Quand les habitants font une fleur politique
Quand les habitants font une fleur politique
Des trottoirs de Kyoto à ceux d’Amsterdam en passant par San Francisco, la vague verte progresse à la vitesse d’une plante grimpante. En effet, loin d’être circonscrite à quelques rues de Marseille, l’installation des jardins de trottoirs par les riverains est un phénomène observé à un état plus ou moins avancé dans la plupart des grandes villes occidentales. “Le pot de fleurs est l’action la plus facile à mener pour se réapproprier son trottoir”, formule l’architecte et urbaniste Nicolas Soulier qui a parcouru les jungles urbaines du monde entier pour en tirer la substance d’un ouvrage intitulé Reconquérir les rues.
Il voit dans ce phénomène une double aspiration de la part des citadins : verdir des rues trop grises et se réapproprier son pas de porte. Ce mouvement a mis du temps à arriver à Marseille, particulièrement dans le centre-ville. Là-même où l’espace public semble abandonné, à tout le monde mais surtout à personne. “Le piéton a chassé le riverain des trottoirs”, résume l’architecte. A Marseille, le fleurissement volontaire des rues est aussi une réaction à l’absence d’espaces verts dans le centre-ville. Avec ces deux étoiles de ville fleurie, le centre ville de Marseille, réputé minéral, a tendance à étouffer ces habitants sous le béton.
Être chez soi devant chez soi
“Les gens ont envie de verdure”, argumente Alexandra de Jardinons au Panier. Dans le plus vieux quartier de la ville, les fleurs étaient plus que rares avant que l’association n’implante ses jardinières. “Les plantes amènent de la vie”, ajoute Kamar qui a été le point de départ du verdissement de la rue de l’Arc, à Noailles. Au-delà de l’apport en chlorophylle, elles permettent surtout de raviver une relation de voisinage qui s’est peu à peu éteinte. Par la végétalisation, il s’agit de rencontrer ses voisins, faire connaissance avec eux et de rendre plus familiers les visages croisés quotidiennement. Ce lien créé, il permet ensuite de se réapproprier un lieu désormais partagé.
Or, à Marseille, la puissance publique n’est pas toujours jugée apte à aménager l’espace urbain pour en faire un cadre de vie agréable ou même pour lutter efficacement contre les incivilités. La rue de l’Arc illustre bien cette reprise en main politique au sens premier du terme. Arrivant dans cette ruelle sombre et délaissée, Kamar Idir a commencé par laver devant chez lui, afin d’inciter ses voisins à faire de même. Derrière se trouvait l’idée de modifier les habitudes : “Avant la rue de l’Arc était un dépotoir, tout le monde venait chier ici, raconte-t-il. Avec l’arrivée des plantes, les habitants de la rue ont arrêté de déposer leurs ordures directement devant leur porte”. Dans la foulée, les quelques dealers qui traînaient souvent dans la rue ont également migré un peu plus loin. “Dès que l’on ne se sent plus chez soi devant chez soi c’est qu’il y a un vrai problème, commente Nicolas Soulier. Il s’agit avant tout de retrouver le plaisir d’être dans sa rue”.
Après avoir quitté Noailles pour les abords de la gare Saint-Charles, Kamar a remis ses pots à l’épreuve de la rue, cette fois-ci avec les associations de riverains du boulevard de la Liberté. “Avec les plantes, on peut déplacer les problèmes”, euphémise-t-il, évoquant des pots volontairement placés sur des escaliers pour empêcher que l’on ne s’y assoit. Aïcha Muniga, élue de secteur (EELV) et habitante du boulevard, n’y va pas à demi-mot :
Les plantes, ce n’est pas pour embellir mais pour éviter les drogués et les bourrés qui sont souvent dans notre rue. Il fallait l’occuper
L’installation joue alors un rôle multiple : une touche de vert, un peu d’entraide et repousser plus loin des usages de la rue qu’on ne souhaite plus avoir sous le nez. Autre exemple au Panier, en conflit avec son voisin qui tirait les conteneurs à ordures hors de leur emplacement pour le rapprocher de chez lui, Margarita a fait mettre des jardinières sur le lieu du crime. Depuis, la poubelle reste à sa place. “Les gens ont pris l’habitude que les élus se déchargent sur le monde associatif”, accuse Aïcha Muniga, qui considère que les collectivités ne font pas le boulot.
Reconnaissance a posteriori du politique
En réalité, le politique n’est pas si absent qu’il n’y paraît. C’est d’ailleurs souvent pour interpeller les élus que les riverains se constituent en association. Si le plus souvent, les politiques interviennent a posteriori en décernant des prix aux rues les plus fleuries, certaines associations dans des quartiers stratégiques sont accueillies dès leur première année d’existence avec des fleurs. Ainsi, Laure-Agnès Caradec, adjointe aux espaces verts, a fait trois dons successifs en nature à Jardinons au Panier. Une centaine de plantes ont été confiées aux habitants du quartier touristique. Concernant le coût des arbustes adultes – issus de la pépinière de la ville – offerts à l’association, l’adjointe reste évasive. “Bien sûr que cela a un coût mais on n’a pas forcément envie de le chiffrer”, répond-elle. Pour l’instant c’est un cas isolé, mais l’adjointe ne limite pas au Panier sa générosité. Selon elle, toute association demandant un don végétal de la Ville verra son cas examiné. “Je souhaite même qu’on fasse une délibération cadre pour encourager ce genre d’initiatives”, tient-elle à ajouter, pensant même imiter en cela la charte des jardins partagés élaborée en 2010. Il s’agirait alors d’apporter à ces initiatives une reconnaissance de la part de la Ville qui définit, par le haut, des principes communs. Elle souhaite même demander un budget spécifique. “Pas au prochain conseil, tempère-t-elle, mais bientôt“. Voilà qui sonne comme une promesse électorale. Elle poursuit :
Du fait de la taille de la ville, on ne peut pas couvrir son intégralité. Ce genre d’initiatives permet le fleurissement là où la puissance publique ne pourrait pas aller
Elle souligne là un élément essentiel : les collectivités, faute de moyens, acceptent et reconnaissent la nécessité de déléguer cet aspect de la gestion de l’espace public. Terre à terre, l’adjointe à l’espace public Martine Vassal, rappelle tout de même que pour des raisons de sécurité : “une autorisation est nécessaire pour placer tout objet sur la voie publique, trottoirs compris”. Dans la charte des terrasses qui concerne les commerçants, des critères précis d’emplacement et de type de jardinières sont imposés. Dans les faits, concernant les particuliers, la ville ne mène aucune politique de répression envers les pots placés par les habitants.
Cogestion raisonnée
Si à Marseille l’accompagnement est encore limité à un cas par cas, d’autres villes de France sont bien plus avancées. Bordeaux a adopté en mars dernier une charte de la végétalisation accompagnée d’un guide pratique. La municipalité va jusqu’à indiquer les variétés “faciles” et celles interdites (épineuses, urticantes, envahissantes). Une fois qu’un porteur de projet a signé une convention avec le maire de quartier, la mairie, après accord de la communauté urbaine, “creuse une fosse de plantation et fournit la terre”, ainsi que les premières plantes. Il revient ensuite aux riverains de l’entretenir. Ce petit contrat interdit également l’utilisation de pesticide ou désherbant. Le politique voit ici une manière d’introduire une dimension normative et d’institutionnaliser le phénomène.
A Nantes, la mairie a mis à disposition au printemps des graines pour les habitants. Sur présentation d’un justificatif de domicile, dans ces kits destinés à fleurir les pieds d’arbres et les trottoirs sont offerts deux sachets de graines de prairie fleurie, des tuteurs, des autocollants qui signalent l’enfleurissement et un mini-guide des bons usages. De quoi faire pousser quelques petites merveilles sur leur pas-de-porte, sans pour autant avoir un schéma d’implantation précis. Mais cela relève presque plus de la guérilla urbaine que des jardins de trottoirs.
Le maire de ma rue
Côté marseillais, outre le Panier, seule la rue de l’Arc a eu le droit à un traitement de faveur : lorsque la rue a été refaite il y a quelques mois, les services techniques y ont installé une dizaine de jardinières enterrées. L’association Plus belle la rue en avait fait le souhait auprès du Maire de secteur Patrick Mennucci. Il faut dire que celui-ci connaît bien le coin puisqu’il y a vécu un an. Comme quoi quand les élus partagent la vie des habitants, les choses accélèrent. Selon MPM, en charge de la rénovation des rues, aucun autre projet de ce type n’est en cours à Marseille.
Le directeur général adjoint des services urbains de proximité, Jean-Marc Mertz insiste sur la nécessaire coopération entre collectivités : “Ce n’est pas tout de construire des jardinières, derrière, il faut que quelqu’un les gère. Et cela relève de la Mairie”. A Bordeaux, comme à Marseille, les deux collectivités n’ont pas la même couleur politique. En revanche, dans la capitale girondine, elles ont appris à travailler ensemble et avec les habitants pour encourager le fleurissement des rues.
A Marseille, on n’en est pas encore là. Pourtant le phénomène prend. Ainsi cette petite annonce parue sur un site d’annonces immobilières : “Loue T2 avec vue sur rue fleurie en centre ville de Marseille”.
Commentaires
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grand bravo pour cette initiative. Je vous suggère de passer un moment au bout de la rue vendome et de la rue sainte félicité Il y a un vrai concours de verdure entre les voisins
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grand bravo pour cette initiative. Je vous suggère de passer un moment au bout de la rue vendome et de la rue sainte félicité Il y a un vrai concours de verdure entre les voisins
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“”Le piéton a chassé le riverain des trottoirs”, résume l’architecte.”
Les architectes, pas à une bêtise près.
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Bel article sur une pratique amenée à s’étendre. Plus classiquement, un certain nombre d’habitants font déborder de leurs murs diverses plantes fleuries comme mimosas, bignones, glycines …
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