Procès de la gérante d’une maison de retraite illégale : “moi, j’y croyais à la colocation”
Douze mois de prison avec sursis ont été requis pour "mise en danger de la vie d’autrui" à l’encontre de Valérie Del Maschio, qui de 2016 à 2021, a accueilli jusqu’à 12 personnes âgées, sans agrément, dans une dépendance de sa maison à Charleval.
Le nouveau palais de Justice d'Aix-en-Provence. (Photo : CBy)
Assise au premier rang dans sa robe estivale fleurie de bleu, de rouge et d’orange, Valérie Gérin-Sardou épouse Del Maschio, ne cille pas. La procureure Lottie Javelas finit un réquisitoire que la prévenue écoute tantôt tête baissée, tantôt un demi-sourire aux lèvres. Pourtant, elle risque plusieurs mois de prison, assortis de sursis.
La quadragénaire comparait devant le tribunal judiciaire d’Aix dans deux affaires qui se rejoignent et se recoupent. Jusqu’en décembre dernier, elle gérait une “colocation” pour seniors à Charleval, dans le Nord des Bouches-du-Rhône. Ce lieu de vie avait été installé dans un hangar agricole réaménagé à côté de son logement personnel.
Un accueil via des baux tout à fait licites aux yeux de la propriétaire ; une maison de retraite illégale pour les services départementaux et l’État. La quadra est poursuivie pour accueil habituel à titre onéreux de personnes âgées malgré le refus d’agrément et mise en danger de la vie d’autrui par violation manifestement délibérée d’une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence.
11 personnes âgées dépendantes, une en situation de handicap
À la barre, Valérie Del Maschio se tient bien droite. Au fil de l’audience qui va durer deux bonnes heures, elle s’anime, s’irrite parfois. L’énumération des faits reprochés l’agace. Plus le président Pierre-Marie Cornu lit les éléments collectés pendant l’enquête et plus elle parle avec agitation. “Vous utilisez le terme de colocation. Vous pouvez le qualifier comme ça, mais vous accueilliez bien des personnes dépendantes chez vous ? Une colocation de onze personnes âgées et une handicapée, c’est quand même particulier”, cadre le président.
S’il prend le temps de préciser que l’investigation ne relève pas “de problèmes de malnutrition ou de mauvais traitements”, il liste les nombreux manquements pointés durant l’enquête. L’absence de système d’alerte dans les chambres des résidents, mais aussi un accès trop facile aux médicaments ou encore la présence d’une seule salle de bain pour le nombre de personnes accueillies : 6 en 2016, 12 en 2021.
C’était magnifique on faisait des barbecues, des gâteaux.
Valérie Del Maschio
À l’opposé, Valérie Del Maschio décrit un peu le pays des bisounours. Elle raconte les après-midis maquillage et les soirées foot avec les résidents devenus pour elle “des membres de la famille”. Elle embraye : “C’était magnifique on faisait des barbecues, des gâteaux et le 2 décembre quand ils sont venus [expulser les résidents, ndlr], tout le monde pleurait. Moi, j’y croyais à la colocation”. Dans les rangs des parties civiles, on s’agite.
Parce que la quadragénaire fait l’impasse sur le fait qu’elle ne possédait aucun agrément pour gérer un lieu d’accueil de cet ordre. Ce que lui rappelle à de nombreuses reprises le président Cornu. “On vous reproche d’avoir mal fait jusqu’à l’agrément que vous n’avez pas eu et puis d’avoir continué”, martèle-t-il. Avec une régularité de coucou suisse, il revient à la charge. Pourquoi donc la prévenue ne s’est-elle pas mise en règle quand les services départementaux se sont émus de cet accueil de personnes âgées dépendantes ? Et puis, pourquoi a-t-elle persisté à accueillir des résidents âgés et dépendants après le refus d’agrément par le département en juillet 2017 ?
“Un mur” face aux accusations
Valérie Del Maschio a réponse à tout. Ce que relève Philippe Mairin, l’avocat d’une partie civile qui voit en elle, “un mur” qui renvoie tout. L’absence d’agrément ? L’ancienne aide-soignante renvoie à la lenteur de l’administration départementale puis à la crise du Covid 19. Une “coloc” pour séniors dépendants ? Pour elle, c’est un concept qui tient la route : “Moi, je suis persuadée que les gens ont le droit de vivre où ils ont envie. J’étais dans mon truc”.
Avec patience, le président cherche à l’amener à reconnaître les faits. “Le tribunal peut vous comprendre, mais je vous assure parfois il faut se soumettre”, glisse le président. Il explique d’ailleurs que l’absence d’agrément et de manque de respect des normes a sans doute pu conduire à la mise en danger de la vie des résidents. La prévenue peine à accepter l’idée. Ses phrases commencent souvent par “oui, mais…”. Elle n’en démord pas, les “familles étaient contentes” des services proposés. Le président lit d’ailleurs quelques témoignages favorables à la prévenue, qui pleure silencieusement.
Dénutrition et coma
Une dame âgée s’approche ensuite à petits pas de la barre. “On m’avait dit que c’était bien et patati que patata”. Elle a placé sa tante là, avant finalement de vouloir l’en sortir lorsque le docteur a remarqué “un état de dénutrition”. “En fait rien n’allait là-bas”, souffle-t-elle.
À son tour, Philippe Mairin, l’avocat d’une famille partie civile indique que “les manquements ont conduit une résidente à l’hôpital”. Laquelle a passé cinq semaines en soins intensifs après une surdose médicamenteuse “imputable au manque de sécurité de la structure”, assure l’avocat pour qui la mise en danger de la vie d’autrui ne fait aucun doute. “La finalité pour moi c’est que l’on reconnaisse que ma maman a été en souffrance là-bas”, glisse Sylvie Saye, la fille de cette résidente. Mais là encore, Valérie Del Maschio évacue la responsabilité. Elle ne s’occupait pas de la gestion des médicaments, seulement de l’hébergement, du linge et la cuisine, rétorque-t-elle à plusieurs reprises.
“Marchand de sommeil” et gros sous
Pas de quoi convaincre l’avocat du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, également partie civile. Hubert Didon pique : “On est sur le principe du marchand de sommeil appliqué à la maison de retraite !” Lui aussi relève “le côté bravache, le côté revendicatif de l’argumentaire” déployé par la prévenue. Au nom de l’institution, il demande au tribunal d’éviter “la reproduction de ce schéma ailleurs”.
L’accueil des résidents rapportait 21 000 euros par mois. La gérante en tirait un salaire de 6000 euros.
Après être revenue sur les “éléments inquiétants” déjà signalés par certaines familles comme par le département et le manque de “remise en question” de la prévenue, la procureure Lottie Javelas s’est aussi penchée sur l’aspect pécunaire de l’affaire. “Sa petite astuce aura été de faire signer un contrat de bail classique de 1000 euros adossé à une prestation de services de 900 euros par mois auprès de sa société qui existe encore”, souligne-t-elle. “Cela fait des revenus conséquents : 21 000 euros par mois”.
Plus tôt durant l’audience, Valérie Del Maschio est interrogée à ce sujet − “les sous”, comme dit le président. Avec une certaine maladresse, la prévenue répond qu’un chiffre d’affaires de 120 000 annuels, une fois payés “45 000 euros” d’impôts, lui laissait “un salaire de 6000 euros mensuel : ce qui n’est pas faramineux”.
En défense, Bernard Balg reconnaît que la prévenue est parfois “maladroite et arc-boutée sur ce terme de colocation”. Mais il l’assure “madame Del Maschio est de bonne foi quand elle dit qu’elle pensait bien faire et que les résidents se sentaient bien chez elle”. Il relève d’ailleurs que seules deux familles ont fait la démarche de se constituer partie civile.
Surtout, sa cliente a entamé une reconversion professionnelle. Elle est désormais gérante d’une brasserie-bar-tabac dans les Alpes. “Si elle ne reconnait pas directement les faits, elle a pris acte. Cette entreprise avait, dans l’esprit de madame Del Maschio, un sens. Elle a tourné la page. Elle est guérie de toute idée de s’investir dans ce domaine d’activité”. L’avocat conteste par ailleurs l’accusation de mise en danger de la vie d’autrui, qui n’est, à ses yeux, pas constituée.
La procureure requiert en tout cas la peine maximale au titre de l’accueil à titre onéreux, soit trois mois d’emprisonnement. Et pour ce qui est de la mise en danger de la vie d’autrui, 12 mois emprisonnement, la totalité en sursis, assortie d’une interdiction d’exercer une profession dans le domaine de l’aide à la personne pendant cinq ans. Le jugement a été mis en délibéré au 4 juillet.
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