Privés d’escale dans les calanques, les pointus ne veulent pas faire des ronds dans l’eau

Actualité
le 29 Mai 2021
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Le nouveau plan de mouillage du Parc des calanques vient d'être validé. Celui-ci interdit de jeter l'ancre dans les calanques d'En-vau et de Port-pin. Pour les propriétaires de pointus cassidens, cette mesure risque d'acter la fin d'une pratique traditionnelle.

Photo Violette Artaud.
Photo Violette Artaud.

Photo Violette Artaud.

Où jeter l’ancre ? La question peut paraître dérisoire pour ceux qui n’ont pas le pied marin. Mais ce jeudi midi, sur le port de Cassis, elle est au centre des discussions. Les membres de l’association cassidaine des bateaux de tradition (ACBT) sont réunis au bar de France et la tension se traduit jusque dans les gestes. “Nous, on sait qu’il ne faut pas mouiller [jeter l’ancre, ndlr] sur les posidonies, mais les touristes…, entame Pierre Bertrand, l’un des membres de l’ACBT, en manquant de faire tomber son verre. Le discours du parc national est séduisant pour les non-initiés. Mais cette mesure est disproportionnée et inadaptée.”

Si la colère est palpable pour les quatre propriétaires de pointus – dites plutôt “barques marseillaises” pour ne pas les vexer – réunis ce jour autour de la table, c’est parce que le conseil d’administration du parc national des Calanques vient de voter un nouveau schéma de mouillage. Et celui-ci change nettement la donne pour ces passionnés de mer et tradition : il interdit à toutes embarcations de jeter l’ancre sur une grande partie de son littoral, dont les calanques emblématiques d’En-Vau, Port-Miou et Port-Pin, qui jouxtent le port de Cassis. “Sauf que nos bateaux ne sont pas faits pour naviguer loin et nécessitent des endroits abrités avec peu de fond pour mouiller”, précise, inquiète, Laure Kauffman, également membre de l’ACBT.

Obligation de préservation

Le nouveau schéma de mouillage, comme d’autres mesures restrictives prises par le parc national, vise à réduire la surfréquentation et ainsi, préserver son environnement. Depuis plusieurs années, la posidonie, herbier marin qui fait office de nurserie pour la biodiversité marine méditerranéenne, voit sa surface se réduire. La principale cause ? Les ancres des bateaux. Mais aujourd’hui, c’est la question de la disparition d’un patrimoine culturel qui se pose sur le port de Cassis.

C’est un bateau pour mouiller, pêcher, se restaurer, se baigner. Si l’on ne peut plus faire ça, les propriétaires de bateau de tradition, qui sont très chers à entretenir, vont se désintéresser et finir par les vendre.

Hervé de Lisle, président de l’ACBT

“Dans la tradition, les barquettes ne sont pas faites pour beaucoup naviguer. C’est un bateau pour mouiller, pêcher, se restaurer, se baigner. Si l’on ne peut plus faire ça, les propriétaires de bateau de tradition, qui sont très chers à entretenir, vont se désintéresser et finir par les vendre”, redoute à son tour Hervé de Lisle, le président de l’ACBT. “Sans compter l’économie locale qu’il y a autour, dans les chantiers navals de Carnoux, Cassis et la Ciotat”, ajoute Julien Offant, un autre membre. Nous sommes pour la préservation de l’environnement et pour que l’on arrête de jeter l’ancre n’importe où, poursuit Laure Kauffman. Mais il existe des solutions alternatives, des mesures de polices qui permettent de différencier les usagers et de ne pas aller jusque-là.”

Bouées écologiques et saisonnalité

Cette dernière et ses compagnons de virée en mer évoquent notamment la pose de bouées écologiques, qui permettent aux bateaux de s’amarrer sans jeter l’ancre et existent déjà ailleurs dans le parc. Le tout pourrait être assorti d’autorisation pour les petits bateaux uniquement, imaginent-ils, pour correspondre à l’exiguïté des calanques en question. Voire, à une saisonnalité des mesures. “Nous sommes prêts à ne plus mouiller en été, mais le reste de l’année, et même le soir, il n’y a plus personne dans les calanques”, complète Pierre Bertrand.

Du côté de la mairie de Cassis, on dit soutenir les propriétaires de pointus. “Je suis pour la défense de la biocénose marine, mais depuis 2019 j’écris au parc pour signaler qu’il ne faut pas fermer toutes les calanques toute l’année. C’est une décision trop contraignante. Il faut mettre des bouées écologiques, comme nous l’avons fait à Port-Miou, et ne fermer que pendant les quatre mois d’affluence”, explique Danièle Milon, qui dit regretter le manque d’anticipation du parc. L’édile, qui fait partie du conseil d’administration du parc, a toutefois voté pour le plan de mouillage litigieux.

Circulation

Ce sont des calanques très spécifiques, très étriquées (…) Est-ce qu’on veut des rangées de bouées à ces endroits ?

François Bland, directeur du parc

Contacté, le parc national ne ferme pas complétement la porte à des évolutions. Mais reste, pour cet été du moins, sur ses positions drastiques. “L’ensemble des éléments ont été considérés et cela a abouti à un résultat qui ne peut satisfaire tout le monde, répond à Marsactu son directeur François Bland. Les calanques d’En-Vau et de Port-pin sont emblématiques et constituent depuis longtemps un fort pôle d’attractivité. Ce sont des calanques très spécifiques, très étriquées, où des lignes de mouillage posent problème à la circulation.” D’autant plus que pour satisfaire la demande, et même en limitant l’autorisation uniquement aux embarcations de petite taille, il faudrait un trop grand nombre de bouées, estime le directeur du parc. “Vous n’imaginez pas le nombre de petits bateaux à moteur sans permis qui sont loués depuis Cassis. Est-ce qu’on veut des rangées de bouées à ces endroits ?”, feint-il de s’interroger.

Quant à la solution de la saisonnalité, le représentant du parc semble s’interroger. “La saison ne se réduit pas à trois mois dans l’année. C’est très compliqué de gérer cette question dont la réponse n’est pas franche.” Pour les plaisanciers de Cassis, il s’agit plutôt d’un manque de volonté ou de moyens dans la gestion du parc. Pour certains d’entre eux, cette gestion mènerait à l’exclusion des usagers locaux, soucieux de l’environnement, au profit d’un tourisme de masse qui ne prend plus le temps d’apprécier la nature. Les calanques ne deviendraient alors plus qu’un endroit où l’on passe, sans jamais s’arrêter.

“Nous essayons aussi de réguler les navettes qui promènent les touristes, mais nous ne pouvons pas mettre en place des mesures discriminantes”, se défend François Bland. Reste que la protection du patrimoine culturel du territoire, dont les barques marseillaises, est inscrite noir sur blanc dans la charte du parc. “Les barquettes témoignent de la pêche traditionnelle et de son rôle identitaire dans le cœur du parc national”, peut-on y lire. Une mention dont le directeur du parc a bien connaissance. “Nous allons devoir rediscuter de ça”, finit-il par céder. Après l’été, promet-il. D’ici là, les barquettes marseillaises – en tout cas celles de Cassis – et leurs propriétaires resteront sur le port, à regarder les touristes passer. “On pourrait vendre des porte-clefs”, rigolent-ils, avant de recommander une tournée.

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Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Les pointus interdits de mouiller sont un faux nez des loueurs de bateaux, il n’y a que 2 ou 3 pointus de Cassis qui vont régulièrement mouiller à En Vau ou à Port Pin. Par contre, les dizaines de navires qui de jour comme de nuit y stationnent occasionnent une pollution terrible : carburations mal réglées et mini marées noires continuelles, majorité de bateaux sans WC adaptés, marins qui vont déféquer dans les rochers des calanques + mouillages dans les posidonies et dans les gravières…
    Proposition : n’autoriser que les seuls pointus à mouiller seulement sur les quelques bouées, ça fera joli sur les photos.
    De toutes façons, depuis plusieurs années, les calanques ne sont fréquentables qu’en jours maussades d’hiver ou par temps de pluie.

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  2. Alceste. Alceste.

    Il faudra quand même rappeler à la mère Milon que les calanques sont sur la commune de Marseille et pas sur Cassis.Il faudra aussi lui rappeler que l’an dernier elle voulait interdire si ma mémoire est bonne les plages de Cassis aux marseillais lors du deconfinrment, alors qu’elle ne vienne pas nous fatiguer avec ses 4 peintres soit disant navigateurs, et qu’elle s’occupe de ses eaux usées.

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    • petitvelo petitvelo

      Elle vote pour le plan, communique contre,…. le mandat de trop ?

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    • Jacques89 Jacques89

      C’est une habitude chez LR : ils critiquent mais ils votent quand-même. Ils nous ont fait la même chose pour la loi « sécurité globale » et se préparent à remettre une couche avec Mariani.

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    • PierreLP PierreLP

      Oui, les Calanques sont sur Marseille, sauf Port Miou, qui n’est pas forcément la plus belle ! a mon humble avis

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  3. petitvelo petitvelo

    Il ne faudrait pas que ça tourne à la dérive lente avec moteur allumé en secu…

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    • Alceste. Alceste.

      Il existe des ancres flottantes qui sont assez efficaces

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  4. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    J’aime toujours autant la réponse préfabriquée qu’on oppose ici à toute tentative de mettre de l’ordre dans des dérives : “c’est la tradition”. OK, et alors ?

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    • Laurent Malfettes_ Laurent Malfettes_

      Comme le disait à peu près un tribunal récemment, “un mélange de fatalisme et d’arrangements”. La tradition, quoi

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  5. Richard Mouren Richard Mouren

    “Les barquettes témoignent de la pêche traditionnelle”. Ca ne fait qu’une petite soixantaine d’années que je traîne mes grôles à EnVau et Port Miou . Je ne me rappelle pas d’y avoir vu un seule pêcheur y pêcher quoique ce soit à l’ancre. Que les propriétaires de barquettes marseillaises soient financièrement aidés par le syndicat d’initiative cassidain pour sauvegarder ces merveilleuses embarcations, ça ne devrait pas coûter bien cher à cette riche municipalité. Mais sauf à instituer un tour de rôle pour la présence obligatoire d’une barquette au fond d’En Vau pour le plaisir des photographes, je ne vois pas au non de quoi, ces embarcations devraient bénéficier d’une autorisation dérogatoire

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