Balade dans le futur coeur vert de la Belle de Mai

Reportage
le 25 Jan 2017
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Dans le cadre de la concertation autour du projet Quartiers libres, entre Saint-Charles et la Belle-de-Mai, l'équipe du projet urbain propose une balade qui permet, notamment, de découvrir le jardin méconnu des sœurs qui vivaient cloîtrées.

Photo : Jean-Claude Moireau.
Photo : Jean-Claude Moireau.

Photo : Jean-Claude Moireau.

Ses murs de pierre et de béton épousent les sinuosités de la rue Levat. Un soleil inattendu en ce samedi 21 janvier fait ressortir la présence d’arbres dans ce quartier urbain de la Belle de Mai (3e). La croix d’une chapelle émerge au-dessus du portail de tôle grise du n°52 : le petit cortège de participants à la balade urbaine s’apprête à passer les portes d’un sanctuaire. Le monastère des victimes du sacré-cœur de Jésus et son jardin étaient occupés depuis 1843 par une congrégation aux règles très strictes : “Elles ne sortaient que pour aller voter“, s’amuse Etienne Ballan, sociologue membre du groupement d’architectes-urbanistes retenu pour le projet urbain Quartiers Libres. En septembre dernier, les sœurs ont subitement déménagé en Vendée, pour trouver une quiétude plus propice à la contemplation. Ce faisant elles ont libéré d’un seul coup un site comprenant 17 000 m2 d’espaces verts alors même que commençait le projet urbain.

La balade fait partie du dispositif de concertation mis en place par la Ville et le groupement lauréat de l’appel à projets. Sur dix ans,  un nouveau quartier métropolitain va lentement s’édifier à cheval entre la colline Saint-Charles et la Belle-de-Mai. Celui-ci est censé embrasser à la fois les visées de la ville et les attentes des habitants. (Photo : Jean-Claude Moireau)

Jusqu’au 26 février, la salle des machines de la Friche Belle de Mai accueille une exposition qui présente les prochaines étapes du projet. Dans ce cadre, une balade urbaine est proposée les samedis 4 et 18 février (11h, rendez-vous salle des machines).

C’est une des très belles surprises du début de ce projet” reconnaît Hélène Jouve, responsable de développement à la direction des grands projets de la Ville de Marseille. Les participants découvrent une oasis au détour de l’allée de gravier menant à la façade principale : au cœur de la ville, un vaste espace naturel parsemé d’arbres fruitiers, de buissons et de roseaux épouse en douceur le vallonnement d’un site qui s’étend des bords de la Friche au bas de la rue Levat.

Le jardin ceinturé d’un mur de pierres semble inépuisable, multipliant recoins et échappées, comme cette immense prairie en contrebas bordée par les petites maisons des rues Levat et Clovis-Hugues, qui déclenchent immédiatement les rêveries des visiteurs et les courses bondissantes de leurs enfants. “On l’avait repéré sur plan mais on ne s’attendait pas à découvrir un tel relief, c’est un espace très généreux“, approuve Michaël Güller, architecte-urbaniste de l’agence Güller Güller dont le cabinet a remporté l’appel à projets.

Ce petit paradis qui épouse les tracés des anciens chemins vicinaux du quartier Belle-de-Mai a été acheté par la Ville après le départ de la congrégation. Pour se donner le temps de comprendre le lieu et éviter son occupation sauvage, elle l’a confié pour trois ans à l’association Juxtapoz, chargée de l’ouvrir le plus rapidement possible aux habitants.

Juxtapoz en attendant

Ce collectif d’artistes a occupé sur le même mode l’ancien groupe scolaire Saint-Thomas-d’Aquin dans le 6e arrondissement, où il a réuni en 2015 quarante graffeurs pour une exposition éphémère baptisée Aux Tableaux ! qui a attiré 32 000 visiteurs. Pour le site de la rue Levat il prévoit une ouverture progressive après les premiers travaux de mise aux normes de l’électricité et de plomberie nécessaires à l’accueil du public. “Il n’y a pas encore de projet, tout est à construire et pour cela nous devons nous faire connaître et rencontrer les associations de la Belle de Mai”, précise Karine Terlizzi, membre du collectif. Car s’il est bien question de développer des activités artistiques et culturelles sur ce site nouvellement libéré, il s’agit d’associer les habitants et acteurs associatifs à la définition de l’avenir de ce lieu. Et, ce faisant, éviter l’installation de squats qui furent nombreux dans les casernes en friche du quartier.

Pour le Jardin Levat la Ville se paie donc le luxe du temps long, forme de bulle d’air au milieu des urgences. Car au-delà des moments exceptionnels promis par cet îlot de nature au cœur de la ville, c’est aux urgences quotidiennes des habitants que le projet doit répondre, un quotidien qui passe d’abord par l‘état de saturation et de dégradation extrême des écoles du quartier. Les parents et équipes enseignantes n’ont pas attendu Quartiers Libres pour interpeler les élus sur la situation et faire inscrire un nouveau groupe scolaire dans le cahier des charges de l’appel à projet. Mais ce nouveau groupe scolaire de 20 classes n’ouvrira pas avant 2021. La maire des 2e et 3e arrondissements, Lisette Narducci (PRG) l’a d’ailleurs formulé à l’adresse de Jean-Claude Gaudin lors de ses vœux :  “Si je peux faire un vœu, c’est que les dates de livraisons puissent être avancées. 2020, cela reste beaucoup trop loin quand on connaît la situation de saturation de nos écoles”.

Associer court et long terme

Toute la difficulté du projet Quartiers Libres tient dans cet art d’associer long et court terme : prendre le temps nécessaire pour construire de nouveaux équipements et inventer des solutions immédiates pour faire face aux urgences. Un arrêt devant l’école maternelle Cadenat à deux pas de la Friche rue Jobin permet aux participants à la balade de mieux comprendre les enjeux de cette gestion du temps. “On pensait qu’il s’agissait d’une école permanente construite pour durer, mais derrière les murs de briques rouges ce sont des préfabriqués qui ont été installés”, détaille Etienne Ballan devant l’école. Les préfabriqués sortent en 6 à 8 mois et ont permis de livrer l’école en un an en 2008. Mais ces solutions ne sont pas pérennes, et l’enjeu désormais est de faire du définitif “.

L’ancien verger des bonnes sœurs. Photo : Jean-Claude Moireau.

Les nouveaux architectes-urbanistes sont aussi là pour inventer des solutions rapides et qualitatives. L’école maternelle Cadenat est l’occasion d’une démonstration concrète : invités à se reculer de quelques mètres pour grimper sur le trottoir d’en face (rue Levat), les participants aperçoivent juste derrière l’école le bâtiment d’un ancien transformateur électrique. L’école en a simplement occupé le rez-de-chaussée pour installer la cantine, et une petite partie des étages pour le logement du gardien : 80% du bâtiment est donc inutilisée. Les architectes-urbanistes proposent donc d’y redéployer les classes, qui devraient y gagner en confort le temps que le futur groupe scolaire (prévu près de la caserne du Muy) soit livré.

Des pockets places en attendant

Une autre réponse au besoin d’interventions immédiates est fournie par les “pockets places”, ces micro-aménagements que Michaël Güller détaille lors d’un arrêt au croisement des rue Levat et Bernard : “Il s’agit d’un aménagement provisoire destiné à mettre en valeur les petits endroits carrefour et en faire des lieux de rencontres”. Il manque en effet peu de choses pour que les habitants puissent vraiment profiter de la petite placette triangulaire formée devant le bar du Bon Coin : des bancs, des arbres, et l’invention de dispositifs dissuasifs pour le stationnement sauvage. “Nous essayons de voir comment orienter une partie des investissements prévus par le service de la voirie sur ces endroits“, développe l’architecte-urbaniste.

L’identification par les habitants de ces places de poche est un des axes de la concertation, qui s’appuie pour cela sur le collectif d’architectes “ETC” et le collectif d’habitants “Brouettes et compagnie”. L’enquête menée par ces structures associatives avec les habitants a déjà permis de repérer 24 endroits d’aménagements potentiels, dont les places Cadenat, Caffo et Critofol, ou encore l’arrière de la Friche rue François Simon.

Le surplomb des casernes

La balade est aussi l’occasion pour l’équipe de maîtrise d’œuvre de développer son traitement des effets de frontières et de hauteur qui caractérisent la Belle de Mai. Aller de la Friche à la gare Saint-Charles c’est en effet grimper progressivement, sans pour autant bénéficier d’une vue sur le quartier. Les architectes-urbanistes espèrent rendre accessible aux habitants ce qu’ils nomment un “effet de balcon” sur la ville, par la création d’une promenade piétonne le long des voies ferrées depuis la gare et l’aménagement de nouveaux espaces publics devant la caserne du Muy. Ils évoquent aussi la possible transformation du dôme de la caserne du Muy en verrière, qui offrirait un nouveau point de vue sur le quartier et ses transformations. Une idée lancée qui est encore loin de la réalisation.

Quant aux effets de frontière, un exemple concret est donné avec le bâtiment de la Friche qui tend à fonctionner en “système fermé”. L’équipe veut ouvrir l’ancienne usine Seita en rez-de-chaussée rue François Simon “pour multiplier les interactions avec la rue, et permettre un essaimage des activités culturelles et artistiques qui produira un effet économique sur le quartier, comme ça peut se passer dans d’autres villes,” explique Michaël Güller. L’occasion pour un habitant de pointer un des problèmes majeurs à la Belle de Mai : “Si vous ouvrez il va falloir gérer les voitures qui se garent ici, avez-vous prévu quelque chose ?”. Un nouveau parking souterrain est à l’étude, auquel d’autres participants pressent l’équipe d’ajouter des garages à vélos, cruellement manquants ici.

Avec qui concerter

Ces échanges reflètent la composition sociale du groupe de participants à la balade urbaine : quelques habitants “historiques” du quartier attentifs à sa transformation, et une majorité de nouveaux ou futurs habitants, jeunes créatifs sensibilisés aux questions urbaines et écologiques, attirés à la fois par les prix abordables du quartier et par ses promesses de renouveau. Une petite quinzaine de personnes en tout, pas réellement représentative des habitants de la Belle-de-Mai. Faute de temps l’information a été peu diffusée ce qui explique sans doute en partie cette petite affluence, qui augmentera peut-être lors des deux prochaines balades organisées. Mais elle souligne aussi toutes les difficultés de la concertation : comment toucher les premiers concernés, c’est-à-dire les populations les plus affectées par les dysfonctionnements du quartier ?

Panneau de présentation des premières réalisation projetées de Quartiers libres.

Ici la concertation est très positive car les gens veulent que ça change, pas comme à la place Jean-Jaurès“, s’enthousiasmait Gérard Chenoz, adjoint au maire en charge des grands projets d’attractivité lors du vernissage de l’exposition Quartiers Libres vendredi 20 janvier. De son côté, Michaël Güller reste prudent : “Pour l’instant tout se passe bien mais on sait qu’il y aura des tensions plus tard parce qu’un projet urbain dure longtemps et que les gens se lassent“. D’où l’importance des interventions immédiates telles les pocket places. Mais là encore, le simple choix des mots révèle parfois tout ce qui sépare les bonnes intentions d’une réalité plus conflictuelle. À l’entrée de l’exposition à la Friche, l’équipe a proposé un mur d’expression libre où chacun peut ajouter un commentaire sur un post it. Avant de partir en balade, les fonctionnaires de la ville découvrent qu’une main anonyme a collé un “pacifier les sauvages” en réponse à l’expression utilisée par les urbanistes pour définir le rôle des pockets places. “Mais ce n’est pas les sauvages, ce sont les voitures qu’on veut limiter”, veulent-elles répondre par le même biais. Michael Güller leur conseille de ne pas répondre et glisse : “On n’aurait pas dû employer le mot pacifier…”

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Commentaires

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  1. mrmiolito mrmiolito

    Il est en effet urgent d’ouvrir ce beau poumon vert (qu’on voit très bien depuis le toit-terrasse de la Friche) pour les habitants d’un quartier qui en est cruellement dépourvu.
    Il n’était pas utile de reproduire les propos de M. Chenoz qui croit très intelligent de comparer des situations qui n’ont rien à voir : à la Plaine, la modification d’un espace multi-usages (où chaque utilisateur existant peut donc voir, à juste titre, un risque) et ici, un endroit qui ne sert plus à personne (et où chaque utilisateur potentiel peut donc voir, à juste titre, des opportunités !).
    Attention quand même aux Belle-de-maisiens enthousiastes : M. Chenoz reste l’auteur de la célèbre phrase “pour que les gens se mélangent, il faut que certains partent” (qui lui a toujours servi de moteur intellectuel depuis 20 ans…)
    Mais n’est-il pas l’auteur de la célèbre

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  2. Ampe Francis Ampe Francis

    Merci de demander à vos “dessinateurs” de fournir des plans lisibles. Je sais que ce n’est pas facile, mais c’est fondamental pour un organe de presse.
    Cela dit, l’article est très intéressant et je vais courir aler voir l’expo et essayer de participer à la visite du 18 février.
    Francis Ampe

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