[Suivez le guide] Raconter Marseille, les grands écarts d’un métier aux mille itinéraires

Série
le 8 Août 2024
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À Marseille, des centaines de guides font découvrir des facettes de la ville, en quelques heures, à des touristes de passage ou à des curieux voulant en savoir davantage. Pour ce quatrième volet de notre série d’été, Marsactu a voulu comprendre les coulisses de ce business.

Olivier Duvallet, guide conférencier à Marseille, accompagne des touristes et des croisiéristes à travers la ville. (Photo : AC)
Olivier Duvallet, guide conférencier à Marseille, accompagne des touristes et des croisiéristes à travers la ville. (Photo : AC)

Olivier Duvallet, guide conférencier à Marseille, accompagne des touristes et des croisiéristes à travers la ville. (Photo : AC)

Le rendez-vous est fixé devant le Burger king du Vieux Port, au bas de la Canebière. Sophie et Jean-Pierre sont venus de Québec pour assister à des épreuves des Jeux olympiques à Marseille. Avant de partir à Nice pour suivre un deuxième match de football, le couple a décidé de s’inscrire à une visite guidée. Lauriane rend visite à sa sœur à Marseille. La sportive trentenaire profite de son séjour pour découvrir la ville autrement, elle qui la connait à force de venir tous les étés rendre visite à sa famille. Ensemble, ils suivent Olivier Duvallet pendant 3 h 30 pour une randonnée urbaine. C’est la dernière visite du guide à la tignasse rebelle avant ses vacances. Car, paradoxalement, la saison estivale est plus calme pour les guides touristiques que le printemps et la rentrée, périodes riches en groupes scolaires et en séjours de team building.

Premier stop au palais du Pharo. Le petit groupe en profite pour admirer la vue et faire quelques photos. Le Marseillais de 42 ans leur montre au loin le port et les bateaux de croisière à quai. Nombreux sont les croisiéristes se déversant sur la ville en cette période estivale. Une vraie manne pour les guides touristiques. Du côté de Costa Croisière, on estime par exemple qu’il peut y avoir jusqu’à 3 200 personnes sortantes de chaque bateau, dont un tiers souhaite faire une visite guidée. Celles-là sont accueillies dès 8 h 30 par une trentaine de bus avec autant de guides à l’intérieur. Ces groupes sont dispersés entre Marseille, Aix, Avignon, Arles avant de devoir retourner au bateau en fin d’après-midi vers 16 h 30, 17 h. Et c’est peu ou prou la même chorégraphie pour toutes les compagnies de croisière.

Olivier Duvallet fait partie des guides qui les accueillent pour partager une partie de l’histoire de cette ville. À Marseille comme ailleurs, la profession révèle une grande diversité de trajectoires professionnelles et de pratiques. Tour d’horizon des guides touritiques marseillais.

Les americains généreux

Certains guides ne travaillent presque qu’exclusivement avec les croisiéristes. C’est le cas de Claire Mouhot, qui consacre “90%” de son temps à ces bateaux. “Je pourrais bosser tous les jours si je voulais”, illustre-t-elle en feuilletant son agenda. Malgré sa maitrise de l’espagnol et de l’italien, elle ne travaille qu’en anglais, par choix. Elle ne cache pas qu’elle privilégie les touristes américains, connus pour leur générosité. “On peut gagner la moitiée de notre paie en plus”, confesse cette Niçoise de naissance. Ces pourboires sont d’ailleurs à l’origine de nombreuses tensions entre guides et chauffeurs de bus. “Nous sommes la seule région de France où les guides doivent partager leurs pourboires avec les chauffeurs”, s’offusque Claire Mouhot qui “ne trouve pas ça tout à fait juste” mais essaie de garder de bonnes relations avec les conducteurs.

Mais le système des croisières revient à “de l’abattage” déplore Simon Labussière, guide arrivé à Marseille l’année dernière. “Dans ces conditions, on indique davantage les toilettes et les boutiques de cartes postales qu’autre chose.” Lui ne travaille pour le moment pas avec les croisiéristes mais ne se ferme pas de porte pour autant. Élodie Marie a quant à elle construit son modèle en opposition au tourisme de masse. Elle propose avec ReiseTrip Tours ses propres visites guidées autour du yoga, de la voile ou encore du pastis, le tout s’inscrivant dans une démarche de tourisme social et solidaire… même si ses clients sont parfois paradoxalement des grandes entreprises au bilan carbone massifs, comme Total ou Hermes qui organisent des séminaires pour leurs collaborateurs. Un paradoxe qu’elle essaye de dépasser.

Extrême disponibilité

“Le problème des croisiéristes, ce sont les arrivages massifs mais en plus, ils préviennent à la dernière minute”, déplore la guide conférencière de 41 ans. Les guides doivent faire preuve d’une extrême disponibilité. Les agendas sont prévus en début d’année mais les visites ne sont confirmées ou annulées que la veille. En effet, les passagers sur le bateau de croisière peuvent réserver les visites jusqu’au dernier moment, il est donc assez difficile de prévoir le nombre exact d’autobus requis. Les guides se refilent ainsi quotidiennement sur des groupes WhatsApp des visites qu’ils ne peuvent pas honorer, un casse-tête de dernière minute quotidien. “C’est difficile de s’organiser, mais ça fait partie du jeu”, s’en accomode Claire Mouhot. Elle regrette cependant que les compagnies prévoient systématiquement trop de guides. Entre janvier et mars, elle décompte quinze annulations, autant de journées payées en moins.

Ne pas travailler est parfois assumé. Benjamin Potet a fait le choix personnel de ne pas se rendre au port quand il y a plus de “quatre ou cinq bateaux” à quai. Les visites pour les croisiéristes représentent ainsi un tiers de ses revenus et 40 % de son temps. À l’aube de ses 40 ans, il est très conscient des effets du tourisme de masse. “Il ne faut pas tuer ce dont on vit. Par exemple, il faut faire attention à ne pas débarquer à plusieurs bus dans le même petit village.” S’il fait remonter cette revendication en tant que président de l’association Provence guide interprète, il n’a pas de prise sur la répartition des cars. Pour limiter les nuisances sonores, il a récemment investi dans un système de radio et de casques pour ne pas avoir “à gueuler”. Évitant de gêner les habitants et se blesser la voix, phénomène assez courant dans cette profession.

Croisièristes, touristes fortunés ou simples curieux, les guides travaillent avec plusieurs types de publics. (Photo : AC)

Ayant vécu plusieurs années au Brésil, Benjamin Potet est un des seuls guides de tout Marseille à maitriser le portugais. Pas peu fier de ce monopole, il a le luxe de choisir ses visites et de pouvoir plus facilement imposer ses prix. Fixer ses tarifs n’est pas la partie la plus facile pour Élodie Marie, qui cherche à ne pas dévaloriser son travail sans proposer un tarif trop élevé, au risque de perdre sa clientèle. “Une grosse partie de notre journée n’est pas rémunérée : le temps pour créer les circuits, pour faire les devis, les factures. On est uniquement payés à la prestation”, souligne-t-elle.

À Marseille, les guides ont besoin d’un revenu fixe.

Simon Labussière

Pour survivre dans cet environnement précaire, Élodie Marie donne durant la période scolaire des formations de prise de parole en public. De son côté, Claire Mouhot est professeure dans un BTS tourisme. Simon Labussière a également une activité complémentaire : il travaille 13 jours par mois à la fondation Regards de Provence. “À Marseille, les guides ont besoin d’un revenu fixe”, constate-t-il. L’office de tourisme de Marseille rémunère 85,44 euros bruts les deux heures de visite en tarif plancher pour ses guides salariés. Ce qui peut paraitre à première vue conséquent alors qu’en réalité, les guides ne travaillent pas toute la semaine en continu et surtout pas toute l’année. Sur les 70 guides inscrits dans le fichier de l’office de tourisme, la grande majorité a le statut d’autoentrepreneur et fixe ses propres grilles.

L’office de tourisme de Marseille ne fait appel qu’à des guides, dans l’immense majorité des femmes, qui possèdent une carte professionnelle de guide-conférencier. “On est une institution publique et on défend le métier”, assure Fabienne Bonsignour qui travaille depuis une vingtaine d’années à l’office de tourisme. Environ 35 visites mensuelles sont proposées en neuf langues. Les guides germanophones et ceux qui parlent le mandarin se font rare, d’autant plus que la demande augmente. Depuis début juillet, trois vols hebdomadaires en provenance de Shanghai atterrissent à Marseille.

Guider sur son temps libre

En parallèle de ces trajectoires professionnelles, plusieurs passionnés de Marseille s’improvisent guides par volonté de partager leur ville. C’est le cas de Marine Rodriguez qui s’est lancée il y a deux ans, sur les conseils de son entourage l’ayant toujours vue passionnée par l’histoire et les langues étrangères. Assistante commerciale dans une entreprise alimentaire en semaine, la trentenaire accompagne des visiteurs pendant une à deux heures dans le centre-ville marseillais en français, anglais ou espagnol. Ils prennent contact avec elle via des sites qui répertorient des guides touristiques.

En quatre ans, Claude, derrière le compte Instagram @mon_marseille aux 18 000 followers a déjà guidé plus de 1 000 personnes en chair et en os. Lui qui a commencé à faire découvrir Marseille à travers des photos, guide des touristes sur son temps libre, à côté de son métier. Il l’assure, selon lui, “il y a de la place pour tout le monde pour faire découvrir Marseille” et ne se perçoit pas une concurrence aux guides-conférenciers.

Parfois, les visites sont plus artistiques. Le comédien Jean-Marie Arnaud Sanchez propose des promenades urbaines, dans le Panier ou à l’Estaque, le quartier où il réside. Des balades à mi-chemin entre le théâtre et la visite guidée. “Si à la fin les gens me donnent de l’argent, c’est que j’ai été un guide, s’ils m’applaudissent c’est que j’ai été un comédien et si on va boire un verre, c’est qu’on est devenu copains”, résume-t-il à sa façon.

Ce qui agace les guides conférenciers, ce sont davantage les “free tour”, des guides qui ne se rémunèrent qu’au pourboire. “Au-delà de ne pas payer les cotisations sociales, j’ai l’impression que ça dévalorise notre métier”, analyse Benjamin Potet. Cette activité est vue par beaucoup comme étant de la concurrence déloyale qui tire les prix par le bas. “On est pollués par les free tours. Ces gens-là ne sont pas diplômés, c’est juste de la collecte d’argent et on ne peut pas vérifier leurs informations”, renchérit Fabienne Bonsignour, responsable du service visite guidées à l’office de tourisme de Marseille.

Comme beaucoup de guides-conférenciers, Olivier Duvallet a eu une autre carrière avant celle-ci : il était urbaniste. (Photo : AC)

Derrière le palais du Pharo, Olivier Duvallet propose à son groupe ce jeudi-là une pause à l’ombre sur les marches. “J’ai été urbaniste dans une autre vie donc je me balade jamais sans une carte.” En la dépliant sur le sol, il commence à leur présenter la ville face à la mer. “J’ai eu envie d’urbanisme parce que c’était une ville décrépie et envie de la partager parce qu’elle va mieux”, sourit Olivier Duvallet. Il est loin d’être le seul guide à s’être reconverti par le passé. Simon Labussière partage cette expérience, qui pour lui est quasi nécessaire : “Je ne vois pas comment on peut être guide conférencier à vingt piges. C’est un métier passion et on ne se retrouve pas à faire ce métier par hasard”, assure-t-il, lui aussi auparavant urbaniste.

Présenter la ville, c’est aussi tenter de casser les clichés. “Je rassure les touristes, surtout les Français qui pour certains ont peur de Marseille”, constate Marine Rodriguez. “Le touriste veut qu’on lui parle du folklore local : pastis, pétanque, savon… Il faut presque cocher les cases. J’essaye d’équilibrer de manière à  proposer ces aspects sans en faire des tonnes”, explique Simon Labussière, qui confie que son absence d’accent marseillais a pu décevoir certains touristes.

Le plus important pour eux c’est qu’ils passent un bon moment finalement”, lance Benjamin Potet qui s’attache à ne pas noyer les touristes sous trop d’informations. Le jour de notre visite, comme à son habitude, Olivier Duvallet est quant à lui frustré de ne pas avoir pu raconter tout Marseille à son groupe. Mais à l’heure de faire ses bagages, il l’assure : il ne suivra pas de visite guidée pendant ses vacances.

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Commentaires

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  1. kukulkan kukulkan

    Très variant le niveau des guides à Marseille et en général. Mention pour les tours lgbt, tour du marseille colonial, gangster tour et tour sur la prostitution à Marseille !

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  2. remi vezian remi vezian

    Bonjour, vous devriez parler des greeters, des marseillais qui font découvrir leur Marseille à ceux qui en font la demande sur le site greeters Marseille Provence. Nous sommes tous bénévoles et les dons récoltes permettent e payer les frais de l’association. Une grande convivialité se développe entre une famille et le greeter permettant de découvrir un quartier de Marseille sous un autre regard.
    Essayez!
    Remi vezian 06 17 63 63 84

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    • julijo julijo

      Merci pour l’info.
      Il m’est arrivé de suivre deux ou trois fois un guide “officiel” dans différents quartiers de Marseille, en accompagnant des proches qui ne connaissaient pas la ville, j’avoue que j’ai toujours été un peu déçu.
      Les propos sont toujours très généraux, et souvent anecdotiques.

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  3. Karo Karo

    Il y a aussi les ballades des artistes marcheurs du bureau des guides du GR2013 qui permettent de découvrir Marseille et le territoire métropolitain sous un autre regard
    https://bureaudesguides-gr2013.fr/

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