Soulagement dans le camp Macron, “on nous annonçait l’apocalypse”

Au QG de La République en Marche, un restaurant du quartier de la Joliette, à l'annonce des résultats à 20h. (Photo Emilio Guzman)

“Moi, j’ai cru qu’on était mort.” Il est 21 h et Jean-Luc, un militant marseillais de La République en Marche, s’offre un soupir. Les résultats sont tombés depuis une petite heure et le président sortant, Emmanuel Macron, vire en tête, crédité de plus de 28%. “À un moment, avec les derniers sondages qui tournaient j’ai pensé qu’on serait même pas au second tour”, glisse cette petite-main de la macronie locale.

Ce dimanche soir, sur les coups de 19 heures, dans un restaurant du quartier de la Joliette, ils étaient une soixantaine de personnes à se réunir. Des militants comme Jean-Luc, mais aussi plusieurs élus régionaux tels que Jean-Pierre Serrus, maire de La Roque d’Anthéron et vice-président de la région aux transports, ou encore Bertrand Mas-Fraissinet, référent départemental. Ainsi que quelques députés comme Cathy Racon-Bouzon, Alexandra Louis et Saïd Ahamada. L’ambiance n’est pas à la grosse bamboche. Chacun paye ses consommations. Le sondage belge qui donne Macron et Le Pen au coude-à-coude à 24% trotte dans toutes les têtes. Il faut attendre 20 h pour voir défiler sur l’écran les premières projections, accueillies par une explosion de joie.

“Les sondages n’étaient pas porteurs d’optimisme, mais notre bilan, oui.”

Estelle, militante LREM

Ces résultats semblent “un peu inespérés” à une sympathisante marseillaise. Ils sont nombreux à afficher “leur satisfaction”, comme Jean-Pierre Serrus : “Alors que l’on nous annonçait l’apocalypse”, dit celui qui, comme tous ici, s’inquiète “de voir le populisme nationaliste s’ancrer”. Cathy Racon-Bouzon reconnaît elle aussi une pointe “de soulagement”, rassurée “de voir que le président améliore son score de 2017 et élargit son socle électoral”. Estelle Faure, étudiante de 19 ans et responsable des Jeunes avec Macron sur Marseille, synthétise, sûre de son fait : “Les sondages n’étaient pas porteurs d’optimisme, mais notre bilan, oui.”

“Tu te rends compte ? Encore 5 ans ?!“

La permanence du député insoumis et candidat à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon n’est qu’à quelques dizaines de mètres de là, sur la butte des Carmes. Il est 21 heures à peine passées lorsqu’un “putain…” vient troubler le silence du local de la rue Astouin. Avec une arrivée en troisième position à 22%, juste derrière Marine Le Pen, la déception est grande parmi les militants. “C’est très triste pour les Français, c’était la seule candidature réellement populaire pour la France“, constate, acide, Mohammed Bensaada, co-chef de file du parti dans la 3e circonscription.

L’amer sentiment d’avoir loupé une occasion concrète d’accéder au pouvoir est partagé par tous les militants qui, abasourdis, peinent à comprendre ce qu’il a manqué. “Je suis dégoûtée. On avait de bons retours du terrain, mais est-ce que tout le monde a voté ? Et dans les quartiers populaires ? Je ne comprends pas… “, soupire Meriem Lalidji, militante insoumise. “Tu te rends compte ? Encore cinq ans ?!“, se plaint-elle auprès d’un autre militant qui acquiesce. “En 2027, dans quel état on va retrouver le pays ?“. L’inquiétude est d’autant plus grande que beaucoup d’Insoumis sentaient la victoire à portée de main. “Il a manqué trois semaines pour l’emporter, on avait une bonne dynamique, on pouvait le faire : on le savait et on en a la preuve ce soir. Forcément on ne peut que regretter de ne pas s’être regroupés à gauche, avec le Parti communiste français : ça nous a barré le chemin“, assure Hendrick Davi, co-chef de file de la 5e circonscription, pour l’Union Populaire.

Porte close

Une télévision en boucle sur BFM. Et quelques chaises installées devant. C’est en tout cas ce que peuvent voir les journalistes depuis le trottoir, par-dessus la tête des agents de sécurité qui gardent la porte. À 21 heures, du côté de la place Castellane, la fédération départementale du Rassemblement National reste porte close. La presse n’est pas invitée à la soirée. Les militants se comptent sur les doigts d’une main à l’approche de 22 heures. Les principaux représentants locaux du parti se sont rendus à Paris.

“On sait que si on fait une belle campagne de terrain Marine passera la barre des 50%.”

Maximilien Fusone, élu RN

De toute façon, l’ambiance n’est pas à la fête. Les militants marseillais du RN ont plutôt l’esprit au second tour. “C’est surtout une soirée pour récompenser ceux qui ont fait la campagne”, expliquent les organisateurs. Pour la liesse totale, les militants d’extrême-droite disent attendre le 24 avril au soir. “Je remercie tous ceux qui ont donné de leur temps pour que Marine puisse être au second tour, souligne Maximilien Fusone, conseiller régional RN qui ajoute : “On sait que si on fait une belle campagne de terrain Marine passera la barre des 50%.”

Chronique d’une mort annoncée

Les soirées électorales sont ainsi faites. Un temps pour l’allégresse, un temps pour penser à la suite. À la Joliette, chez les macronistes, la petite assemblée a rapidement le regard tourné vers un double objectif : le second tour, d’abord ; mais les législatives, aussi. Saïd Ahamada, député de 7ᵉ circonscription des Bouches-du-Rhône, s’en défend. Les législatives ? “Ah non ! On n’en parle pas encore, pas avec une Marine Le Pen au second tour. Tout le reste passe après ce combat-là !”

Les élections qui verront éclore la nouvelle majorité à l’Assemblée nationale sont dans de nombreuses têtes, pourtant. Bruno Gilles, ex Les Républicains devenu le référent local d’Horizons – le mouvement d’Edouard Philippe, composante de la majorité présidentielle – n’élude pas la question. La soirée acte d’abord le “naufrage” de son ancienne famille politique. Cette “chronique d’une mort annoncée” inéluctable qui voit Valérie Pécresse s’échouer à moins de 5%. “Depuis des années, on sait que cette recomposition va arriver. Nous y sommes. Désormais on appelle la droite à se restructurer autour de nous, autour d’Édouard Philippe. Ceux qui choisissent la voie de l’extrême-droite, c’est leur problème”, cadre-t-il.

Rachida Tir, la suppléante du député Saïd Ahamada passe une tête. Elle égraine les bons scores de Jean-Luc Mélenchon dans les quartiers populaires : “Les électeurs font passer un message, il faut l’entendre. Il faut que Macron se fabrique une aile gauche. Sinon, pour les législatives ce sera dur. Si on n’a pas les quartiers populaires avec nous, je ne vois pas comment on peut gagner.”

“Pour les législatives, ça va tirailler, d’ailleurs ça tiraille déjà! Mais il n’y aura pas de place pour tout le monde.

Caroline Pozmentier-Sportich, élue LREM

Alors que les QG se vident, les premiers résultats marseillais se consolident. Dans les 7e, 8e et 9e arrondissements de Marseille Emmanuel Macron arrive premier et améliore nettement ses scores de 2017. Dans ces territoires traditionnellement acquis à la droite marseillaise, il bénéficie du ralliement d’anciens cadres LR, Renaud Muselier, Martine Vassal ou Lionel Royer-Perreaut. Autant d’arguments que ne manqueront pas de rappeler les nouveaux venus dans la galaxie macroniste au moment de la distribution des investitures… Dans le restaurant de la Joliette, Caroline Pozmentier-Sportich, ex-élu municipal de l’équipe Gaudin qui a quitté LR pour rallier la majorité présidentielle dès 2017, en convient : “Pour les législatives, ça va tirailler, d’ailleurs ça tiraille déjà ! Mais il n’y aura pas de place pour tout le monde. Et puis, je suis assez sévère, mais on ne peut pas faire du recyclage. Nos concitoyens veulent de nouveaux projets, de nouveaux visages.”

Cette tension entre les représentants de LREM canal historique et les ralliés de la dernière heure, Bertrand Mas-Fraissinet, le référent départemental d’En Marche, veut l’évacuer pour que les troupes restent concentrées sur le second tour. Il n’empêche, il le sait, à quoi bon gagner la présidentielle sans se forger une majorité pour gouverner ensuite ? “Des choix seront faits pour placer dans les circonscriptions ceux qui peuvent l’emporter, il faudra mettre les sentiments à l’écart.” Voilà les candidats à l’investiture prévenus. L’allégresse est vide retombée.

“La gauche de demain elle est avec nous ou elle n’existera pas“

Du côté de la LFI, la permanence du député glisse également vers la fin de soirée. Et les législatives s’invitent aussi dans les discussions. “Maintenant il va falloir les motiver pour aller voter aux législatives, et ça, c’est pas gagné…” remarque un jeune militant. Déçus mais revigorés par leur score, les Insoumis marseillais veulent voir dans cette défaite une nouvelle étape dans la reconstruction de la gauche, autour de leurs idées. “La gauche de demain elle est avec nous ou elle n’existera pas” assume Katia Yakoubi, co-responsable chargée des quartiers populaires. “Ce soir on est tristes, mais aussi en colère contre ceux qui, à gauche, ont préféré placer leurs pions pour les législatives plutôt que de se réunir pour gagner”, reprend Mohammed Bensaada, dépité.

Vaisselle cassée

Derrière la porte close de la fédération départementale du Rassemblement National, les élections au palais Bourbon agitent également les esprits. Franck Allisio, secrétaire départemental du RN dans les Bouches-du-Rhône, observe “une belle stabilité” de son parti “renforcée par le score de Zemmour”. Mais il ne tend pas pour autant la main au frère-ennemi – malgré son appel à voter Le Pen au second tour – pour la suite. Le départ fracassant du sénateur marseillais Stéphane Ravier a laissé des traces : “Avant de partir il a cassé la vaisselle, brisé les meubles et foutu le feu à la maison”, argumente Franck Allisio au sujet du sénateur RN qui a soutenu Zemmour.

Rien ne dit que les deux formations d’extrême droite ne trouvent un terrain d’entente en vue des législatives. “Reconquête [mouvement de Zemmour, ndlr] aura vocation à être présent aux prochaines échéances électorales”, prévient Antoine Baudino coordinateur départemental de Reconquête et conseiller du sénateur Stéphane Ravier. “Mais aux législatives, rien ne dit que l’électeur de Zemmour ne vote Reconquête,” pique en retour Franck Allisio.

Dans les QG, on a jeté les dernières chips, forcément molles en fin de soirée et remisé les assiettes en papier non utilisées pour dans 15 jours. Dès ce mardi matin, la bataille reprend.

Coralie Bonnefoy, Iounès Disdier et Marie Lagache