Sécheresse : “Le Sud connaîtra une tendance à l’aridification dans les prochaines décennies”

Interview
le 13 Mai 2022
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Vigilance sur tout le département : la sécheresse a été déclarée fin avril à cause de la rareté des pluies cet hiver. Eric Sauquet, directeur de recherche en hydrologie à l'institut national de la recherche agronomique (INRAE), décrypte le phénomène en cours.

Le site classé de la montagne Sainte-Victoire. (Photo : Léo C.)
Le site classé de la montagne Sainte-Victoire. (Photo : Léo C.)

Le site classé de la montagne Sainte-Victoire. (Photo : Léo C.)

Partout dans le département, des arrêtés municipaux tombent, annonçant des restrictions d’eau. Sécheresse sur le bassin du Réal de Jouques, alerte sur bassin de l’Huveaune aval, de l’Huveaune amont, du bassin de l’Arc aval… Et vigilance pour le reste des Bouches-du-Rhône. Le département a déjà dépassé le seuil d’alerte sécheresse et la région a enregistré un déficit pluviométrique de 30% entre septembre et mars. Inutile de préciser qu’il est donc préconisé de limiter sa consommation d’eau dans les Bouches-du-Rhône.

Eric Sauquet est directeur de recherche en hydrologie à l’institut national de la recherche agronomique (INRAE). Il a notamment travaillé sur le projet R²D² 2050, une étude sur la gestion des eaux de la Durance, qui alimente une grande partie du département. Pour le chercheur, la situation est “alarmante” : le département a connu deux hivers compliqués, marqués par un déficit de pluie. Et donc un manque d’eau dans les nappes phréatiques, qui se traduit par cette sécheresse précoce.

Il y a eu de nombreuses restrictions d’eau dans les Bouches-du-Rhône pour contenir la sécheresse. Pourquoi arrivent-elles aussi tôt ?

La situation actuelle découle de cet hiver, voire de la fin d’automne. Durant cette période, il y a eu très peu de précipitations. Jusqu’au début du printemps, la pluie est censée bénéficier aux cours d’eau en rechargeant les nappes phréatiques. Sans pluie, il y a très peu de recharge des sols. L’hiver est une période importante car il y a peu de végétation. En été, elle reçoit l’eau

 pour ses besoins propres et la pluie bénéficie très peu aux hydrosystèmes, à savoir, les nappes phréatiques et les rivières. En cas de gros orage, bien sûr, les cours d’eau peuvent déborder, mais s’il ne pleut pas beaucoup, il y a peu de recharge. Donc on regarde les précipitations de l’hiver et du début du printemps, et on voit d’où l’on part pour imaginer l’été qui vient.

D’où part-on alors cette année, quelle est la situation aujourd’hui ?

Elle est critique. Les trois quarts des départements français ont présenté des déficits en termes de pluviométrie. On part avec un handicap.
L’année dernière, à la même période, le constat était assez similaire. Mais l’été a été maussade, relativement pluvieux à l’échelle de la France. Tout est relatif mais ça s’est plutôt bien passé.

Quelles conséquences attend-on pour cet été ?

Celles que l’on connait et que l’on a connues. Le premier niveau, c’est l’assèchement de certaines rivières. Et pour les prélèvements — car on est tous usagers de l’eau — on peut envisager des restrictions de plus en plus fortes ; de l’état de vigilance à l’état de crise. Avec une émergence de ces périodes de restrictions peut-être plus tôt que d’habitude s’il n’y a pas de pluie, même temporairement, pour soulager les nappes.

La situation est-elle exceptionnelle ?

Ce n’est pas récent, il y a déjà eu des années critiques, avec des niveaux de sécheresse partout. Mais chaque année est différente, la France présente des régimes de précipitations variés qui changent entre le Nord et le Sud. Certaines régions échappent à des restrictions une année, mais les subissent la suivante, à cause du caractère chaotique du climat.

On a fait récemment une analyse de longues séries de débits observés, sur la période 1970-2020, en France et en Europe sur des rivières qui sont peu influencées par les prélèvements. On constate que les débits annuels ont tendance à diminuer dans le sud de la France. Cela témoigne d’une baisse de ressources. Cette tendance à la baisse n’apparaît pas dans le Nord de la France.

Et certaines années, il y a eu des restrictions d’eau quasiment sur toute la France, seule une dizaine de départements y ont échappé. En septembre 2017, on avait une France tout en rouge et orange.

Justement, l’expert météorologue des pompiers des Bouches-du-Rhône alertait, dès le mois d’avril, sur le fait que l’on partait en 2022 sur des bases similaires à 2017, l’année record dans le Sud-Est. Qu’en pensez-vous ?

C’est plus compliqué. Cette année, il y a une histoire de deux ans à prendre en compte. En 2020, nous partions avec des restrictions d’eau et finalement, tout s’est à peu près bien passé. Mais on a tendance à être dans des cycles “négatifs”, avec des restrictions qui se cumulent. C’était le cas en 2015, 2017, 2019, 2020. C’est ça qui est alarmant. En hiver 2020-2021, un déficit de pluie était constaté sur le pourtour méditerranéen. Après l’été 2021, il y a eu des précipitations à l’ouest du Rhône mais pas à l’est. On hérite donc de deux hivers plutôt secs à l’est. Deux années qui se succèdent et dont on accumule les handicaps.

 S’agit-il d’un phénomène voué à s’intensifier localement ?

Si l’on se projette dans les prochaines décennies, la perspective est encore moins rose. Le pourtour méditerranéen devrait connaître une augmentation des températures et une baisse des précipitations en hiver comme en été. Les évènements que l’on subit sont cohérents avec les effets attendus du changement climatique : le Sud connaîtra une tendance à l’aridification. Cette tendance est plutôt inquiétante.

Quelles solutions peut-on envisager pour pallier la sécheresse ?

Il y a des choses qui vont bouger. C’est une question d’adaptation : est-ce qu’on sera encore vulnérables ou est-ce que l’on aura su s’adapter ? C’est une question que l’on se pose en recherche. On a les moyens d’agir, en étant moins gourmands en eau pour être moins vulnérables aux sécheresses. Moi je suis optimiste, sinon je ne ferais pas de la recherche. Le changement climatique est une préoccupation collective, il faudra désormais changer ses pratiques.

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Commentaires

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  1. LN LN

    “On a les moyens d’agir, en étant moins gourmands en eau”. Je n’ai jamais vu une quelconque annonce publique en matière de prévention et d’information… Qui a su que le mois dernier, la préfecture annonçait une alerte sécheresse et limitait l’arrosage, les lavages de voitures, le remplissage des piscines (On est paraît il la population la plus pourvue en picines privées au monde)
    Qui arrête l’arrosage des ronds points, l’inondation perpetuelle ds caniveaux…. ?
    Ça me fout en l’air cette absence totale de bon sens, de responsabilités.

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    • Tarama Tarama

      L’arrosage est largement arrêté à Marseille, trop même dans certains parcs, qui ont une vocation de lieux de rafraîchissement publics.

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    • LN LN

      Pas dans le 9eme. On pourrait aussi arrêter d’arroser l’immense pelouse qu’il y a tout autour de la piste de courses de l’hippodrome Borrely par d’immenses jets d’eau, à midi, pistes elles-mêmes arrosées…
      J’aimerais bien voir de l’information comme pour les incendies pour sensibiliser ceux qui arrosent leur pelouse ou vidangent leur piscine

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  2. Tarama Tarama

    Andalousie je me souviens des prairies bordées de cactus 🎶

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