Soupçons de fraude aux procurations chez Vassal : “ça peut nous faire perdre la Ville”

Martine Vassal en janvier 2020 (Image LC)

Sa première sortie publique était pour soutenir les policiers, majoritairement membres du syndicat Alliance, après les manifestations récentes contre les violences policières. Martine Vassal est apparue vendredi matin devant l’Évêché, siège de la direction départementale de la sécurité publique, ceinte de l’écharpe bleu-blanc-jaune de présidente du conseil départemental. La presse avait été prévenue moins de deux heures avant et les élus LR avaient été appelé à “faire bloc”, selon l’expression d’un participant, autour de la candidate à la mairie de Marseille.

La presse l’y attendait sur un tout autre sujet. Jeudi soir, les publications de deux reportages par Marianne et France 2 sont venues contrarier la campagne de la candidate. Elles décrivent un système organisé par une élue des 11e et 12e arrondissements et une candidate des 6e et 8e arrondissements, la comédienne Géraldine Lapalus, pour récupérer des procurations en faveur de Martine Vassal, sans passage des électeurs au commissariat ou au tribunal. Le reportage de France 2, diffusé devant 5,6 millions de téléspectateurs, montre une citoyenne reçue dans le local de campagne de Martine Vassal, rue Paradis, pour signer une procuration pré-remplie. Il lui est stipulé qu’elle n’a ensuite plus rien à faire puisque les procurations seront validées sans aller “au commissariat” sans que la personne ne s’y présente. Le procédé est manifestement illégal. La loi stipule en effet que “l’électeur doit se présenter en personne” ou qu’un policier vienne à son domicile en cas d’impossibilité de se déplacer. “Le non-respect de cette procédure est de nature à alimenter des contentieux devant le juge électoral à l’issue du scrutin, sans compter d’éventuelles poursuites judiciaires”, a rappelé dans un communiqué le préfet de région Pierre Dartout

Devant l’Évêché, Martine Vassal n’a pas l’intention de répondre aux journalistes. Elle évoque une “cabale” montée par “des journalistes parisiens”. Son communiqué matinal était bien moins offensif et plus précis : “Si ces faits sont avérés, ils sont inacceptables. Je n’admets pas que quiconque puisse enfreindre les règles et condamne sans réserve ces pratiques. J’en tirerai le cas échéant toutes les conséquences et je demande à celles et ceux qui auraient pu y contribuer de se mettre en retrait de la campagne et de leurs mandats s’ils venaient à être élus”.

Les opposants attaquent

La nouvelle fait l’effet d’une bombe dans la campagne. Ses adversaires dénoncent la manipulation. À quelques mètres d’elle auprès des policiers en colère, Stéphane Ravier (RN) enfonce le clou : “Je ne suis pas étonné. On subit en particulier une campagne de voyous sur les 13/14. Ils viennent sur les terrains de boules avec la sono, dans les gymnases. Ils s’estiment en terrain conquis. La République ce sont ceux qui en parlent le plus qui la piétine le plus. Aujourd’hui, elle était devant la grille de ce commissariat, demain, peut-être qu’elle sera derrière la grille.”

Dans un communiqué, le Printemps marseillais demande l’intervention de l’État, garant de la sincérité du scrutin et de la Ville, organisatrice des opérations électorales. “Le préfet et le maire de Marseille doivent dès aujourd’hui tout mettre en œuvre pour garantir la sincérité du scrutin du 28 juin 2020, écrit le rassemblement de la gauche arrivé en tête au premier tour. C’est de leur responsabilité de préserver la démocratie dans notre ville. Une saisine officielle du Printemps marseillais sera faite en ce sens. Toutes les clarifications doivent être apportées avant la date du second tour. Marseille n’est pas une zone de non-droit.” La question d’une plainte restait débattue vendredi soir : “beaucoup, notamment dans son entourage poussent à une plainte mais Michèle Rubirola n’a pas encore tranché la question”, soufflait un candidat.

Frère ennemi de Martine Vassal, le candidat divers-droite Bruno Gilles ne cite pas son opposante mais propose bien le concours de la justice pénale. “C’est au procureur de la République de se saisir de cette affaire, estime-t-il. Il souhaite aussi que “les procurations douteuses [soient] annulées”.

Le difficile contrôle des procurations

La demande est légitime mais l’application semble délicate : comment différencier une procuration normale d’une procuration viciée ? “S’il y a un tampon et que celui-ci est valide, cela devient en effet compliqué de prouver la fraude”, admet une source policière. Il est aussi difficile de connaître l’ampleur du système potentiellement mis en place par Martine Vassal et son équipe. Dans la journée, opposants comme internautes lambda n’ont pas manqué de faire remonter soupçons et étonnements. Les formulaires de procuration remplis sur la plateforme prévue à cet effet sur le site de la candidate seront-ils remis en question ? Il n’y a rien d’inhabituel à ce qu’un candidat oriente ses électeurs potentiels vers un autre citoyen prêt à porter leur procuration, même en ligne, mais comment être sûr que le passage au commissariat a été fait par la bonne personne ?

Dans l’équipe de campagne de Martine Vassal, c’est pour plusieurs membres “la consternation” qui prédomine. Chacun sait que ces questions vont revenir avec insistance dans les quinze jours de campagne restants. “Nous avons fait une faute, elle est manifeste. On est dépités, on est vraiment les derniers des cons. On ne sait pas ce qui s’est passé, c’est surnaturel”, assure un lieutenant de la candidate. Lui se dit persuadé que “d’autres font bien pire et on le sait”.  Un autre analyse le moment : “On sait que la presse va continuer à gratter et ne va pas nous lâcher. Ce qui est terrible, c’est que le reportage se termine dans le local de Martine, ça sous-entend qu’il y avait pas mal de monde au courant. Cela peut avoir des conséquences sévères. Cela peut nous faire perdre la Ville cette histoire.”

Dans l’entourage de la candidate, on promet donc une réaction “plus forte” dans les jours qui viennent. Lundi matin, une réunion d’état-major réunissant les collaborateurs et les principaux candidats devrait acter la stratégie à adopter. Pour l’heure, ni la préfecture ni la procureure de la République n’ont fait de commentaire sur cette affaire. De bonne source, on indique que peu de procurations ont été à ce stade enregistrées à Marseille.

(avec Pierre Isnard-Dupuy)