Sécheresse : “S’il n’y a plus d’eau, c’est la mort du paysan”
En ce début mai, les Bouches-du-Rhône sont déjà placées en état de crise face à la sécheresse. Marsactu est allé à la rencontre d'agriculteurs, un père et son fils, qui tentent, tant bien que mal, de poursuivre leur activité en s'adaptant au manque d'eau.
Jean-Paul Julien est agriculteur à Roquevaire sur une exploitation transmise de génération en génération. (Photo : LD)
Une parcelle de terre sèche et dénuée de cultures. Des serres, où poussent, en rangs et difficilement, oignons, fraises de Cléry, courgettes ou haricots. Non loin, quelques oliviers côtoient des abricotiers, dont les premiers fruits sont attendus après cinq années de gel. En contrebas, une étendue de terre vide, à l’herbe cramée où autrefois poireaux et artichauts étaient cueillis.
Le soleil est haut, une brise rafraîchit l’air. Sur l’allée en pleine terre réservée aux oignons, Jean-Paul Julien, casquette sur la tête et barbe de quelques jours, pousse sa sarcleuse. Une journée de travail de plus sur le sol de son exploitation, la ferme de la Cauvine à Roquevaire. Il y a passé toute sa vie, comme son père et son arrière-grand père avant lui.
Cet homme, dont les mains sont noircies par la terre, a lu avec attention l’arrêté préfectoral du 20 avril dernier. Il plaçait en alerte maximale cette commune en amont de l’Huveaune face à la sécheresse. Et par conséquent, un certain nombre de restrictions s’imposent à tous. Les agriculteurs concernés ont interdiction d’irriguer, excepté si l’eau provient de stockages. Ils sont également invités à respecter “une sobriété dans l’usage” de la ressource. Les arrêtés en ce sens ne sont pas nouveaux, mais cette année, le passage en état de crise a été prononcé un mois plus tôt qu’en 2022.
Quand le goutte-à-goutte ne suffit plus
Sous une serre, des allées de fraises mûrissent tranquillement. Certaines ont déjà revêtu leurs plus jolies robes rouges, et leur jus glisse comme une note de sucre sur la langue. Les fraisiers se comptent par dizaine sur le film de paillage, ce recouvrement en plastique des plants qui limite l’évaporation. Jean-Paul Julien le déchire de quelques centimètres, pour montrer la terre qui se cache en dessous. “Ça ne suffit plus, l’humidité ne reste pas, la terre est sèche quand même”, regrette-t-il.
L’atmosphère reste trop sèche, les plantes s’étouffent. Je suis quand même obligé d’arroser par aspersion.
Jean-Paul Julien
Sous le film de paillage, le sexagénaire a installé des tuyaux percés pour un arrosage au goutte-à-goutte. Il a recours à cette technique pour la majorité de ses plantations en serre. “Mais l’atmosphère reste trop sèche, les plantes s’étouffent. Je suis quand même obligé d’arroser par aspersion”, ajoute-t-il. Une fois par semaine, il répand brume aqueuse les cultures, par le haut.
À l’entrée de l’exploitation, les troncs des abricotiers sont, eux aussi, entortillés dans des tuyaux. De même que les quelques oliviers. “L’arbre ne peut plus vivre sans”, regrette le sexagénaire. Quant aux 400 cerisiers qui ornaient le terrain à l’époque de son père, il n’en reste que trois. Le manque d’eau et les insectes ravageurs en ont eu raison.
Recours à l’eau potable
Plus alarmant encore, les forages du terrain ne suffisent plus à alimenter les parcelles en eau. “Mon père a construit le premier puits à huit mètres de profondeur en 1967″, précise Jean-Paul Julien. Aujourd’hui, il en compte quatre. Il y a quelques années encore, cette source d’eau suffisait pour les 4.5 hectares de culture. Désormais, elle ne répond qu’à la moitié de la consommation agricole de la ferme. “L’autre moitié, c’est l’eau de secours, de l’eau potable achetée à la commune”, développe-t-il. Cette eau provient du forage municipal et alimente l’ensemble de Roquevaire. “Je n’avais recours à cette eau de secours qu’en août avant, cette année, j’ai commencé la saison en l’utilisant”, souligne le paysan.
Jean-Paul Julien, marqué par le soleil et le travail agricole, se souvient néanmoins d’une autre époque. Celle où il pleuvait. “On récoltait les poireaux et les courgettes dans la boue. On avait froid et on se couvrait pour travailler. On emmenait les parasols au marché pour se protéger, non pas du soleil mais de la pluie”, raconte-t-il. S’ils l’entendaient décrire les stratagèmes d’arrosage, pourtant raisonné, qu’il utilise aujourd’hui, son père et son grand-père auraient d’ailleurs sourcillé. “Ils n’arrosaient pas, l’agriculture se faisait sans eau”, ajoute-t-il.
“Quand je vois des gens qui font du gazon, ça me sort par les yeux”
Ce constat est amer. “S’il n’y a plus d’eau, c’est la mort du paysan”, soupire Jean-Paul Julien. La problématique a été abordée lors d’une réunion publique organisée à Roquevaire par le maire, Yves Mesnard (DVG) le 5 mai, en présence du sénateur Guy Benarroche (EELV), de la députée européenne Marina Mesure (LFI) et d’élus locaux. Au moment de prendre la parole, Jean-Paul Julien n’a pu retenir ses larmes : “L’eau, on s’est battus pour ça. Mon père a fait des forages, on a installé le goutte-à-goutte. Quand je vois des gens qui font du gazon, ça me sort par les yeux ! Car on a besoin de manger, on a besoin de vivre.“
Pour léguer une exploitation viable, le natif de la ferme de la Cauvine a suivi la tendance climatique. Quand l’eau ne coule plus à flot, il “s’adapte” selon son maître-mot. “J’ai arrêté certaines cultures plein champ, j’ai diminué le maraîchage. On ne produit plus d’artichauts, ou de petits pois par exemple qui nécessitent beaucoup d’eau.” Jean-Paul Julien, tout comme son fils Jérôme, a misé sur la polyculture. “Il ne faut pas compter sur une branche sans se tenir à une autre”, image le père. Car si une culture ne donne rien à cause de la sécheresse, une autre rendra sûrement quelque chose. De quoi assurer leur survie.
“Être agriculteur, c’est une passion. Elle se réinvente aujourd’hui, soutient Jérôme Julien, prolongeant les dires de son père. On cultive moins par manque d’eau. Mais on est plus dans l’échange avec les clients. Ils nous suivent quoi qu’il arrive, même si nos cultures ne sont plus constantes.” Sa compagne a beau le trouver défaitiste de temps à autre, il n’a pas lâché l’affaire pour autant. Dans l’allée des fèves, à l’heure de la cueillette, le tout jeune père de famille, entouré de deux chiens énergiques, regarde l’exploitation avec affection. À 29 ans, il redoute davantage le grignotage des terres agricoles par les habitations et les insectes ravageurs que la sécheresse. Comme son père, son inquiétude ne prend pas le dessus sur ses espoirs. “L’eau, on pourra toujours s’adapter. Les terres, quand il n’y en a plus, on ne peut rien faire”, argue celui qui a repris les rênes de la ferme avec sa compagne, il y a six ans.
Père et fils veulent croire que des solutions seront trouvées, comme un ralliement au canal de Provence dans les coteaux ou l’usage d’eau non potable pour l’arrosage. Pour l’heure, ils dorlotent ensemble leurs terres, et revoient leurs choix de semence au fils des saisons. Pour éviter que leurs fruits et légumes ne deviennent “un pastis sans eau”.
Commentaires
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Vital
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Pendant ce temps dans la “commune” dallauch qui est au même titre que Aubagne, Marseille et Roquevaire l’une des quatre communes du pays de Pagnol, la priorité est de construire un musée.
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pas si bête !
un musée consacré aux photos de fleurs, fruits, plantes diverses qui auront disparues dans quelques années…ils envisagent peut être aussi un herbier ?
comme les zoos qui tentent de préserver les espèces animales en danger et en voie de disparition…
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il y a un truc que je ne pige pas.
il y a quelques semaines, muselier était avec d’autres, accompagnant macron au lac de serre-poncon….et on les a entendu dire clairement que le niveau d’eau du lac était plus haut que l’an passé à la même époque, et que probablement on aurait moins de souci (pour qui, pour quoi ?) cette année.
ça m’avait un peu choqué, vu le niveau d’eau dans le lac…mais bon.
j’ai quand même idée, que comme d’habitude c’est du grand n’importe quoi, ces grandes déclarations sans prévisions, ni projet concret
et si on ajoute la “fnsea” et ses bassines….qui profitent si peu aux agriculteurs, on n’est pas sauvé.
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Très beau reportage, merci, avec des personnes aux paroles modérées, touchantes.
Qu’on les écoute. Qu’on les laisse prendre leurs decisions, faire avec patience à leur façon.
Ils ont raison : l’eau manquera, mais les sociétés rurales humaines ont toujours su gérer la penurie. Le plus grave, à empêcher : que d’autres acteurs du territoire puisent le peu d’eau sans compter, sans conscience, pour d’autres usages inutiles (pelouses…agrément..), et que ces terres agricoles soient étranglées. Et qu’elles finissent par disparaître pour de nouvelles villas….
‐Nous avons besoin d’une agriculture peri urbaine familiale connaissant les pratiques agricoles adaptées pour nous nourrir demain.
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Il y a plein d’eau dans le Rhône surtout de juin à septembre. Pourtant personne ne fait rien, en 1960 de Gaulle à fait faire une conduite de Quinson à Toulon en 6 mois. Mais ni Vassal ni Muselier ne sont à la hauteur de l’enjeu. L’herault à mis 390 millions sur la table pour l’eau, Vassal propose des mousseurs!
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Lors d’une visite au CEN de St Martin de Crau, j’ai appris que les champs à foin dont le noyage permet d’alimenter la nappe de la Crau était menacés par des projets de plantation d’amandiers qui eut serait arroser et donc pomperai la nappe.
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Et pendant ce temps les voitures sont lavées, les pelouses arrosées, les piscines se remplissent, l’hippodrome Borely est arrosé à midi par des jets d’eau à faire pâlir tout pompier aguerri, et l’eau coule tjs à profusion sur les plages. Rien ne bouge… Je me répète, j’écris, je signale encore et encore depuis des mois auprès de la mairie, de H. Menchon, de la Préfecture réclamant à minima l’arrêt de ces aberrations et au mieux une plus grande information du public (comme sur les bus de la Métropole pour les incendies) Rien. Nada. M’en fouti !
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