“Réparer Noailles”, premier forum pour dessiner l’avenir d’un quartier meurtri
Samedi, les habitants de Noailles étaient invités à plancher sur l'avenir du haut de la rue d'Aubagne, plus de trois ans après les effondrements. Entre commémoration et envie de construire ensemble, c'est l'avenir d'un quartier qui se dessine.
Sophie Camard ouvre le premier forum de la contribution citoyenne. Photo : B.G.
Au plafond, les énormes rouages d’un pont métallique baignent dans le brouhaha de la première réunion de la “contribution citoyenne pour l’avenir de Noailles” organisée par la mairie, ce samedi 12 mars. L’ancien siège de la filiale marseillaise de la compagnie générale de Tramway, rue Sénac, sert de décor à un “forum ouvert”, une méthode d’intelligence collective censée permettre l’émergence de propositions collectives sur un sujet complexe, en peu de temps. Pour un peu, on se dirait que les rouages du plafond illustrent la métaphore démocratique, un peu grippée. Ils sont une centaine à jouer le jeu de ce forum ludique, bordélique et plein d’espoir.
On peut se projeter dans une forme innovante les questions techniques seront réglées après.
Laura Spica, militante associative
Pour l’heure, quatre ateliers bourdonnent de conversations, parfois vives. Dans le coin droit, il est question de l’emplacement des immeubles effondrés, et de ce qu’on pourrait y faire pour commémorer les huit disparus, tout en faisant œuvre utile pour les habitants. Il est question d’un restaurant communautaire, d’une salle de sports et d’un jardin partagé. “Il faut s’autoriser à être créatif, avance Laura Spica, de l’association Noailles debout. La puissance publique veut acquérir tous les immeubles du 63 au 83 et personne ne sait ce qu’ils veulent en faire. On peut donc se projeter dans une forme innovante, les questions techniques seront réglées après. On peut imaginer une serre, un jardin d’hiver au dernier étage”.
Un jardin ouvert ou fermé ?
Julien, un habitant du domaine Ventre, fait la moue. “Je ne peux pas concevoir l’espace privatif, avec une clef que seulement certaines auraient“. “Moi, je suis pour la vie, rétorque un autre participant. On ne peut pas avoir la commémoration et que ça“. Un habitant de la rue Jean-Roque renchérit : “Tu peux faire plusieurs choses : une salle de sports, un jardin et des appartements pour les gens qui n’en ont pas”.
À l’autre coin, il est question d’habitat indigne et des dispositifs pour l’éradiquer durablement. Sonia, une vieille dame qui vit au 38 de la rue d’Aubagne est venue avec son déambulateur pour participer à ce forum. Elle fait partie des habitants qui donnent un caractère populaire à cette assemblée. Et rassure les nombreux militants associatifs, parties prenantes de la démarche initiée par la mairie de secteur.
L’habitat indigne, toujours présent
Avec ses mots, Sonia tente d’expliquer la galère immobilière de son immeuble. Lors de la plénière qui ouvrait la séance, elle a planté un décor tristement ordinaire.
“Mon habitation est catastrophique. Tout est cassé. Les murs sont moisis. L’eau monte de la cave. Le 40 à côté est pareil. Dans mon immeuble, il y a des Comoriens, des Arabes, des Sénégalais. Et nous, les habitants, on ne peut pas s’exprimer. Cela fait 42 ans que je vis ici, et le quartier est mort. On a beaucoup parlé et personne ne nous a entendus. Les morts sont morts, on est là pour eux.On attend encore une catastrophe pour pleurnicher ?”
En atelier, les participants passent sans cesse du particulier au général, en essayant de faire émerger des actions profitables à tous. Il est question de subventions ANAH (Agence nationale de l’habitat), mais aussi des assurances indifférentes, des syndics incompétents… Les Tchalian vivent en face du lieu des effondrements. Depuis quatre ans, ils se débattent dans les procédures, les demandes, les études et diagnostics. “On est noyés dans la masse des choses, se désole Frédéric Tchalian. On a l’impression de ne pas pouvoir en sortir”.
Un peu plus tôt, devant la salle pleine, sa mère a dit sa douleur d’être contrainte de quitter son domicile pour ne plus y revenir, “quand on a consacré une partie de sa vie à acquérir son appartement, c’est dur“.
“Déjections canines et graffitis”
Gentrification, encadrement des loyers, équipements collectifs, le forum ouvert brasse large. Dans une autre salle, on parle “déjections canines et graffitis”, un prétexte pour interroger la gestion de l’espace public, le vivre ensemble. Certains commerçants ont fait le déplacement, un peu en retrait. “On travaille, nous”, grimace David Sy, le patron du supermarché asiatique Tam-ky. Même le patron du comité d’interêt de quartier, Yves Baussens, joue le jeu des ateliers.
Toutes les idées brassées en ateliers donneront lieu à une restitution écrite “avant le deuxième tour prévu le dimanche 27 mars”, formule Assia Zouane, de l’association des Minots de Noailles qui assure l’animation générale avec l’architecte Sandra Comptour. Cette dernière se souvient d’un autre forum sur l’avenir du quartier, organisé huit ans plus tôt et resté sans suite.
“Ce que vous direz ici, vous aurez toute liberté de le dire, de nous le rappeler année après année.
Sophie Camard, maire de secteur
En ouverture, la maire de secteur (Printemps marseillais), Sophie Camard a salué le processus d’aide à la décision que cette contribution doit constituer : “Ce que vous direz ici, vous aurez toute liberté de le dire, de nous le rappeler année après année. S’il y a bien des élus qui ont la pression, c’est nous”. Elle parle de “nouvelle page”, de guérison après le traumatisme de l’après 5 novembre, date à laquelle les immeubles se sont effondrés.
Les inconnues de la concertation
Pour cette raison, les nombreux acteurs associatifs, dont certains ont commencé à agir ensemble dans la foulée du drame, ont accepté de se prêter au jeu de la concertation ouverte, en collaboration avec l’association du quartier Destination familles. Tous y voient le prolongement du travail déjà entrepris dans le cadre ouvert de l’agora de Noailles. Mais ils ne sont pas dupes non plus. “Nous savons qu’il reste plein d’inconnues, convient Florian Grosset, le nouveau directeur de la structure. Notamment la façon dont nos contributions vont s’inscrire dans la seconde phase de concertation sur le projet partenarial d’aménagement”.
Les participants des deux ateliers sont censés également avoir accès à un “porter à connaissance” qui fait le point sur l’avancée des projets, les études empilées depuis des années… Obtenir les documents et les rendre intelligibles au plus grand nombre fait partie des nombreux défis qui restent à relever. Un collège des experts d’usage constitué de 30 membres, militants associatifs, représentants socio-professionnels et habitants, doit prolonger la démarche participative. Mais 30, c’est si peu pour un périmètre de 1000 hectares.
Pour conclure le forum, Assia enjoint les participants à définir en un mot, une phrase, l’exercice du jour : “espoir”, “égalité”, “communauté de travail”, “consensus dissonant”, “solidarité”, “patience”… Les mots s’égrainent dessinant la chaîne fragile et puissante d’une construction humaine.
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l’Espoir c’est le sang des pauvres, le Nombre c’est le sang des riches…Avec ça vont faites tomber immeubles, vous maintenez les injustices, vous déclenchez des guerres…
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