale (Snuipp-FSU, Snudi-Force ouvrière, Sud Éducation) pour alerter sur la situation des enfants scolarisés à l’école primaire qui ne parlent pas français. Ils dénoncent la prise en charge insuffisante des élèves liée au manque de postes et de moyens.
Les UPE2A, unités pédagogiques pour les élèves allophones arrivants, accueillent les élèves pendant un ou deux ans, pour qu’ils apprennent à lire, écrire, compter et gagner en autonomie, en parallèle de leur classe “classique”. D’après une circulaire de 2012 émanant du ministère de l’Éducation nationale, ces élèves dits “allophones” doivent suivre neuf heures de cours par semaine avec un enseignant spécialisé. Pour l’intersyndicale, la majorité des élèves allophones du département ne bénéficient pas de ce temps réglementaire. “Il y a des élèves en défaut de scolarité sur des textes qui engagent l’État”, pose Sébastien Fournier du Snuipp-FSU. “Le ministère s’assoit sur les besoins de ces élèves“, ajoute Laurence Rouvière de Force ouvrière.
Selon un questionnaire de l’intersyndicale soumis à 40 enseignants en UPE2A, 75% des profs ne dispensent pas les neuf heures par semaine par élèves. Conséquence : ils doivent en faire sortir certains du dispositif prématurément. Après deux réunions avec la direction académique et sans réponse satisfaisante, les syndicats gardent “beaucoup de frustration et de colère“.
15 postes manquants, d’après les syndicats
On parle d’école inclusive, mais encore faudrait-il mettre les moyens.
Virginie, enseignante dans 8 écoles.
Les enseignants estiment qu’il manque 15 postes sur le département. Une partie d’entre eux est en “itinérance” et intervient dans plusieurs écoles. Virginie travaille dans huit établissements de l’Est de Marseille. “J’ai été sollicitée par onze directeurs“, souligne-t-elle. À chaque récréation, elle se déplace d’une école à l’autre, à ses frais. Elle assure donc trois heures par semaine pour chaque élève, soit un tiers de ce à quoi ils ont droit. “On parle d’école inclusive, mais encore faudrait-il mettre les moyens“, souffle la maîtresse. L’intersyndicale souhaite réduire les postes en itinérance à deux écoles maximum et réclame le remplacement des enseignants spécialisés en cas d’absence.
Tous soulignent l’importance de leur travail pour la bonne intégration des élèves accueillis. En majorité issus de l’immigration, ces enfants s’inscrivent souvent dans des parcours de demandes d’asile ou d’autres procédures administratives. “Ces classes, c’est le phare dans la tempête pour eux, pour apprendre à communiquer”, appuie Odilon Foulier de Sud Éducation. Sandrine, citée plus haut, raconte par exemple que des enfants ukrainiens qu’elle suit refusent de parler après avoir fui la guerre. Difficile dans ce genre de cas d’offrir un réel accompagnement avec un nombre d’heures minimales.
71 postes dans le département
Véronique Blua, la directrice adjointe des services départementaux de l’Éducation nationale, ne partage pas le constat dressé par les syndicats. Elle indique “mettre tout en œuvre pour que les élèves suivent les neuf heures” du dispositif et souligne la complexité des chiffres. Si certains ne bénéficient pas de ce nombre d’heures, c’est qu’ils n’en ont pas besoin, assume-t-elle. “Il faut regarder de près le besoin des élèves et leur maîtrise du français. Certains restent six ou sept mois et rejoignent leurs camarades, indique-t-elle. L’enseignement de la langue française ne se résume pas à l’apprentissage en classe“.
Aujourd’hui, il existe 71 postes dans le département pour couvrir 225 écoles. Les services régionaux de l’Éducation Nationale travaillent sur la nouvelle carte scolaire. “Nous avons entendu la demande des 15 postes, mais nous faisons notre propre analyse, pose la directrice adjointe. On dénombre 1266 élèves allophones, mais c’est un chiffre qui évolue sans cesse et qu’on ne peut pas anticiper“. En l’état, les enseignants ont en moyenne 17 élèves dans leur classe au lieu des 15 prévus par les textes.
Le dispositif a vocation à être itinérant, les enseignants doivent être au plus près du terrain.
Véronique Blua, directrice adjointe des services départementaux de l’Éducation nationale
Sur la demande de réduction du nombre d’écoles par enseignant, Véronique Blua ne veut pas fixer de seuil : “Ça mettrait des barrières, puisque d’une année sur l’autre, on ne sait pas où seront inscrits les élèves. Le dispositif a vocation à être itinérant, les enseignants doivent être au plus près du terrain“.
Un nombre d’élèves sous les radars
Le nombre d’élèves dans le besoin est sous-évaluée pour les syndicats. Un constat partagé par Jane Bouvier, présidente de l’association L’école au présent. Depuis plusieurs années, sa structure s’occupe de scolariser des enfants éloignés de l’école qui habitent pour la plupart dans “des tentes, bidonvilles, copropriétés dégradées, hôtel, terrain vague“. Elle cite l’exemple de plusieurs enfants du bidonville de La Barasse (11e) scolarisés à Aubagne, faute de places en classes spécialisées, à proximité.
Elle estime que les moyens alloués à leur accueil n’évoluent pas en raison d’un “manque de volonté politique“. “Le recteur et le préfet délégué à l’égalité des chances sont venus sur place, ils savent les besoins. Les enseignants les prennent en sur-numéraire, sauf qu’après, ils décrochent et on accuse les familles”, fustige-t-elle.
Matériel scolaire insuffisant
L’intersyndicale réclame aussi une augmentation financière du budget pour le matériel pédagogique et des salles de classes dédiées. À Marseille, chaque enseignant a un budget pour le matériel de 91,50 euros par an et ils sont plusieurs à expliquer avoir payé “un rétroprojecteur, un ordinateur ou une connexion internet” sur leurs propres frais. Cette dotation est très disparate en fonction des villes du département, pointent les syndicats.
Double peine pour ceux qui sont en itinérance et se déplacent. Sans salles dédiées, ils ne peuvent pas stocker leur matériel. “Certains font cours dans la classe des maîtres, dans la bibliothèque, dans l’infirmerie et même dans des bouts de couloirs“, égraine Olivon Foulier. “La liste des dysfonctionnements est longue“, soupire Sébastien Fournier. Une prochaine rencontre avec la direction académique est prévue pour le mercredi 1er mars.
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“une école qu’ on ouvre c’est une prison qu’on ferme'” Victor HUGO
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