Rongé par l’insalubrité et le trafic, le Gyptis vit ses derniers jours
Cette ancienne résidence étudiante de 260 studios est promise à une évacuation prochaine. Ses derniers habitants, qui dénoncent l'abandon dont il sont victimes, vivent dans un environnement particulièrement sordide.
Un arrêté municipal, en date du 16 février 2023, a décidé de l'évacuation de cette copropriété très dégradée de la rue Cristofol (3e). (Photo C.By.)
Cheveux noirs et pyjama rouge foncé, le nourrisson dort à poings fermés, entouré de gros coussins colorés. Le bébé de deux mois fait sa sieste matinale sur le lit de sa mère. Sommier et matelas ont été tirés vers le centre de la pièce à vivre, pour ne pas être en contact avec le mur. À quelques dizaines de centimètres de la tête du nouveau-né, la cloison gorgée d’humidité croûte. Le plâtre et l’enduit sont tombés, laissant les briques orangées à nu. Au 8e étage de l’immeuble Gyptis I, Samia* vit dans cet appartement insalubre depuis mai 2021. La jeune maman contemple d’un air désolé ce studio qu’elle partage avec ses deux enfants : “C’est horrible de vivre ici, oui. Mais je n’ai pas le choix.”
Comme l’ensemble des habitants de cette résidence située rue Cristofol (3e), Samia devra bientôt quitter ce logement. Le 16 février dernier, la mairie de Marseille a pris un arrêté d’évacuation qui décide qu’il y a lieu “dans un délai de deux semaines, d’évacuer et interdire l’occupation de l’immeuble, de faire couper les fluides et d’assurer une fermeture sécurisée de l’immeuble.”
Point de deal et filtrage à l’entrée
Cet arrêté est l’ultime épisode dans la longue descente aux enfers de cet édifice qui rassemble quelque 260 studios originellement voués à l’accueil des étudiants. Depuis deux ans, les décisions préfectorales et municipales pour constater l’insalubrité des parties communes et ordonner des travaux d’urgence s’empilent. Sans que la copropriété ne réussisse à s’en relever. Sans, surtout, que le quotidien de ses habitants n’en soit allégé. Les derniers résidents, qu’ils disposent d’un bail en bonne et due forme ou qu’ils squattent, doivent composer avec l’état extrêmement dégradé du bâti et la présence d’un point de deal qui filtre, par la seule porte de l’édifice, toute entrée dans l’immeuble.
Dans les couloirs souvent plongés dans le noir, l’odeur d’urine et de renfermé prend à la gorge. Au gré des dix étages, des traces de sang, une flaque de vomi et les stigmates d’incendies le disputent aux gravats, portes arrachées, poubelles jetées çà et là. Et partout, de l’eau qui suinte, ronge, s’infiltre. Quand on ne la voit pas, en petites mares retenues par des amas de linge, on entend son ploc-ploc régulier à chaque étage. Ce que relève l’arrêté municipal non sans inquiétude, craignant que ces dégâts des eaux récurrents ne viennent fragiliser “la structure même de l’immeuble”.
Les dealeurs ramènent des gens pour occuper les apparts. Mais après ça créé des cris, des bagarres… Depuis que je suis là, il y a eu deux morts dans des règlements de compte.
Samia, une habitante
Samia décrit des conditions de vie particulièrement difficiles. Elle raconte “les rats, les cafards qui [lui] viennent sur la tête” pendant la nuit. Comme tous les occupants, elle évoque aussi sans fard les petites mains du réseau de trafic de stupéfiants qui montent la garde quasiment en permanence dans l’entrée. “Ils ne nous emmerdent pas directement, explique la jeune femme dans sa minuscule cuisine. Mais ils ramènent des gens pour occuper les apparts. Ils organisent les squats. Vu qu’ils ont du pouvoir, ils n’hésitent pas. Mais après ça crée des cris, des bagarres… Depuis que je suis là, il y a eu deux morts dans des règlements de compte.” Elle s’angoisse qu’un incendie – comme il s’en est déjà produit un en mai 2021- ne se déclenche. “Ces voyous, dès qu’ils ne s’entendent plus, ils mettent le feu”, s’alarme-t-elle. Croisé au 10e étage, un homme en veste grise abonde : “On prend des risques à vivre ici.”
Mamane (*) habite là depuis cinq mois. À son cou, brille un médaillon qui a la forme du Niger, son pays natal. Chaque mois, il paye 400 euros “à un arabe” qui l’a fait entrer là. Débouté du droit d’asile, le jeune garçon a squatté au Parc Kalliste, puis dormi dehors avant d’atterrir au Gyptis “avec un pote”. Il n’aime pas spécialement vivre ici, mais c’est toujours mieux que la rue, glisse-t-il en montrant les deux matelas de mousse posés à même le sol sous la fenêtre aux carreaux cassés, maintenus par du scotch marron.
La pression indue des propriétaires
Mamane ignore tout ou presque des arrêtés successifs qui frappent l’immeuble. Il y a quelques mois, il a bien vu un papier officiel, glissé sous sa porte. “Moi je ne sais pas lire le français, mais mon pote oui. Il a compris que c’était pour dire qu’on pouvait ne pas payer le loyer. Mais nous, on doit le payer…”, reprend Mamane. Lorsqu’un arrêté préfectoral d’insalubrité est pris, le paiement du loyer d’un logement est suspendu. Depuis le 1er août dernier, les locataires du Gyptis n’ont donc plus à le payer. Sauf les nombreux résidents, qui comme Mamane, occupent les studios sans droit ni titre, et continuent de s’acquitter de leur dû mensuel auprès de marchands de sommeil peu scrupuleux. De la main à la main.
Cet immeuble, il est foutu.
Tariq, un habitant
Sur son palier, Tariq* soupire : “Cet immeuble, il est foutu.” La petite trentaine, il partage le studio avec sa femme depuis 2018. Il dispose d’un bail, dit-il, et extirpe une quittance de loyer d’une pochette cartonnée bleue. Mais sur son téléphone, il montre aussi les messages que lui envoie son propriétaire chaque mois. Des textos intitulés “CONTENTIEUX”, en lettres capitales, défilent depuis l’été et additionnent les mensualités que le bailleur considère comme des impayés. “Il nous met la pression, chaque mois”, s’agace Tariq. Son épouse reste calfeutrée dans le petit appartement méticuleusement entretenu, pendant qu’il parle : “Elle a peur de sortir. Elle est toujours en stress. Avec les squatteurs et la drogue, en bas, ça la rend malade d’être ici. Moi, je suis d’accord pour qu’on nous emmène ailleurs. On veut juste vivre tranquilles.”
Dépôt de plainte
Ce jeu trouble des propriétaires, Friday* en est aussi victime. Son bailleur – qui assure que les occupants de ses trois biens sont tous en règle – continue de percevoir 400 euros mensuels, en dépit de l’évacuation imminente des logements. Debout dans le couloir, le propriétaire nie, il ne réclame que les charges, assure-t-il. Une quinzaine d’habitants et l’association Marseille en colère, se sont élevés contre cette illégalité manifeste. Ils ont déposé une plainte le 18 novembre dernier auprès du procureur de la République de Marseille. “L’encaissement des loyers n’est qu’une prévention parmi d’autres, explique leur avocat, Aurélien Leroux. La plainte vise la mise en danger d’autrui, la soumission à des conditions d’hébergement incompatibles à la dignité humaine, la violation de domicile et le refus de relogement“. Selon nos informations, elle a donné lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire et à de premières auditions.
“On ne demande pas l’aumône, on paye ici. Laissez-nous vivre dignement !”, s’emporte Kamel, un quadragénaire costaud qui payait 500 euros pour ses 23m². Comme tous, il pointe l’abandon inexorable des lieux.
C’est une aubaine pour le locataire qui rentre, prend sa douche, vit sa petite vie et ne paie pas. Pendant que moi, je suis délesté de mes biens.
Un propriétaire
La caisse d’allocation familiale (CAF) a, dans le même temps, cessé les versements directs aux propriétaires dont les locataires sont bénéficiaires de ses aides. Ce qui fait bondir Gabriel Saghroun. Avec ses frères, il possède une quinzaine de studios au Gyptis. “On ne tape pas sur les squatteurs ou les envahisseurs, on tape sur les propriétaires alors que nous, on dépense un fric fou ! De quel droit la CAF donne l’ordre aux locataires de cesser de payer les charges ? C’est inouï, on est dépossédés de nos bien par l’État”, s’énerve le bailleur. L’état, sordide et invivable, du bâtiment ? Il n’y est pour rien. La faute en incombe à un syndic “complètement dépassé” et à “un gang de bandits qui casse tout dès que c’est réparé”. D’ailleurs, à ses yeux, la vie au Gyptis “c’est une aubaine pour le locataire qui rentre, prend sa douche, vit sa petite vie et ne paie pas. Pendant que moi, je suis délesté de mes biens.”
Une aubaine. Samia ne réalise sans doute pas sa chance. Elle est trop occupée à ranger ses affaires, celles de son fils et de son nourrisson, avant leur déménagement prochain. Vers une adresse encore inconnue. Cela l’inquiète si peu :“De toute façon, ça ne pourra pas être pire qu’ici.”
(*) Les prénoms ont été modifiés.
Merci d’être allée voir : il faut que tout ça se sache. C’est glaçant.
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J’espère que l’immeuble, après travaux, sera rendu à sa destination initiale : les étudiants (le plus logique vu la configuration en studios et la proximité de l’université), mais cette fois via un bailleur social (portage sur 60 ans minimum), pas un produit en défiscalisation !! Ce type de résidences étudiantes privées devraient être interdites, mais on continue d’en construire.
Indépendamment du projet sur le bâtiment, il faut avoir une réflexion sur le quartier ; pourquoi ne pas profiter de la présence d’AMU pour faire un projet global orienté vers les nombreux étudiants / jeunes ? avec une offre culturelle, des espaces publics accueillants et certaines voies piétonnisées etc.
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Tout à fait d’accord avec @Un urbaniste et avec @Pascal L ci dessous. Cette défiscalisation sans contrôle de résidences étudiantes était un fiasco annoncé. Même dégradation en bas du Merlan “Le Campus 1” et en haut du Merlan “Le Major” rue des Géraniums/ avenue du Merlan qui commence à basculer. Les Cités U gérées par le CROUS ont bien mieux résisté.
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C’est tellement un bon placement : ces studios ont été acheté autour de 25 000 euro et on peut les louer 6000 par an sans faire aucun travaux. En 5 ans on a récupéré sa mise, imbattable !
La nature a horreur du vide, il se trouvera toujours des gens sans scrupules donc il faut cesser de financer ce système par de l’argent public.
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Merci @Gilles et @Coralie pour ce dossier. On touche littéralement le fond du système de défiscalisation / construction en se fichant totalement de la suite / gestion non pas dans l’intérêt de la copro et de ses habitants mais dans celui des “artisans” du système. Ca serait d’ailleurs intéressant d’avoir un petit historique de cet immeuble (des années 70 je crois) et de sa descente aux enfers annoncée. Et aussi d’aller voir comment se portent d’autres résidences étudiantes plus récentes du quartier.
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Je suis d’accord avec vous ça serait vraiment instructif d’avoir l’historique et une explication des différentes lois qui ont permis même favorisé la dégradation
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On peut facilement imaginer l’histoire de la dégradation. Les studios sont achetés pour des raisons de rentabilité importante, en bénéficiant de facilités fiscales. La rentabilité est maximum (cf @ Pascal L). Après les premières années sans souci, des travaux d’entretien s’imposent, ils sont écartés par les propriétaires (qui peuvent habiter très loin) car ils vont faire baisser la rentabilité. Ces studios, largement rentabilisés, sont alors vendus à prix cassés, quelquefois par lots, à de nouveaux proprios encore moins enclins à les entretenir (cf Gabriel et ses frères, propriétaires d’une quinzaine de logements et indignés par cet arrêté d’insalubrité pris à l’insu de leur plein gré) ). Les étudiants fuient et sont remplacés par une population plus fragile. La spirale néfaste est enclenchée………
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Merci pour cette explication Richard. Très claire, à faire tourner…
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Est ce que l architecte est Ito Marcuccini qui a réalisé le Gyptis ?
Parce qu’on parle du Gyptis mais c’est Gyptis 1 en fait…. j’ai un doute.
Si oui c est incroyable que cet immeuble soit dans cet état. Il a réalisé le Racati, le Camille Flammarion et participé à la Reconstruction autour du port avec les 20 autres architectes de ce projet d après guerre.
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Selon PSS Archi il a fait les deux.
https://www.pss-archi.eu/architecte/12273
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Merci pour ce détail mais bon pss c est des gens comme vous et moi qui donnent les infos. j ai deja corrigé des erreurs…..
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