[Suivez le guide] Une visite à l’aube dans le ballet bien orchestré du marché des Arnavaux

Série
le 20 Juil 2024
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Au cœur de la haute saison touristique, Marsactu plonge le temps d'une série d'été dans l'univers des guides. Qui sont ces professionnels qui racontent Marseille aux visiteurs ? Sur quelle économie repose cette industrie compétitive ? Comment découvrir la ville en évitant les sentiers mille fois balisés ? Dans ce premier épisode, on franchit les portiques non pas d'un grand musée, mais du marché des Arnavaux. En mode touristes.

Notre guide Benjamin Potet et une visiteuse dans les allées des producteurs, au marché des Arnavaux. (Photo : CMB)
Notre guide Benjamin Potet et une visiteuse dans les allées des producteurs, au marché des Arnavaux. (Photo : CMB)

Notre guide Benjamin Potet et une visiteuse dans les allées des producteurs, au marché des Arnavaux. (Photo : CMB)

Il est 4h30 du matin. Toute la ville dort, sauf au Marché d’intérêt national (MIN) des Arnavaux, où l’on approche même de l’heure de pointe. La fatigue se lit sur quelques visages, mais pas sur celui de Benjamin Potet, notre guide du jour. Il patiente tout sourire, vêtu d’un gilet orange. Ce n’est pas l’aube, c’est encore la nuit noire et nous sommes les seuls piétons à l’entrée du marché face aux poids-lourds qui déboulent.

“Ce qui est particulier ici, c’est qu’on fait une visite au milieu de gens qui travaillent, remarque Benjamin Potet. C’était quelque chose que j’appréhendais, mais vous allez voir, 90 % des gens sont très sympathiques, et les autres, ils nous calculent pas, tout simplement.” Ce guide professionnel, par ailleurs président de l’association Provence guide interprète, réalise une fois par mois une visite touristique du marché des Arnavaux depuis 2021. Pour la somme de 20 euros, on participe à une déambulation commentée de deux bonnes heures entre le carré des producteurs de fruits et légumes, et celui des grossistes. Le tout se clôture autour d’une table du restaurant corse qu’abrite le marché, où il est tout à fait accepté de commander une andouillette, une entrecôte, ou une omelette-frites à 7 heures du matin.

Cette visite touristique un peu spéciale réunit chaque mois autour d’une dizaine de curieux. Mais ce 19 juillet, seule Annie s’est levée avec nous. Cette femme retraitée vit entre Paris et Marseille depuis 15 ans. Elle s’est inscrite à la visite, car elle aime bien “voir comment les entreprises fonctionnent de l’intérieur”, explique-t-elle. “Ce que j’aime, c’est que c’est la seule visite industrielle proposée à Marseille, poursuit Benjamin Potet. Et vous allez voir : ici, c’est un ballet très bien orchestré !”

Saison calme

Après le ballet des poids-lourds, le ballet des chariots électriques. Notre visite ne comprend ni les abattoirs de Charal et de Slimani, principalement pour des raisons d’hygiène, ni le bâtiment “arbres et fleurs”, qui ouvre plus tard. Nous voilà donc sur le carré des producteurs, où des paysans des Bouches-duRhône et des départements voisins (Gard, Var…) viennent vendre aux primeurs fruits et légumes de saison. La saison en cours, justement, est la meilleure : courgettes, aubergines, tomates de toutes les couleurs, poivrons… Et les fruits ? “Je vois plein de melons, je vois plein de nectarines…”, énumère notre guide. Derrière lui, quatre hommes retranchés derrière des piles de cagettes coupent leur discussion pour nous regarder passer.

À cinq heures du matin, c’est presque déjà la fin de la journée ici. Les palettes de fruits et légumes sont empilées, déplacées, distribuées tout autour de nous. La seule grande différence avec un marché normal, c’est qu’aux Arnavaux, les transactions sont plutôt silencieuses. Les acheteurs déambulent tranquillement, et chaque vente se négocie en tête-à-tête, au cas par cas. “Vous voyez des prix sur les cagettes ? Non. Voilà”, explique Benjamin Potet.

Mais ce début d’été ne se passe pas si bien que prévu. Tous les producteurs que nous croisons nous le disent : “c’est difficile, cette année. Le contexte, les élections…”, explique Miloud, un jeune homme qui travaille pour une exploitation dans les Alpilles. “Mais les gens, élections ou pas, ils continuent bien à manger !”, s’étonne la visiteuse Annie. “C’est pas si simple ! Avec l’incertitude… Faut pas croire, c’est des temps difficiles pour les gens. Et les touristes ne sont pas tous descendus comme prévu. Je dirais qu’on a 15 % d’activité de moins que d’habitude”, poursuit Badir, le supérieur de Miloud.

Des paysans et des mécontents

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la saison estivale est une période plus calme que le reste de l’année aux Arnavaux. L’afflux de touristes dans la région ne vient pas compenser les fermetures annuelles de commerces et les départs en vacances des locaux. D’ailleurs, en août, pas de visite du marché avec Benjamin Potet : “on fait une pause. Et j’apprends qu’ici, plusieurs grossistes ferment à ce moment là, en plus”. Cela n’empêche, le vendredi, jour de visite, reste le moment le plus intéressant de la semaine. “C’est là que les primeurs viennent acheter leurs marchandises pour le week-end”, explique le guide, cherchant le regard approbateur des professionnels. “Oui, c’est vrai”, répond un homme qui fait tous les marchés de Marseille depuis 45 ans. “Prado, Joliette, La Plaine… 45 ans, ça passe vite”, soupire-t-il.

Ces entrepôts fournissent la majorité des fruits secs que l’on trouve en vente à Marseille. (Photo : CMB)

“C’est plus comme avant, ici”, soupire une autre. Cette paysanne à la retraite affirme que son exploitation familiale est la dernière de Marseille. Elle est aujourd’hui tenue par son fils. “Les paysans… C’est plus les mêmes”, déplore-t-elle. Elle ajoute à voix basse au passage de deux hommes dans son dos :“ceux-là ? C’est pas des vrais paysans.” Puis enfin : “vous avez déjà vu des paysans qui vivent dans des HLM ?” Et : “je peux vous dire que les jours où la police passe faire le ménage, ceux-là, ils disparaissent en moins de deux”, insiste-t-elle dans une sortie aux relents racistes.

On nous explique par ailleurs que oui, il arrive que la police viennent traquer les revendeurs se faisant passer pour des producteurs directs et autres trafics potentiels. Et que si la vente est ici strictement interdite aux particuliers, on peut fermer les yeux quand deux ou trois familles précaires débarquent à l’aube pour récupérer quelques denrées. “On est au cœur des quartiers Nord, quand même.” On nous parle aussi d’un homme bien connu du lieu, qui récupère les cagettes vides encore en bon état pour les revendre. Ça évite de jeter. C’est aussi tout ça, le marché des Arnavaux.

Marché mondial

Direction la deuxième étape, le carré des grossistes. “C’est déjà un autre monde“, prévient notre guide. Le soleil se lève tout doucement. Ici, c’est moins un marché qu’une succession d’entrepôts affichant des bilans carbone de toutes sortes : des pêches de Perpignan, des tomates et des oranges d’Espagne, des ananas récoltés au Costa Rica par une entreprise irlandaise, des fruits de la passion vietnamiens, des fruits secs tunisiens, des citrons italiens, de l’huile d’olive algérienne… Dans le carré des producteurs, les denrées sont débarrassées chaque jour. Mais ici, chacun dispose de son local en dur.

Le jour se lève depuis le carré des grossistes au marché des Arnavaux. (Photo : CMB)

On passe même dans une sorte de réfrigérateur grand comme une moyenne surface et maintenu à trois degrés, dans lequel on trouve des fromages AOP de toute la France. “On a créé ce pôle froid il y a trois ans”, explique Jean, le responsable. En été, ses ventes tiennent en trois mots : “burrata, mozza, feta”. On termine par l’entrepôt des bananes, où l’on découvre le processus de mûrisserie : des pièces grandes comme des conteneurs, qui abritent des centaines de cartons abritant eux-mêmes des bananes enfermées dans des sacs plastiques, maintenues ici sous gaz et pendant 24h à la température précise de 17,5 degrés. Après quoi, elles virent petit à petit du vert au jaune. Les couches de plastiques autour de ces fruits qui ont traversé l’océan laissent passer une odeur enivrante. “Avant, j’en mangeais, aujourd’hui, les bananes, j’en peux plus”, confie l’un des salariés de l’entrepôt.

À l’heure où nous sommes invités à déguster une gigantesque omelette-frites (avant que le soleil ne brille vraiment), le marché des Arnavaux, 19 fois plus petit que celui de Rungis, se vide de ses poids-lourds et camionnettes. Pour notre guide Benjamin Potet, une sieste s’impose avant d’enchaîner sur d’autres visites l’après-midi. Parfois au Panier, au Vieux-Port, à la fondation Vasarely et finalement, dans toute la Provence. “En général, les visiteurs aux Arnavaux sont souvent déjà du coin”, note-t-il. Il n’est que 6 h 30 et la journée vient juste de commencer. Dans le bus 38 qui dessert ce secteur des quartiers Nord, on s’entasse déjà. Mais dans le centre-ville, les touristes dorment encore.

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Commentaires

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  1. Fp Fp

    Bonne idée que de mettre en lumière ces visites inédites ! Merci

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