[Retour aux sources] Quel avenir pour le château d’eau des Alpes ?
Marseille et la métropole doivent beaucoup de leur essor économique à l'eau venue des Alpes, "importée" sur leur territoire depuis la Durance et le Verdon. Le changement climatique pourrait faire naitre des tensions pour le partage de l'eau entre les différents usages et territoires. Avec son équipe, l'hydrologue Éric Sauquet a mené une étude prospective sur ce thème.
[Retour aux sources] Quel avenir pour le château d’eau des Alpes ?
La série
Depuis le robinet que l'on ouvre sans y penser, Marsactu remonte le fil de l'eau amenée par le canal de Marseille. Des rigoles aux glacier des Écrins, c'est notre retour aux sources estivales.
Au fil des siècles, Marseille et le territoire métropolitain sont devenus complétement dépendants de l’eau des Alpes, “importée” en dehors de son bassin naturel, celui de la Durance. Au moment où elle construisait le barrage de Serre-Ponçon, dans les années 1950, l’entreprise EDF promettait un prospérité infinie à la Provence. Le réchauffement climatique semble changer la donne. Les glaciers et les accumulations hivernales de neige ont des fontes plus rapides. La neige a tendance à se faire moins abondante. Au cœur de la période sèche, qui s’allonge, le château d’eau alpin restitue moins d’eau.
Le système “Durance-Verdon” – aménagé dans les années 1960 – détourne annuellement “plus de 1100 millions de m3 [qui] sont utilisés par d’autres bassins”, comptabilisent la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) et l’agence de l’eau dans un diagnostic de la ressource de 2018. Soit “40 % des volumes utilisés sur la région et 95 % des volumes importés.” Ces volumes sont primordiaux pour tous les pans de l’économie, en commençant par l’agriculture, sans oublier l’hydroélectricité qui représente l’équivalent de la consommation électrique annuelle de 2,5 millions d’habitants, ni même l’industrie raccordée au canal de Provence. Avec la construction des grands barrages, de nouvelles activités nautiques se sont aussi imposées dans l’économie touristique des départements alpins.
La ressource qui descend des Alpes est encore abondante, mais dans les prochaines années elle pourrait ne pas être suffisante pour satisfaire tous les usages et tous les territoires. C’est ce qu’expose l’hydrologue Éric Sauquet. Le chercheur de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) a coordonné des travaux de recherches visant à proposer une prospective de la gestion de l’eau à l’horizon 2050. Ces travaux, menés par une trentaine de chercheurs et achevés en 2015, ont été baptisés R²D² 2050 pour “Risque, ressource en eau et gestion durable de la Durance en 2050″.
Suivre ce lien pour télécharger les résultats de l’étude.
Quel constat faites-vous sur les effets observables actuellement du réchauffement climatique ?
On a clairement une tendance de diminution de la ressource naturelle à l’échelle nationale et principalement sur le sud du territoire. L’effet du changement climatique se concrétise par des températures plus élevées et un état de sécheresse des sols qui est plus important. Pour les cours d’eau, les années récentes ont pu montrer que les recharges hivernales des nappes qui soutiennent les débits en été ne sont plus assurées à 100 %. Chaque année est différente et apporte son lot de surprises. Mais la tendance lourde dans les observations est plutôt vers une diminution de la ressource.
Comment avez-vous mené ce travail de recherche ?
Le projet R²D² 2050 s’est appuyé sur une base de connaissances d’abord physiques, élaborées à partir des données météorologiques et hydrologiques et validées par la communauté scientifique. Il s’agit par exemple des chroniques de débits et de températures des cours d’eau. Puis, pour des besoins de compréhension spécifique sur certains territoires, nous sommes allés interroger des acteurs. Quand on s’est intéressés, par exemple, à la gestion de tous les canaux sur la partie aval du territoire, des collègues ont rencontrés les gestionnaires de ces canaux.
Ensuite nous avons construit des modèles numériques grâce aux données collectées, qui nous ont permis de faire des simulations de débits principalement sur la Durance et le Verdon, en temps présent – pour vérifier la justesse de nos modèles en les comparant aux observations – et en temps futur. Nous avons projeté quatre scénarios contrastés d’évolution du territoire : “investissement”, “spécialisation”, “écologie” et “crise” [voir les caractéristiques ci-dessous dans le schéma]. Ils ont été complétés par une trajectoire “tendancielle”, si l’on suit les évolutions socio-économiques constatées actuellement sur le territoire.
Selon vos projections, quelle est votre vision pour l’avenir sur le bassin de la Durance ? Est-ce qu’il y a des risques de manque d’eau ?
Les tendances fortes sur la diminution des ressources observées ces dernières années incitent à la poursuite de mesures de lutte contre le gaspillage dès maintenant. Même si les réserves physiques en eau semblent suffisantes à l’horizon 2050, les changements climatiques et socio-économiques vont modifier sensiblement la capacité des grands barrages à satisfaire les différents usages. Il faudra donc pour les acteurs trouver les voies qui leur permettront de parvenir à un nouvel équilibre. Si on ne fait rien, la situation deviendra difficile à gérer à plus ou moins long terme, et selon les prélèvements en eau nécessaires aux activités économiques futures.
Face au risque de manque d’eau, rappelons qu’il y a deux types d’usagers. Ceux qui ont de l’eau parce qu’ils sont connectés au système Durance-Verdon sont dit sécurisés. Ils sont relativement chanceux, les Alpes seront toujours là et auront toujours leur fonction de château d’eau : ce que l’on a pu montrer dans nos simulations c’est que l’on est toujours capable de remplir Serre-Ponçon, même s’il va falloir modifier la gestion des stocks parce que la fonte de la neige va être avancée.
La ressource ne sera pas renouvelable chaque année.
En revanche, les usagers qui ne sont pas connectés à la Durance ou au Verdon, eux, vont souffrir plus fortement du changement climatique, car tributaires de la ressource locale et des arrêtés préfectoraux limitant les prélèvements. Il y a une tendance à vouloir se raccorder au sytème Durance, pour sécuriser son activité. Cependant, tous les usagers ne pourront pas se raccorder parce que la ressource n’est pas illimitée.
En 2019, les activités nautiques sur le lac de Serre-Ponçon ont dû être stoppées à la mi-août parce que la cote touristique (780 mètres d’altitude) était insuffisante. Les arrêtés de restrictions sont de plus en plus fréquents, y compris sur les bassins qui exportent l’eau de la Durance. Ne faudra-t-il pas aussi concilier les usages déjà existants ?
Certes la situation n’est pas critique à l’horizon 2050 mais tous les usages ne vont pas être impactés de la même manière. On a effectué nos simulations avec des hypothèses de hiérarchisation des besoins. Ainsi, on a convenu qu’en 2050 la priorité sera donnée au respect des débits écologiques, réservés pour préserver les milieux. Viendrait ensuite l’alimentation en eau potable, puis l’agriculture, puis in fine l’énergie. Nous avons regardé également au niveau de Serre-Ponçon, la capacité à maintenir la cote touristique à l’horizon 2050. Maintenir cette cote touristique toutes les années pourrait être assez problématique, voire impossible. Je ne sais pas si l’année 2019 reflète en termes climatiques celles de 2050, mais cela démontre par l’exemple que la situation est déjà tendue et qu’il y a une vulnérabilité.
Les résultats de votre étude circulent-ils à présent ? Les décideurs s’en emparent-ils ?
J’ai passé une année à présenter les résultats. Finalement au niveau des acteurs, on retient dans ce genre d’études ce que l’on veut, selon qu’on veut être optimiste ou pessimiste. C’est-à-dire que certains en ont conclu qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. Effectivement dans mon discours il n’y avait rien d’alarmiste, mais étant données les trajectoires socio-économiques des territoires, il y a certains scénarios où ça ne passe pas. Qu’est-ce qu’on veut du territoire en 2050 ? Quelles seront les grandes activités économiques ? C’est cela qui va principalement conditionner les potentielles tensions sur le système Durance.
La ressource ne sera pas renouvelable chaque année. On n’échappera pas à des crises. Pour qu’elles ne se répètent pas chaque année, il faut que les acteurs se mobilisent et se concertent pour pouvoir proposer des solutions qui soient acceptables et acceptées par tous.
Vers un “parlement de l’eau” pour la DuranceOutre EDF, le canal de Provence ou encore l’agence de l’eau, Éric Sauquet et son équipe ont travaillé avec le Syndicat mixte d’Aménagement de la vallée de la Durance (SMAVD). Dans le sillage de R²D², et avec le même clin d’œil à l’univers de Star Wars, l’organisme met au point son propre modèle numérique du bassin, baptisé C³PO : soit “causes du changement climatique, prospectives et observations”. “Ce sera un outil d’aide à la décision sur la base de connaissances objectives”, affirme le directeur du SMAVD, Christian Doddoli. Pour adapter les usages de l’eau, le syndicat mixte est en train de mettre au point un schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE) qui sera décidé collectivement via une commission locale de l’eau (CLE) que le directeur qualifie de futur “parlement de l’eau”. Celle-ci rassemblera des représentants de l’État, des collectivités, d’EDF, des agriculteurs, des instances économiques, des associations environnementales, des associations d’usagers… Soit une centaine d’acteurs qui défendent des intérêts qui pourraient s’avérer être difficilement convergents.
Commentaires
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Du travail pour le futur haut commissaire au Plan
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Il est grand temps de réutiliser l’eau de consommation des ménages après épuration. Les coûts de pompage pour organiser les stockages sont dérisoires par rapport aux économies potentielles. Seulement voilà, il y a un hic ! Stocker les eaux usées après épuration nécessite que cette étape soit réalisée conformément aux normes en vigueur ; sinon, l’atmosphère à proximité des bassins deviendra vite irrespirable. Pour l’heure, les bénéfices tirés du travail réalisé par la Méditerranée sont trop important pour envisager de s’en défaire. Si ça pu dans certaines calanques ou certaines plages, il est encore assez facile d’accuser l’Huveaune…ou les chiens.
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La Durance, belle rivière sacrifiée sur l’autel du développement.
Cette année, peut-être du fait de l’arrêt de l’activité au printemps, le lac de Serre-Ponçon est bien plein.
Merci Marsactu pour cette série.
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Excellent article, sujet de première importance.
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