Près de 200 000 euros détournés par une salariée dans deux centres sociaux marseillais

Info Marsactu
par Samy Hage
le 24 Oct 2024
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Depuis début 2023, au moins 200 000 euros ont été détournés par une seule comptable dans les centres sociaux de Malpassé et Del Rio. Passé le choc, direction et administrateurs tentent d'évaluer les conséquences de cette affaire.

Le centre social Malpassé, dans le 13e arrondissement de Marseille. (Photo : LC)
Le centre social Malpassé, dans le 13e arrondissement de Marseille. (Photo : LC)

Le centre social Malpassé, dans le 13e arrondissement de Marseille. (Photo : LC)

La même scène s’est produite en ce début octobre dans les centres sociaux Malpassé et Del Rio, respectivement dans les 13ᵉ et 15ᵉ arrondissements. En pleine assemblée générale, la direction annonce aux administrateurs une escroquerie rarissime par son ampleur : 100 000 euros détournés depuis un an et demi dans chaque structure. Le tout, par une seule comptable qui partage ses semaines entre les deux centres indépendants. Face à cette révélation brutale, les administrateurs oscillent entre le désarroi et la demande de réponses. À Malpassé, certains réclament une assemblée extraordinaire, qui n’a pas encore été actée. Ils ne comprennent pas comment autant d’argent a pu disparaître.

C’est la banque du centre social Del Rio qui a tiré la sonnette d’alarme en mai dernier. Elle informe la direction de virements suspects. Le centre interroge alors la comptable et porte plainte contre X. Une enquête interne est lancée. Rapidement, on découvre une hallucinante routine de détournement. La comptable aurait viré de l’argent sur son compte personnel et des comptes tiers de façon industrielle, à chaque fois en falsifiant le nom du destinataire et le motif pour feindre la légitimité. Malgré l’ampleur des sommes, le poste de la salariée lui permet de maintenir l’illusion d’une cohérence budgétaire. De l’argent issu des encaissements en liquide aurait également été détourné dans une moindre mesure.

Face à ce constat aberrant, la direction de Del Rio alerte le centre de Malpassé fin mai. Le même scénario y est perpétré là-bas, dans les mêmes proportions. “Je vois ça régulièrement, mais pas à un tel niveau”, commente Armand Feste-Guidon, avocat des deux centres. L’intéressée est licenciée pour faute grave fin juin. En ce début octobre, les deux centres ont chacun déposé une plainte, que Marsactu a pu consulter, contre la salariée pour abus de confiance et vol. Contacté, le parquet de Marseille explique ne pas avoir ouvert d’enquête pour l’heure.

10 % du budget volatilisé

Selon l’évaluation interne, c’est donc plus de 100 000 euros qui ont été détournés dans chaque centre depuis 2023, soit environ 10 % de leur budget annuel. À Del Rio, la situation pourrait même être pire. La comptable y est arrivée en mars 2022 — un an avant Malpassé — et l’évaluation de cette période n’est pas encore terminée.  “On a de forts soupçons, mais plus on remonte dans le temps, plus c’est dur de trouver des preuves”, explique Armand Feste-Guidon. Toujours selon lui, la direction avait bien remarqué des difficultés financières inhabituelles, sans pouvoir les expliquer comptablement à l’époque.

Cette escroquerie majeure intervient alors que les centres sociaux déplorent régulièrement un manque de moyens. En mai 2023, le délégué départemental de l’Union des centres sociaux des Bouches-du-Rhône (UCS 13), Joseph Richard-Cochet, évaluait même le manque de ressources à 100 000 euros en moyenne par centre, proche des sommes détournées. La situation s’est certes améliorée depuis, avec une revalorisation des financements, mais reste précaire à ses yeux. S’il ne veut pas réduire les causes de l’escroquerie au manque de moyens, ces révélations laissent un goût amer pour lui. “Il faut mettre les choses en perspective, on ne finance qu’un demi-comptable pour une structure à plus d’un million d’euros. En général, quand on essaie de faire des économies sur le service public, on ne les fait pas, on prend des risques. C’est aussi vrai pour les écoles, les hôpitaux”, regrette-t-il.

Des conséquences encore incertaines

Dans ce contexte, la demande d’assemblée extraordinaire à Malpassé vise aussi à évaluer les conséquences d’un tel trou dans la caisse. Pour 2023, la direction annonce un bilan mécaniquement à la baisse, quasi nul, faisant craindre une diminution d’activité à certains. L’un d’eux y voit une situation plus large au nord de Marseille : “Ces territoires ne manquent pas d’argent, c’est un manque de gestion.” Même son de cloche à Del Rio : “Il faut qu’ils s’en sortent, c’est le seul lieu culturel du quartier, c’est l’aide au devoir, la lutte contre le décrochage”, espère une administratrice. En conséquence, Joseph Richard-Cochet redoute une perte de confiance envers toute l’institution. “Il ne faudrait pas que cette affaire entache l’image du centre social. Ça serait une double peine pour le personnel dévoué qui culpabilise de n’avoir rien vu”, avance-t-il. Il insiste alors sur le caractère exceptionnel de l’affaire. “C’est la première fois que je vois ça en huit ans. On a parfois des petites escroqueries avec les chèques ou à la caisse, mais c’est quelques centaines d’euros ou un millier”, détaille-t-il.

Suite au dépôt des plaintes, l’ensemble des financeurs des centres sociaux (la Ville, la Caf, le département et l’État) ont été mis au courant. S’il est encore trop tôt pour mesurer l’ampleur des conséquences du détournement, la mairie, principal financeur, se montre prête à soutenir les structures. “Si besoin, on est prêt à voir avec les autres financeurs de la convention cadre pour une aide supplémentaire”, affirme l’adjoint chargé des centres sociaux, Ahmed Heddadi. À ce stade, la méthode de contrôle de l’argent public n’est pas remise en cause. “Les centres sociaux sont souverains quant au choix de leur comptable comme de leur commissaire aux comptes, la mairie n’a pas vocation à interférer”, se contente de rappeler l’adjoint, qui attend la prise en charge judiciaire de l’affaire. “Le but maintenant, c’est de retrouver l’argent”, conclut-il.

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Commentaires

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  1. Jack Jack

    De qui dépendent les centres sociaux ?

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    • RML RML

      La réponse est dans l’article. C’est une subvention à une association de droit privée avec son conseil d’administration élu en Ag.

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    • Samy Hage Samy Hage

      Bonjour Jack,
      Ce sont des centres sociaux indépendants, autonomes dans leur gestion donc.

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    • julijo julijo

      oui assoc. de droit privé, subventionnée par la mairie principalement, la caf, le département…
      institutions qui financent, mais se mèlent rarement de ce qui s’y passe et opèrent encore moins de contrôles.

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  2. Citoyen-ne-s-de-marseille.fr Citoyen-ne-s-de-marseille.fr

    “Les centres sociaux sont souverains quant au choix de leur comptable comme de leur commissaire aux comptes, la mairie n’a pas vocation à interférer”, donc on finance mais on ne contrôle pas ? c’est ça ? ce qu’on comprend c’est que personne n’a jamais la curiosité d’aller au-delà du carnet de chèques ?

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    • petitvelo petitvelo

      Et même si on voit tout en noir on pourrait aller jusqu’à penser que c’est un des intérêts majeurs de la délégation de service public ou de la sous-traitance : moins de règle “publiques” ou “corporate” , et comme par hasard moins cher , avec une efficacité difficile à comparer puisqu’on a délégué. On a alors un donneur d’ordre type “actionnaire” qui “fait” travailler les autres au plus faible coût et peut crier au crime de lèse-majesté quand les choses se gâtent : service mal rendu, faute … ou prise de pouvoir par ceux qui font aux dépend de ceux qui ordonnent.

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    • Marc13016 Marc13016

      Et toujours sur la face sombre du service public en mode association + subventions : petites structures, pas ou peu de syndicats, possibilités de petits tirants … Un “sous-prolétariat” au front face à un public parfois difficile, et en difficultés.
      Une petite charte serait bienvenue, à défaut d’un système de vigilance et encore mieux d’un support réel au delà du carnet de chèque, comme le disent les citoyens phocéens. De l’éthique de l’Économie Sociale et Solidaire, en somme. (car on est dedans, qui dit association dit “ESS”).

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  3. Emile Emile

    Et qu’attend le parquet pour ouvrir une enquête ?

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    • Samy Hage Samy Hage

      Bonjour Emile,
      La plainte est relativement récente et n’a donc pas encore été traitée.

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  4. Daniel G Daniel G

    Il doit y avoir un commissaire aux comptes pour vérifier la comptabilité chaque année il est pas mis en cause ?

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  5. didier L didier L

    Une enquête n’a toujours pas été ouverte … la comptable en cause n’a pas été entendue, pas de mise en examen que sont devenus les 200 000 euros a quoi ont-ils servi ? Au bénéfice de qui, pourquoi ? La plainte vient à peine d’être déposée ?? Mais que fait l’autorité publique ? C’est pire que la petite délinquance ! Cette affaire de délinquance en col blanc au détriment du ” social” est gravissime … le traitement judiciaire devrait être exemplaire. A suivre.

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