Radioscopie d’un quartier abandonné : à qui appartiennent les Rosiers ?
Les marchands de sommeil ne sévissent pas seulement dans le centre-ville de Marseille. Ils se dénichent aussi dans les copropriétés dégradées de la ville, majoritairement sous couvert de sociétés civiles immobilières. Un système rendu possible par le déficit chronique des logements sociaux et la manne de l'aide au logement, qui permettent des rendements rapides. Enquête en trois volets dans la cité des Rosiers.
Radioscopie d’un quartier abandonné : à qui appartiennent les Rosiers ?
Au pied des immeubles imposants, des chats sont alignés sur les pelouses pelées et jonchées de sacs poubelle éventrés. Ils sont à l’affût des rats qui sortent de leurs galeries pour disputer leur pitance aux gabians. Chaque jour, ce ballet singulier se reproduit inlassablement, tandis que des enfants jouent à proximité. En contrebas, sur les parkings où des voitures sont garées en rangs d’oignons, des containers débordants de déchets trônent au milieu de vieux matelas et d’appareils électroménagers rouillés.
Devant des cages d’escaliers, des jeunes tuent l’ennui, installés sur un canapé et des fauteuils abandonnés lors d’un déménagement… Bienvenue aux Rosiers, une résidence privée autrefois “radieuse” du 14e arrondissement de Marseille classée “Patrimoine du XXe siècle” en 2007, mais répertoriée depuis 2015, dans le rapport Nicol, comme l’une des plus dégradées de la ville.
Histoire et évolution des RosiersA l’origine, acheter dans ce grand ensemble signé Jean Rozan, architecte contemporain du Corbusier, était un bon investissement. Construite entre 1954 et 1960 sur les 7,7 hectares d’une roseraie horticole, par la Société Anonyme pour Favoriser l’Accession à la Propriété, la résidence était initialement dédiée au personnel de la RATVM (devenue RTM), de l’Huilerie Unipol et de la Réparation navale. “À l’époque, il y avait un bâtiment par corporation : les dockers, les transports, les administrations”, raconte un propriétaire qui a hérité du T4 de sa grand-mère, et y a passé une partie de son enfance. “C’était comme une cité-jardin, avec des rosiers partout. Il faisait bon y vivre”, se souvient-il avec nostalgie. “Aujourd’hui, n’importe qui habite ici, tout s’est dégradé, et il faut attendre cinq ans pour un simple spot d’éclairage extérieur du bâtiment, alors que je paye 387 euros de charges par trimestre”, lance-t-il amer avant de continuer son chemin.
La première génération d’habitants était composée de primo-accédants à la propriété, dont beaucoup de “pieds-noirs” arrivés au rythme des décolonisations, et ayant bénéficié de facilités pour s’installer. Ils ont ensuite migré vers des quartiers plus cossus de Marseille ou des alentours. Pour se constituer une rente, beaucoup d’entre eux ont loué aux immigrés arrivés des pays du Maghreb, ou que la montée des loyers avait chassés du centre-ville. Ces derniers, dont certains ont racheté leur logement, ont à leur tour progressivement quitté les lieux pour s’installer ailleurs. Place aux derniers arrivés : Français originaires de Mayotte ou Comoriens, dont de nombreuses familles issues du 3e arrondissement, contraintes de déménager au fil des opérations de rénovation urbaine. Une population en chassant une autre, plusieurs strates de propriétaires-bailleurs se sont ainsi superposées. Et depuis la fin des années 1990 sont venus s’agglutiner des investisseurs qui ont su tirer parti de la pénurie de logements sociaux.
“Quand je suis arrivée ici, je payais 3000 Francs [580 euros ndlr] de loyer, et il fallait avoir un garant et des fiches de paye, ce qui n’est plus le cas. Aujourd’hui, je règle 650 euros entièrement de ma poche, sans compter les charges qui n’arrêtent pas d’augmenter”, raconte une mère tunisienne aux yeux cernés. Elle vit au Rosiers depuis 40 ans, d’abord dans un T3 au 3ème étage d’une barre qu’elle a fui à cause du voisinage, puis dans un petit T4 au rez-de-chaussée d’un bloc bien entretenu.
Bien sûr, j’ai multiplié les demandes à la mairie pour une HLM, mais un “intermédiaire” m’a réclamé 2000 euros pour faire passer mon dossier… et j’ai abandonné
Une locataire d’origine tunisienne
“Ma propriétaire est correcte, mais pour arriver à payer le loyer, l’eau, l’électricité et le fioul durant l’hiver, je suis obligée de faire des ménages à mi-temps car le revenu de mon mari forain ne suffit pas”, explique-t-elle amère avant de préciser qu’elle a elle-même acheté son chauffage individuel. “Bien sûr, j’ai multiplié les demandes à la mairie pour une HLM, mais un “intermédiaire” m’a réclamé 2000 euros pour faire passer mon dossier… et j’ai abandonné”. Dans un logement social des environs, il faut compter environ 450 euros de loyer pour une surface équivalente. Mais la liste d’attente est kilométrique : 76 500 candidats sont restés en souffrance en 2018 dans les Bouches-du-Rhône, où les communes n’atteignant pas le taux de 25% de logements sociaux sont nombreuses.
Courts-circuits et ascenseurs en panne
Les familles nombreuses, et à revenus modestes, constituent actuellement le gros contingent des 3600 habitants des Rosiers. Cette copropriété, hier très prisée et desservie par quatre lignes de bus menant au centre-ville de Marseille, est devenue de fait un habitat social dégradé… mais pas à loyer modéré. Ici c’est le marché qui en fixe le prix : de 550 à 650 euros pour un T3 d’environ 50 m2 et de 720 à 800 euros pour un T4 d’environ 60 m2. Des prix proches de ceux du centre-ville. Le loyer varie selon l’endroit où se situe le logement, ceux des blocs étant loués plus chers que ceux des barres.
Et pour cause : les parties communes de ces dernières, en particulier les plateformes laissées aux quatre vents malgré un plan de sauvegarde établi en 2006, prennent régulièrement la pluie, ce qui occasionne des courts-circuits car l’installation électrique date de l’origine. Les ascenseurs y sont régulièrement en panne. Seuls cinq sur dix fonctionnent correctement.
Faute d’alternative, les locataires se résignent donc à leur sort, tout en dénonçant vainement le chantage à l’expulsion proféré par certains bailleurs, quand ils se risquent à une réclamation. “Tous les 6 du mois, je paye 120 euros en liquide au propriétaire qui vient du Var pour faire sa collecte. Le loyer est de 750 euros et la CAF lui verse 667 euros”, explique un retraité comorien, en France depuis 40 ans. Il occupe depuis trois ans, avec sa femme et ses six enfants âgés de 3 à 10 ans, un petit T4 au rez-de chaussée du bâtiment A qui domine la cité.
Tous les 6 du mois, je paye 120 euros en liquide au propriétaire qui vient du Var pour faire sa collecte. Le loyer est de 750 euros et la CAF lui verse 667 euros
Un retraité comorien
Auparavant, il avait été expulsé, sans même un préavis, d’un T3 situé dans le même immeuble, pour un impayé de 100 euros. Alors, même si le chauffage électrique laisse à désirer et que la porte blindée ne se verrouille pas, il n’ose pas protester auprès de son bailleur qui, dit-il fataliste, l’a récupéré, lui et sa famille, sur le parking. “En hiver, les enfants ont froid. Et quand on respire la vapeur sort de notre bouche !”, fulmine son épouse qui rêve de déménager, comme son amie plus chanceuse, dans une HLM du Chemin de Gibbes. “J’ai même enregistré ma demande sur internet !”, annonce-t-elle fièrement en montrant le numéro de son dossier inscrit bien en vue à même une porte de placard.
“Ici, c’est l’anarchie, aucune règle n’est respectée. C’est le règne des marchands de sommeil qui louent sans respecter les lois. Au conseil des propriétaires, il y avait même un policier de la scientifique et un médecin du coin qui détiennent 40 logements chacun !”, s’offusque une propriétaire “historique”. Celle-ci vit dans les blocs bien entretenus et désormais sécurisés par un portail à digicode, en contrebas des barres. Ce qu’elle affirme n’est pas qu’une légende urbaine. Plusieurs interlocuteurs, dont l’ancienne doyenne du conseil des propriétaires, récemment décédée, ont évoqué ces deux bailleurs durant l’été 2019. Aucun n’a donné le nom du policier. Contacté par Marsactu, le médecin a refusé de s’exprimer car il ne veut pas subir le sort médiatique de Mohamed Laqhila, député des Bouches-du Rhône, et Christophe Madrolle, conseiller d’arrondissement des 4ème et 5ème arrondissements, tous deux en lice pour conquérir le fauteuil de maire d’Aix et de Marseille.
Deux élus propriétaires
Ces deux élus ont été récemment accusés par La Marseillaise de louer des appartements aux Rosiers. Ils détiennent effectivement des logements aux Rosiers, mais se défendent d’exploiter la misère sociale. “C’est un règlement de comptes bien orchestré”, considère Mohamed Laqhila. Le député n’a plus qu’un appartement aux Rosiers. L’un des deux dont il était propriétaire “a été vendu l’été dernier. Les petits propriétaires finissent par partir à cause des charges qui ne correspondent pas forcément aux travaux effectués, poursuit-il. Le second est encore occupé et mes locataires qui en sont pleinement satisfaits”.
Ce que nous avons pu vérifier : un T3 en bon état, avec un loyer de 580 euros charges comprises, situé dans le bâtiment J dont les parties communes sont dans le même état que celles des autres barres. Mohamed Laqhila n’en démord pas, il n’est pas coupable de la mauvaise gestion de la copropriété par l’ancien syndic et il justifie son investissement. “Les personnes qui ont acquis un ou deux appartements le font pour avoir un complément de retraite. En 1998, quand j’ai acheté aux Rosiers, c’était un quartier correct”.
Pourtant, l’année d’après, un arrêté préfectoral a classé ce quartier en plan de sauvegarde. Les travaux prévus dans ce cadre n’ont commencé que sept ans plus tard. Mais justement, investir aux Rosiers en prévision d’une rénovation aidée, n’était-ce pas faire un bon placement ? Mohamed Laqhila est mandataire de plusieurs cabinets d’expertise comptable et de sept SCI domiciliés dans le sud de la France et à Lille. Bien sûr, cet entrepreneur libéral a dûment déclaré son patrimoine auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, qui exige la non divulgation des informations consultées.
Christophe Madrolle, quant à lui, se voit comme une victime collatérale de l’attaque contre Mohamed Laqhila. “Je me sens profondément atteint dans mon honneur. Marchand de sommeil, c’est la pire des insulte que l’on puisse me faire !”, s’offense-t-il. “La une de la Marseillaise m’a rendu dingue. Ce qui m’a fait le plus de mal, c’est les railleries de mes anciens camarades de gauche qui ont travaillé avec moi pendant des années et qui ont commencé à me taper dessus pour des raisons bassement politiques. Sans compter ceux qui font du social à partir du Vieux-Port, sans avoir mis les pieds dans les quartiers, ainsi que les bobos qui ont des biens à eux, en ayant bénéficié des APL et de la CAF”.
Non, je ne suis pas un Samaritain, je connais seulement la réalité des quartiers. Mais maintenant, ma femme me pousse à vendre l’appartement pour en finir avec cette sale histoire
Christophe Madrolle, considéré comme un élu marchand de sommeil par La Marseillaise
Longtemps éducateur spécialisé dans la banlieue parisienne, puis au nord de Marseille – avant de décrocher un poste au ministère de la Transition écologique et solidaire – il joue la transparence en montrant les dossiers de ses locataires successifs, tous en situation sociale difficile. Les derniers, arrivés du Var en février 2019, sont une famille de gitans composée d’un couple et de deux enfants. Ils habitaient précédemment dans une caravane. Le T3, perché au 4ème étage sans ascenseur des bâtiments G-H, vient d’être refait pour un coût d’environ 1700 euros. Son loyer est de 520 euros/mois plus 80 euros de charges, dont une APL de 490 euros.
Christophe Madrolle a racheté pour 60 000 euros cet appartement en 2007, au comptable d’une association d’insertion dont il était administrateur, dans le cadre d’une transaction entre particuliers. “C’est un accompagnement permanent. Mes locataires n’avaient aucun revenus et je suis aux Rosiers au moins deux fois par mois pour m’occuper d’eux. Ici, c’est “la famille”, je suis même invité aux mariages et anniversaires”, explique-t-il. “Non, je ne suis pas un Samaritain, je connais seulement la réalité des quartiers. Mais maintenant, ma femme me pousse à vendre l’appartement pour en finir avec cette sale histoire”, conclut-il dépité. Il affirme lui rester encore plus de 17 000 euros de crédit à rembourser.
Les cafistes
Ce grand ensemble n’a pas échappé aux appétits de multiples “boursicoteurs” de l’immobilier, autrement appelés cafistes. Profitant du déficit chronique de logements sociaux à Marseille, ces derniers ont en effet mis en place un système qui consiste à acquérir, avec un prêt bancaire, un logement dans un quartier “sensible”, et donc à un prix largement inférieur au marché environnant. Ensuite, des annonces disséminées sur des sites spécialisés dans l’immobilier, sans oublier le bouche à oreille, rabattent la proie : de préférence une famille avec enfants, même sans ressources.
L’allocation logement – un droit de tout foyer à bas revenus – versée directement au bailleur par la CAF, est en effet une solide assurance contre les loyers impayés. Ainsi, ces prédateurs peuvent très vite se retrouver à la tête d’un patrimoine immobilier sans avoir cassé leur tirelire. Bien sûr, il reste les charges de copropriété à débourser, mais elles sont le plus souvent comprises dans le loyer, imputées de fait au locataire.
Au fil des années, ces investisseurs se sont emparés de près de la moitié des 723 appartements, répartis sur cinq grandes barres de 11 à 12 étages, bordées de huit blocs de 3 étages, ainsi que d’une dizaine de locaux commerciaux. Parmi les actuels 486 propriétaires répertoriés – dont une grande partie réside ailleurs qu’aux Rosiers, voire même en dehors de Marseille – on compte au moins soixante SCI et multi-propriétaires individuels. Difficile d’y voir clair dans ce dédale de sociétés civiles immobilières (SCI) portant des noms propres ou issus de l’imaginaire de leurs fondateurs, souvent membres d’une même famille et de leur cercle d’amis initiés. Sans oublier les multiples SCI Les Rosiers, mais aussi des sociétés comme Sud Import, sarl AML, ainsi qu’Immeubles du Midi et Colomc, ou bien encore l’Agence du 148.
Forêt de SCI
Est-ce un hasard ? Une bonne quinzaine de ces SCI – sans compter des personnes privées – sont aussi présentes au sordide Parc Corot, situé dans le 13e arrondissement. Une recherche approfondie au greffe du tribunal de commerce de Marseille, permet en effet de se rendre compte de l’appétit de ces réseaux disséminés dans d’autres copropriétés dégradées, comme la cité Bellevue à Félix-Pyat (3e) ou La Maurelette (14e). Ainsi, la SCI Colomc émarge à la fois dans la liste des propriétaires des Rosiers et du Parc Corot. Son mandataire est aussi le patron du Syndic Cogefim Fouque, qui assurait la gestion du Parc Corot, mis sous administration judiciaire depuis trois ans… et des Rosiers dont il a été évincé par le conseil des propriétaires, en mars 2017, après une longue bataille. Idem pour la SCI Les Belles Rives, domiciliée à Vallauris, dont le gérant, Hassen C. est connu pour passer, tous les mois, relever lui même ses loyers en liquide et faire la sourde oreille aux demandes de ses locataires.
Est-ce un hasard ? Une bonne quinzaine de ces SCI – sans compter des personnes privées – sont aussi présentes au sordide Parc Corot, situé dans le 13e arrondissement. Une recherche approfondie au greffe du tribunal de commerce de Marseille, permet en effet de se rendre compte de l’appétit de ces réseaux disséminés dans d’autres copropriétés dégradées, comme la cité Bellevue à Félix-Pyat (3e) ou La Maurelette (14e).
Autres exemples : l’Agence du 148 – initialement domiciliée au 148 rue Felix Pyat – s’est spécialisée dans l’acquisition et la location de logements dans les copropriétés dégradées, avant de se diversifier. Mazal Tov 1, propriétaire de locaux commerciaux particulièrement détériorés est, quant à elle, l’une des SCI de la famille Elbaz dont l’un des membres, Jacques Elbaz, a été condamné comme “marchand de sommeil” en février 2017 pour son immeuble gravement vétuste et insalubre du boulevard de Plombières dans lequel il logeait six familles avec enfants, malgré un arrêté de mise en péril.
Un million d’euros de dette pour la copro
Il n’y a rien rien d’illégal dans le fait d’acquérir des logements dans des copropriétés vieillissantes pour les louer, à condition de remplir ses obligations à la fois de copropriétaires et de bailleurs. Ce qui n’est pas la préoccupation des cumulards qui louent des appartements souvent détériorés, et contribuent à l’endettement de la copropriété des Rosiers en ne s’acquittant pas régulièrement de leurs charges. Résultat : une dette de 1 068 713 euros au 31 décembre 2018, englobant les impayés des propriétaires et des factures de travaux réalisés depuis plus de dix ans, et une dégradation qui n’en finit pas. Et ce, malgré un plan de sauvegarde clôturé en 2008 qui devait rénover durablement les Rosiers et remettre les compteurs à zéro.
“Sans nous, ces gens-là ne pourraient pas se loger !”, explique, outré par l’anathème “cafiste”, Olivier Nastasi, ex-agent immobilier reconverti en rentier. “En 2007, j’ai acquis à crédit un T3 pour 60 000 euros, au moment de la rénovation, et un T4 pour 70 000 euros. Pour moi, Les Rosiers étaient un bon placement. Tout était beau sur les plans illustrés des architectes : les ascenseurs circulaient dans des cages de verre le long des immeubles, les jardins resplendissaient de verdure, avec des bancs à l’ombre des arbres. Alors, dans la foulée, j’ai acheté d’autres appartements en mon nom, et j’ai créé une SCI avec un associé”.
Ce trentenaire volubile, employé depuis juin 2019 comme coordinateur par le conseil des propriétaires, était l’influent président de ce dernier, de janvier à 2014 à mars 2016, avant d’entrer en conflit avec Cogefim Fouque – l’ancien syndic gestionnaire des Rosiers durant 20 ans. Au fil des ans, il a acquis 25 appartements aux Rosiers, dont les crédits s’étalent jusqu’en 2033. “Ici, tout le monde me connaît et vient me voir quand il y a un problème de tuyauterie, d’inondation ou d’électricité, poursuit-il. Et je n’ai rien à cacher !”
Investisseurs ou marchands de sommeil
Joignant le geste à la parole, il nous fait visiter un T3 vide en réfection, perché au 6ème étage du bâtiment A, puis un T5 actuellement loué, situé au quatrième étage sans ascenseur du bâtiment I. Cet appartement de 88 m2 est occupé depuis début septembre par une famille mahoraise : un père agent de nettoyage, une mère au foyer et leurs sept enfants. Sa propreté contraste avec l’état de l’escalier pour y accéder, en béton nu recouvert d’une épaisse couche de crasse accumulée depuis des années.
Dans la petite pièce principale encombrée par le mobilier, l’ancienne cheminée qui abritait le poêle à charbon ou à fioul a été condamnée, de même que le bec de gaz, “pour des raisons de sécurité”, se justifie Olivier Nastasi. “J’ai changé les toilettes, le cumulus pour l’eau chaude, et les chauffages électriques”, clame sans complexe le propriétaire, tandis que ses locataires affichent une mine réjouie. Sur le palier, un radiateur attend effectivement une seconde vie.
Cependant, à entendre sa complainte, le rêve de ce spéculateur serait devenu un cauchemar. En cause : le coût d’entretien de ses appartements “vite dégradés par des locataires indélicats”, le turn-over rapide de ces derniers, et les squatteurs arrivés soudainement l’été dernier qui font fuir les potentiels “clients”. “Je viens de revendre quatre logements, seulement au prix du crédit que je dois encore pour chacun : 35 000 euros le T3 et 40 000 euros le T4. J’ai réglé ma dette à la copro, mais je suis coincé”, raconte-t-il décontenancé. “Jusqu’à présent, les bénéfices de mon immeuble à la Joliette, acquis avec un associé, me permettaient de compenser les galères des Rosiers. Mais c’est devenu ingérable car les locataires ne restent pas, et le crédit est prélevé tous les mois.” Mais surtout, les prix de vente des appartements de cette cité, gangrenée par la petite délinquance et des règlements de comptes épisodiques, se sont effondrés. Ironie du sort, pour 100 € de plus, certains de ses locataires des Rosiers habitent désormais dans son immeuble donnant sur la rue de la République.
Bien sûr, “bailleurs sociaux” individuels, investisseurs de la misère et “marchands de sommeil” ne sont pas à loger à la même enseigne. Mais être copropriétaires d’une résidence implique une responsabilité collective concernant son entretien, et le respect de la loi en matière locative.
Pour Alexandra Louis, député LREM du secteur, il y a péril en la demeure. “C’est une des copropriété les plus dégradée de Marseille, ses comptes sont au rouge et je ne veux pas prendre le risque que les Rosiers sombrent encore plus”, explique-t-elle, bien décidée à obtenir la nomination d’un administrateur provisoire.
À l’appui de sa demande, Alexandra Louis a envoyé une note détaillée au ministre du logement et au préfet des Bouches-du-Rhône, dans laquelle elle liste les dégradations constatées lors de sa visite des Rosiers. Elle s’est même adressée, en mars 2019, au parquet de Marseille en espérant que des enquêtes préliminaires seraient diligentées pour débusquer les “marchands de sommeil”.
Affolés par les squats d’une trentaine de logements, des propriétaires sont tentés de profiter de la grande vulnérabilité des derniers arrivants aux Rosiers, en l’occurrence les demandeurs d’asile en attente d’un statut, comme ce jeune couple nigérian avec enfant qui n’a pas encore droit à la CAF, mais doit payer 500 euros pour un T3 à une SCI domiciliée à Lyon. Auparavant, cette famille avait été installée par des racketteurs se prétendant propriétaires du logement, en échange d’un versement de 450 euros en liquide.
Commentaires
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C’est clair, j’en ai la larme à l’œil. 25 appartements…
Cet article me laisse une impression bizarre..
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très intéressant, merci
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Il peut arriver que des ” cafistes” qui perçoivent déjà par paiment direct l’APL fassent payer aux bénéficiaires un “complément ” de loyer
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Article remarquablement documenté ! C’est vraiment un travail de grande qualité. Il met en lumière comment et avec quelles complicités, cette cité des Rosiers, effectivement prisée il y a quelques dizaines d’années ( j’y venais visiter régulièrement un de mes amis qui y habitait), s’est délabrée.
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Personnellement, ce qui m’a frappée, c’est la photo et la saleté de lieux .
Les locataires sont pauvres, ils sont à la merci des bailleurs, oui. Mais sont-ils obligés de ne même pas sentir la nécessité de ne pas polluer, de ne pas jeter papiers et plastiques? Je sais bien qu’il y du mistral et qu’il emporte les déchets légers, mais ne pourraient-ils entretenir les abords de leurs immeubles?
Cet état d’esprit ne peut que conforter les vautours qui encaissent les loyers.
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