[Repas de familles] “Chez Tam-Ky c’est le cœur de Marseille et on y trouve de tout”
De l'apéro au café. Avec cette série d'été, Marsactu s'attache à cinq dynasties familiales qui font manger et boire Marseille. En guise de hors-d’œuvre, ce deuxième épisode offre une balade dans le labyrinthe des rayons de l'épicerie exotique Tam-Ky. Où se raconte l'histoire de la famille Sy, entre racines vietnamiennes, saveurs du bout du monde et accent marseillais.
L'épicerie Tam-Ky, à Noailles, a été rachetée par la famille Sy en 1989. Aujourd'hui, les dix enfants de la fratrie y travaillent. (Photo : Emilio Guzman)
Une odeur de nems tout juste frits et de menthe fraîche. Pour accéder au bureau de David Sy, il faut grimper quelques marches et passer devant la porte grande-ouverte des cuisines de Tam-Ky. Au premier étage, le gérant de cette mythique épicerie exotique installée rue Halle-Delacroix, au cœur de Noailles, tapote sur son ordinateur, une casquette floquée Tam-Ky sur la tête. Il est celui qui, depuis 2007, pilote les lieux. Mais il n’est pas tout seul. “Dans la famille, on est dix frères et sœurs : ça fait un garçon, une fille, un garçon, une fille… Il y a plus de 20 ans d’écart entre le plus âgé de la plus jeune” sourit-il. Mais tous – Thierry, Carole, Bertrand, Sylvie, David, Hélène, Rémi, Jacqueline, Philippe et Jina – travaillent ici.
Farine de manioc, sauce japonaise, ou pickles indiens, les amateurs le savent, le catalogue de Tam-ky est d’une richesse inépuisable. Un bonheur pour qui aime cuisiner les saveurs d’ailleurs. Ici se croisent tous les Marseillais quelles que soient leurs racines : mamans africaines, asiatiques, chibanias maghrébines ou bobos nouvellement installés dans le quartier. Créée en 1976, reprise par la famille Sy en 1989, l’épicerie Tam-Ky est devenue une institution locale. Et son histoire suit évidemment celle des parents de David et ses neuf frères et sœurs : Sy Khaï-Minh, le papa franco-chinois et Be Thi-Gioi, la maman vietnamienne.
“Mes parents sont partis dès qu’ils en ont eu l’occasion. Après la guerre du Vietnam, ils n’avaient plus rien et huit gamins à nourrir.”
David Sy
“C’était un peu des aventuriers ! Ils ont quitté le Vietnam en 1976, avec leurs huit enfants. Ils sont partis dès qu’ils en ont eu l’occasion. Après la guerre du Vietnam, ils n’avaient plus rien et des gamins à nourrir”, résume le quadragénaire. La famille fuit donc Phi Nôm, ses moyennes montagnes et ses terres agricoles, à une trentaine de kilomètres au sud de Da Lat. Première escale : Sarcelles en région parisienne, avant de rallier le Sud. “À l’époque, on cherchait de la main d’œuvre dans la région. On est passés par Miramas. Puis mes parents sont devenus ouvriers viticoles à Courthézon dans le Vaucluse”, reprend David. La famille reste là deux ou trois ans, puis gagne Marseille : “Mes parents se sentaient coupés de leur communauté. On a été super bien accueillis à Courthézon et très vite intégrés. Mais on était la seule famille viet et ils étaient isolés. Du coup, on a atterri à la Savine, au bloc A4. Et là, il y avait de tout !”
Cristophines et choux chinois à Gignac
Leur appartement regarde vers la colline, le papa travaille dans une usine de câbles électriques à Saint-Antoine et la maman réalise des travaux de couture. Aux beaux jours, le dimanche, tout le monde grimpe dans une Ford break et la famille va passer la journée à la plage du Jaï, sur les bords de l’étang de Berre, à Marignane. “Là, par le bouche-à-oreille, mes parents ont appris qu’un couple cultivait des fruits et légumes asiatiques pas loin, à Gignac-la-Nerthe. Au début, on allait juste acheter. Et quand ces gens sont partis à la retraite, mes parents ont repris l’affaire. On a amélioré les infrastructures, construit des serres et on s’est mis à fournir des restos et des magasins asiatiques dont Tam-Ky”, poursuit l’entrepreneur. Thi-Gioi et Khaï-Minh vivent toujours là, au milieu des pak-choï, cristophines, choux chinois et autres citronnelles qu’ils font pousser pour leur consommation personnelle.
Au milieu des années 80, rue Halle-Delacroix on compte plusieurs restaurants vietnamiens et déjà cette épicerie, une ancienne triperie, qui porte le nom d’une ville côtière. Les parents Sy la rachètent avec leurs quatre aînés en 1989. De primeur asiatique, les lieux mutent et s’étendent. Sur la place, à l’extérieur, les cagettes débordent. Les piments frais en sachets le disputent aux gingembres sauvages, bananes plantain dodues et patates douces d’Égypte. La modeste alim’ de quartier devient peu à peu un établissement avec pignon sur rue qui livre aussi bien des tables étoilées que les petits restos du coin. À l’intérieur, les locaux ont des airs de labyrinthe de produits pointus pour aventuriers de fourneaux en quête d’épices ou de sauces difficiles à débusquer.
Patrimoine local
Au gré des années et de la demande, évolutive, Tam-Ky élargit sa gamme. Jusqu’à devenir une référence incontournable en centre-ville. “Quand on me dit qu’on fait partie du patrimoine local, j’avoue que ça me fait presque un peu peur ! Si les gens nous apprécient c’est parce qu’on fait les choses passionnément”, glisse le président de l’entreprise familiale qui y voit la reconnaissance du travail accompli. À ses côtés une de ses sœurs aînées, Carole, hoche la tête : “Les gens nous connaissent bien maintenant. Ce qui est génial, c’est de voir que leurs enfants viennent après eux.” La relève est aussi assurée du côté familial puisque déjà la troisième génération, celle des nièces, met la main à la pâte. Le petit supermarché repose sur seize salariés, dont les dix frères et sœurs. Il y a quelques mois, la famille Sy a d’ailleurs tenté une nouvelle aventure et ouvert un restaurant, Gingembre, rue d’Aubagne.
“On aurait pu se casser à Plan-de-Campagne, mais on est fiers d’être ici, à Noailles. Parce que c’est cosmopolite.”
David Sy
Sous l’auvent rouge et or, Rémi, Thierry, Carole et David regardent le ballet incessant des clients. David rit : “Désormais, on est les seuls bridés de la place ! Mais on veut rester là. On aurait pu se casser à Plan-de-Campagne, mais on est fiers d’être ici, à Noailles. Parce que c’est cosmopolite. D’ailleurs, notre clientèle, elle est comme nous, elle raconte une histoire.” Barbe fournie et accent marseillais inimitable, Rémi prolonge : “Ici c’est le cœur de Marseille et chez nous, on trouve de tout. Et on sait aussi que si un client ne déniche pas ce qu’il veut, nous, on saura l’envoyer chez les voisins.” Passent deux jeunes femmes en robes d’été, des touristes de passage. La cote de Noailles en général et de Tam-Ky en particulier n’en finit pas de l’étonner. “Les gens arrivent de partout, de Tahiti, du Canada, de Corse et ils repartent avec notre casquette”, se marre-t-il.
Affluence touristique ou non, la routine reste la même. Au premier étage du petit supermarché, chaque matin, dès 6h, trois personnes s’affairent dans la cuisine. L’une d’elle roule les nems avec une minutie d’horloger suisse. Les autres réalisent les plats que le rayon traiteur vend à l’étage du dessous. Rouleaux divers et variés, bo-bun, salade aux crevettes, banh-cohn, ces crêpes garnies de viande et de champignons, samoussas… Ce rayon reste le cœur du réacteur. “On est connus pour nos produits viet, analyse Thierry, l’aîné des Sy. Avec les clients on n’a pas de secret. On partage et on donne nos recettes. C’est comme la famille.” Une famille qui n’en finit pas de grandir.
Tam-Ky : 5 rue Halle-Delacroix, 13001 Marseille. 04 91 54 00 86
Commentaires
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Carole et Rémi m’ont donné quelques recettes et quelques trucs de cuisine asiatique, merci, merci ! Et j’ai une pensée pour eux chaque fois que je cuisine des brocolis (mmm à la sauce aux huitres !) pleins d’autodérision, ils m’ont appris qu’il ne fallait pas en jeter le pied (des années de gaspillage) mais le peler en disant “nous les chinois on est radins”
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J’aime bien cette série d’été, en tout cas elle commence bien, en me faisant re-découvrir des produits (l’anisette) ou des lieux (la place des Halles Delacroix et son épicerie asiatique), et leur histoire, nous donnant l’eau à a la bouche, tout en racontant des pans de l’histoire de Marseille et ses habitants. Merci !
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Un article qui met le sourire.
Une très belle histoire, qui me donne encore plus envie de rester fidèle à ce magasin où je n’ai jamais pas trouvé ce que je cherchais.
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super article merci !
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Un article qui fait du bien.
Et une réflexion au passage : d’où qu’ils soient partis, arrivés ici au gré des destins et des hasards de l’Histoire, voilà ce que c’est, les vrais Marseillais ! Et cela depuis Gyptis et Protis, comme l’a raconté Fernandel dans une reconstitution rigoureusement conforme au principe “cette histoire est vraie puisque je l’ai inventée” https://www.youtube.com/watch?v=tZLHI72hq50
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Oui tamky c’est formidable et c’est vrai mais a quand un sujet sur les conditions d hygiène? Je doute fort que les rats de la place n y fassent pas plusieurs tours…et les frigos donnant directement sur la rue d Aubagne? Sans devanture?
Ce serait bien de les interroger sur ça aussi?
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Je comprends tout à fait vos interrogations et préoccupations très légitimes, mais bon, je me dis que tant que je ne suis pas intoxiquée alimentaire, -ça fait 24 ans que je fréquente Tam Ky -je ne me pose pas trop de questions. Car à ce train-là, je me demande combien de boutiques d’alimentation tous quartier confondus resteraient ouverts à Marseille … La bouffe en plastique sous blisters, c’est pas trop my cup of tea…
Tant pis ! Je préfère prendre ce risque (minime toutefois).
Les épices, fruits et légumes secs dans des grands sacs de toile ouverts à tous vents et de jour comme de nuit, qu’on rencontre aussi dans le quartier, ça ne vous interpellerait pas aussi ?
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Mais heureusement qu’il y a Tam Ky ! Et en centre ville encore ! Parce que moi, j’ai habité longtemps dans le 13ème, à Paris, avec toutes ses boutiques et restos asiatiques que j’ai beaucoup fréquentés et je n’aurais même pas imaginé que ça n’existe pas à Marseille ! Les produits dits “exotiques” ont autant de place chez moi que les autres. Et, oui, c’est vrai, maintenant mon fils y va régulièrement car il cuisine beaucoup. Et malgré le travail assez dur, on est toujours accueilli avec le sourire. “Pourvou qué ça doure !”, le plus longtemps possible.
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