SOS Méditerranée à l’abordage des classes marseillaises

Reportage
le 15 Déc 2016
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L'ONG créée il y a un an dans le but de porter secours aux migrants qui chavirent en mer pour rejoindre l'Europe a lancé une série d'interventions en milieu scolaire. Avec pour objectif de sensibiliser les plus jeunes à son action, mais aussi à la question de la migration. Marsactu a suivi deux bénévoles dans une école des beaux quartiers marseillais.

SOS Méditerranée à l’abordage des classes marseillaises
SOS Méditerranée à l’abordage des classes marseillaises

SOS Méditerranée à l’abordage des classes marseillaises

“Vous êtes des relais”. Face à une petite cinquantaine d’ados, deux bénévoles de SOS Méditerranée tentent d’expliquer le travail de leur ONG, vieille d’un an à peine. C’est classique, le vidéo-projecteur ne veut pas marcher ce matin là au lycée Notre-Dame de France et l’intervention se fera donc a capella, sans filet. Dans le cossu petit établissement privé du chic quartier Vauban, les élèves, cheveux ébouriffés et attitude nonchalante comme il se doit quand on est en seconde, ont pris place dans une grande salle de classe ensoleillée. Ce sont eux, donc, les relais, dont on ignore, à ce stade, tout des opinions et des a priori

Depuis le printemps dernier l’association en partie marseillaise SOS Méditerranée, en plus d’appareiller sans interruption un bateau pour sauver les vies de migrants au large des côtes libyennes, s’invite dans les salles de classe de la ville. Au delà de défendre ses propres actions, SOS Méditerranée entreprend ainsi de sensibiliser une génération à la question de la migration.

“Nous avons décidé de faire venir ces intervenants pour ouvrir notre nouveau cycle d’éducation morale et civique sur le thème de l’égalité. Mais nous aurions pu les faire venir pour le cycle sur la fraternité ou la liberté”, pose en introduction Marie Lejeune, la discrète mais énergique professeure de français, cheveux tirés en arrière et chemisier blanc.

“Traverser la mer n’est pas une option”

Différentes formes de silence vont se succéder au cours de l’heure. Un silence saupoudré d’appréhension d’abord. Jean-Yves Abécassis, bénévole de l’association, prend la parole en premier pour faire un tour d’horizon de la situation générale. Ce qui a motivé les fondateurs de SOS Méditerranée, c’est “un désastre humanitaire” et surtout l’absence de “réaction des autorités européennes” qui a suivi en 2014, la fin de l’opération mare nostrum de secours en mer par la marine italienne. Toutes sortes d’informations un peu touffues que les jeunes ouailles ont peut-être entendues au JT ou ailleurs. Les lycéens ne mouftent pas, certains regardent par la fenêtre, pas plus.

“Traverser la mer n’est pas une option, de la même manière qu’on se jette par la fenêtre quand l’immeuble est en flammes, poursuit Jean-Yves Abécassis, une embarcation sur 100 arrive à destination. On montre aux gens une terre à l’horizon en leur disant que c’est à 3 heures de mer, en réalité il en faut trente”. Le décor est planté, le silence est maintenant teinté de la stupeur d’entendre ces détails aussi concrets de la détresse dans cette salle de classe aussi sûre que les embarcations parties de Libye sont défaillantes.

La deuxième bénévole, approchant comme son comparse de l’âge de la retraite, Christine Fanière, enchaîne sur le projet en lui-même et d’abord sur l’Aquarius. Ce navire affrété par l’ONG qui “se positionne là où on sait que des embarcations vont partir”, avec à son bord des marins qui guettent au loin et des secouristes pour apaiser les plaies physiques et morales avant le débarquement sur les côtes italiennes. À grand renfort de gestes, faute d’images projetées, elle dessine le chemin parcouru par les personnes secourues, 10 090 en un an, depuis la corne de l’Afrique ou l’Afrique de l’ouest et le passage obligé par la Libye, lieu de toutes les atrocités que tous sont pressés de quitter.

Un témoignage qui fait l’unanimité

Au milieu de ce cours de géopolitique accéléré et un peu aride – quoiqu’attentivement écouté – surgit la petite et douce voix d’Ibrahim D. Dans la salle qui prend alors des allures de chapelle, allures facilitées par le crucifix derrière le tableau, la parole de ce demandeur d’asile guinéen rencontre un silence qu’on pourrait facilement qualifier de religieux. “Il y a quelques années, on m’a contraint à partir en Turquie à cause de problèmes politiques”, commence-t-il. L’histoire d’Ibrahim D. est d’autant plus frappante qu’elle est particulièrement atypique, pour les jeunes auditeurs comme pour les adultes présents. Une fois en Turquie, le jeune homme de moins de trente ans n’a pas eu pour projet immédiat de rejoindre l’Europe. Au contraire, il s’est investi dans la création d’une ONG pour permettre aux migrants se trouvant dans le pays de pouvoir accéder à des soins médicaux.

Ce n’est qu’au bout de trois ans de ce militantisme qu’il a décidé de pousser plus loin le voyage, explique-t-il à l’assemblée tenue en haleine. “Le premier septembre 2015, j’étais en vacances pour quelques jours à Bodrum, à quelques minutes de l’île de Kos, en Grèce. Je ne me sentais plus en sécurité en Turquie, à cause de mon activisme et de menaces qui venaient de Guinée. J’ai décidé de traverser. Même si j’avais reçu moi-même les appels de détresse de gens perdus en mer sur des zodiacs. Mais je me suis dit, mieux vaut ça que rester.” Le récit qui suit de la traversée est glaçant.

Pour un trajet qu’on lui annonçait de quelques minutes, il a passé 6h30 dans l’embarcation prévue pour 4 personnes, non sans avoir dû enjoindre ses huit compagnons de détresse à jeter tous leurs bagages, jusqu’à leurs pantalons. Perdus en mer, les appels passés depuis son téléphone n’ont pas trouvé le réseau nécessaire. Mais ils ont fini par arriver. Ibrahim D. finit toutefois son récit par un détail macabre et ô combien marquant. “Le lendemain, le petit Aylan, vous vous souvenez ? – la salle opine de la tête – il a embarqué du même endroit que moi. Au poste de contrôle en Grèce, j’ai vu les rescapés de son embarcation. Peut-être que vous avez vu ces choses à la télé, moi je les ai vécues”. La conclusion fait mouche avant le temps des questions.

“Ibrahim, vous comptez rester en France ?”

“Tous les combien le bateau sauve des embarcations ?”, “Qui c’est qui conduit le bateau ?”. Une fois le silence rompu, les premières questions techniques laissent vite la place à des questions plus précises au demandeur d’asile, notamment sur son avenir. “Ibrahim, vous comptez rester en France ?”, “Vous allez faire quoi maintenant ?”. Les bénévoles et le demandeur d’asile tentent d’expliquer tranquillement le parcours administratif dont les élèves ignorent tout : Ibrahim D. est logé en centre d’accueil pour demandeurs d’asile, il n’est pas expulsable tant que son dossier n’a pas été instruit, mais il n’a pas le droit de travailler. “Mais si on vous dit non ?”, lance alors une voix dont on ne sait pas si elle est teintée d’angoisse ou de détermination à comprendre. “Eh bien… je serai obligé… le danger que je fuis chez moi, je ne pourrais pas l’éviter”, essaye de répondre le rescapé de la voix la plus sereine possible. Quand la sonnerie du lycée retentit, la discussion a viré sur la pratique qui consiste à se brûler le bout des doigts pour ne pas être identifiable. Aucun n’ose se lever trop vite.

“Ce sont des enfants … commente le jeune Guinéen qui n’en est pas à sa première intervention. Quand ils me demandent si je suis content d’être en France, je ne peux pas leur dire non, même si je pense à tout ce que j’aimerais pouvoir faire dans mon pays”, songe-t-il. De l’avis des intervenants et de l’enseignante, la séance a été un succès. “Ils ont accueilli ! Il y a eu une belle qualité d’écoute”, constate cette dernière, enthousiaste. “Jusqu’à maintenant, ça se passe toujours comme ça”, appuie Jean-Yves Abécassis. L’association a mené la plupart de ses actions en milieu scolaire dans l’enseignement privé, sans que ce soit un choix, assurent ses représentants, avançant que les professeurs y sont peut-être plus libres dans leurs initiatives.

“Il faut accueillir, c’est sûr”…”Mais il ne faut pas qu’ils en profitent !”

Plusieurs élèves restent dans la salle, pour souhaiter “Bon courage”, à Ibrahim D. ou échanger un peu plus. “J’avais déjà quelques informations, mais un témoignage direct, comme ça, ça change les choses, même si j’avais déjà mon opinion”, confie du haut de ses 15 ans Mathilde. “Le témoignage, ça nous a beaucoup apporté“, reconnaissent plusieurs autres camarades.“Ça aide à comprendre pourquoi on part”, renchérit Margot. Un camarade, un peu provocateur, assure “les conditions en mer je les connais, je me suis perdu en planche à voile une fois, je sais ce que c’est”.

“Qu’est-ce qu’on peut faire, nous, en tant que jeunes ?”, est une des dernières questions posées. “Parler, témoigner, c’est déjà beaucoup”, répond sobrement Christine Fanière. Un volet sur lequel intervenants et élèves ne s’aventurent qu’à pas de loup est celui des choix politiques faits par les pays comme la France dans l’accueil des migrants. C’est les questions politiques ça, on est trop jeunes, ce n’est pas à nous de dire”, botte en touche Margot. “Il faut accueillir, c’est sûr”, avancent timidement Théo et Mathilde. “Mais il ne faut pas qu’ils en profitent ! Il faut aider ceux qui ont de vraies raisons !”, insiste Kenan, moins prompt à se laisser attendrir. Difficile de dire si parmi la trentaine d’élèves partis sans un mot d’autres partagent son opinion.

“Ce sont les bénévoles de demain”

Mais les intervenants se refusent à mener ce genre de débat. “On n’entre pas sur le terrain politique”, tranche Jean-Yves Abécassis une fois la salle de classe vidée, on ne s’étend pas sur les régimes politiques des pays, pas plus que sur la politique d’accueil ici.” “Ce qu’on dénonce, c’est la non-assistance à personne en danger. L’association est complètement apolitique et veut le rester”, ajoute Christine Fanière.

L’enseignante est quant à elle sûre que l’intervention aura été profitable pour ses élèves, un peu perdus face au flot d’informations quotidiennes. “Ce n’est pas forcément qu’il y a de la confusion, analyse Marie Lejeune, Dans leurs esprits, il n’y a pas grand chose, ils ont ce qu’ils entendent, certains en parlent à table, d’autres jamais. Je pense que ça fait partie de la mission du lycée de les aider à creuser, à approfondir.” Enchantée par l’expérience, la professeure de Français, espère avoir “ouvert un chemin”“Ils ont besoin de s’engager, ce sont les bénévoles de demain. En devenant adultes, ils comprendront que le bonheur, c’est le don et l’engagement”. Ainsi soit-il.

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Commentaires

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  1. mrmiolito mrmiolito

    Super article. Nous sommes de plus en plus de gens qui s’activent pour faire connaître l’action de cette association qui, pour ma part, me rend “Fier d’Etre Marseillais”… Qu’une telle ONG soit partie de Marseille fait écho à toute l’histoire d’accueil et d’ouverture sur la “Mare Nostrum” de la cité phocéenne. Lui donner un peu d’argent (déductible à 66 %) nous enlève un peu de la honte de ne rien pouvoir faire contre les conflits qui jettent ces gens sur des rafiots…

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  2. Titi du 1-3 Titi du 1-3

    Je suis donateur et suis déçu qu’i ne soit pas mentionné que cette association est franco-allemande et qu’elle n’aurait pas vu le jour sans une initiative et une prise de risque financière allemandes.

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