La justice enquête sur Rudy Manna, un syndicaliste policier trop bavard

Enquête
le 1 Juin 2022
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La présence médiatique du secrétaire départemental d’Alliance, syndicat classé à droite, embarrasse le parquet de Marseille. En cause : un tweet et un reportage en "violation du secret de l'instruction". Une enquête est ouverte.

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L'élu syndical Rudy Manna en duplex pour BFM TV, le 16 janvier 2021. (Capture d'écran)

L'élu syndical Rudy Manna en duplex pour BFM TV, le 16 janvier 2021. (Capture d'écran)

Vendredi 14 janvier 2022 à l’aube, une jeune Ardéchoise de 14 ans entre en contact avec le Centre d’information et de commandement (CIC), le service de police en charge des appels d’urgence. L’échange a lieu par SMS. L’adolescente explique ne pas pouvoir parler. Elle est séquestrée par deux hommes, a subi des violences sexuelles et n’a aucune idée de l’endroit où elle se trouve. Son interlocutrice, une policière adjointe tout juste sortie de stage, lui propose de partager sa localisation Snapchat. Grâce à cette idée ingénieuse, les fonctionnaires identifient un immeuble à la Cabucelle, dans le 15ème arrondissement de Marseille. Avec le concours de la BAC Nord, les deux ravisseurs sont interpelés puis placés en détention provisoire.

L’affaire est largement relayée dans la presse. Invité à distance sur le plateau de BFM TV deux jours plus tard, Rudy Manna, secrétaire départemental d’Alliance police nationale dans les Bouches-du-Rhône, n’est pas avare d’éloges. “Ce sauvetage a eu lieu surtout grâce à l’idée excellente de la jeune policière adjointe du CIC sans qui rien n’aurait été possible”, reconnaît-il devant sa webcam. La caméra de la chaîne de télévision est, elle, plantée devant l’appartement où la jeune fille a été séquestrée et “probablement” violée, droguée, avance l’élu syndical. Il ajoute : “maintenant, vous comprenez qu’il y a une enquête qui va avoir lieu. Il y a le secret de l’instruction.” Mais aux yeux de la justice, le syndicaliste en a déjà trop dit.

Le 14 janvier, quelques heures après les faits, c’est Rudy Manna qui avait exposé l’affaire au grand public via un tweet. “Quand Snapchat et une policière adjointe sauvent une vie ! Une fillette de 14 ans kidnappée, violée, séquestrée, sans l’adresse et sauvée par une policière qui a eu le réflexe de l’identifier avec Snapchat lors de son appel au secours. Les 2 barbares serrés par #BACNORD, 27 et… 64 ans.” Le tweet a depuis été supprimé par son auteur. Il en reste la trace dans plusieurs articles, notamment publiés sur le Huffington Post et Sud Ouest.

Une enquête ouverte pour violation du secret de l’instruction

Si Rudy Manna a finalement décidé d’effacer le message ayant révélé l’histoire, c’est parce qu’entre temps, le parquet de Marseille s’est intéressé à cette fuite. Consacré à son mandat, le numéro un d’Alliance dans les Bouches-du-Rhône n’est plus sur le terrain. Qui donc, au sein de la police marseillaise, a pu livrer ces informations confidentielles au syndicaliste seulement quelques heures après les faits ? Cette interrogation a motivé le parquet à diligenter une enquête pour “violation du secret de l’instruction”, confirme à Marsactu la procureure de Marseille Dominique Laurens. Une violation qui a conduit à révéler des éléments très sensibles sur la victime, âgée de seulement 14 ans, en fugue et souffrant de problèmes familiaux.

Selon des sources concordantes, plusieurs fonctionnaires ont été auditionnés par l’IGPN (Inspection générale de la police nationale, la police des polices) dans cette procédure. Rapidement suspectée, la jeune policière adjointe qui avait échangé par message avec l’adolescente a aussi été entendue. Étant elle-même adhérente au syndicat Alliance, a-t-elle directement révélé les faits ? En plus d’avoir été auditionné par l’IGPN, Rudy Manna est aussi visé par une enquête administrative. Les deux procédures sont toujours en cours.

BAC Nord et Jean-Marc Morandini

Très actif sur les réseaux sociaux, régulièrement invité par les chaînes locales pour commenter l’actualité, le secrétaire départemental d’Alliance Police fait pleinement partie du paysage médiatique marseillais. Comme beaucoup de syndicalistes policiers, cela lui confère un rôle, bien pratique parfois, de porte-parole officieux de la police. Rudy Manna est aussi, de facto, l’un des portevoix des policiers mis en cause dans le dossier de la BAC Nord, dossier rassemblant plusieurs prévenus adhérents du syndicat Alliance. Il a été invité dans un épisode inédit de l’émission “Affaires sensibles” consacré à l’affaire. Plus récemment encore, il a été filmé aux côtés de Jean-Marc Morandini à la cité Kalliste. Puis aperçu dans une vidéo de la youtubeuse Marie s’infiltre consacrée au trafic de drogue. En clair, l’élu syndical n’a pas l’habitude de se faire discret. 

Entre les journalistes et leurs sources policières, les syndicalistes occupent bien souvent une place de premier ordre. Salariés protégés, leur parole est plus libre. Élus par leurs pairs, ils bénéficient d’une légitimité à s’exprimer publiquement. Dans les Bouches-du-Rhône, Alliance est d’ailleurs arrivé en tête des dernières élections professionnelles de 2018, devant Unité SGP-FO, réputé plus modéré. Pourquoi alors la communication de Rudy Manna sur “l’affaire Snapchat” a-t-elle tant gêné les magistrats ? Le syndicaliste a-t-il trop cherché la lumière ?

“Snapchat, c’était sûrement la fois de trop, commente une source interrogée par Marsactu. Quand Rudy Manna a fait son tweet, l’enquête de flagrance n’était même pas terminée. La victime est mineure, les faits sont graves et les enquêteurs commençaient tout juste leur travail.” En plus du reportage de BFM TV, un article du Figaro semble avoir participé au malaise. Publié le lendemain des faits, il révèle des détails très intimes du certificat médical de la victime de 14 ans. Rudy Manna a-t-il livré des informations confidentielles à ces deux médias ? Contacté ce mardi par Marsactu, le mis en cause s’en défend.

“Tout le monde s’est mis à Snapchat dans la police !”

“Ce que je veux faire quand je communique, c’est juste mettre en avant le travail des policiers. Voilà pourquoi j’ai fait un tweet sur l’affaire Snapchat”, explique-t-il. Mission réussie. Le 16 janvier, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin se fendait à son tour d’un tweet de félicitations. Par la suite, Rudy Manna explique avoir reçu “des dizaines de messages de collègues partout en France. L’idée était tellement géniale. Grâce à cette histoire, aujourd’hui, tout le monde s’est mis à Snapchat dans la police !”

Quant au tweet de la discorde, l’élu syndical a quelques remords : “je reconnais que j’aurais dû laisser le ministère communiquer en premier. Mais ce n’est pas mon tweet qui a déclenché tous les articles.” Il assure aussi n’avoir “jamais reçu aucun avertissement”, ni de sa hiérarchie, ni du parquet par le passé sur ses méthodes de communication. Pour l’heure, Rudy Manna ignore s’il sera sanctionné. Mais en déclenchant une procédure judiciaire rarissime contre un policier syndicaliste, “l’affaire Snapchat” fait déjà date.

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Commentaires

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  1. vékiya vékiya

    Attention, on ne touche pas à alliance, darmanain ne va pas être content.

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    • Patafanari Patafanari

      En ce moment Darmanin numérote ses abattis et les faux tickets qu’il a avec ces dames et les Liverpuldiens.

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