Après les incendies, le mythe enraciné du reboisement
Depuis les incendies, le mot "reboisement" est sur toutes les lèvres. Au cours des dernières décennies, des associations ont en effet poursuivi ce but et replanté des arbres dans les massifs autour de Marseille. Mais les principaux acteurs de la forêt doutent de l'intérêt du reboisement.
Le site classé de la montagne Sainte-Victoire. (Photo : Léo C.)
L’idée revient après chaque incendie, un réflexe de sens commun : puisque les arbres ont brûlé, il suffit d’en planter d’autres. Une évidence à laquelle les dirigeants politiques souscrivent. La région et le département ont tous deux annoncé que des fonds seront destinés au reboisement. Face à une telle catastrophe, les élus y vont chacun de leur intervention, qu’ils se contentent d’une déclaration comme le maire d’Allauch Roland Povinelli (PS) ou prennent part aux travaux comme le maire de Vitrolles Loïc Gachon (PS). Le lendemain des incendies, Michel Amiel maire des Pennes-Mirabeau (divers gauche) déclarait à Marsactu : “Ce qui était le poumon vert de la commune le redeviendra.” Et René Raimondi, maire de Fos-sur-Mer (divers gauche), d’aller dans le même sens.
“Socialement parlant, la population ayant subi ce traumatisme a envie et besoin de retrouver l’espace perdu, analyse Vincent Pastor, conseiller technique reboisement du SDIS (Service départemental d’incendie et de secours) Bouches-du-Rhône. Mais forestièrement parlant, le reboisement n’est pas intéressant”. Forestiers et scientifiques doutent que le reboisement soit efficace dans la région. La Provence calcaire concentre les difficultés pour les arbres, et la Sainte-Victoire les cumule toutes. Le climat est sec et chaud mais la possibilité de forts gels persiste. Les exemples de tentatives infructueuses ne manquent pas sur le territoire.
1000 arbres plantés, 56 restants
Au pied de la Sainte-Victoire, le sol rocheux et peu profond est chauffé par le soleil du matin au soir, mais garrigue et pins d’Alep s’épanouissent tranquillement. Difficile de deviner qu’un incendie a détruit toute la végétation du versant sud de la montagne en 1989. Pour en repérer des traces, il faut se pencher et observer le sol entre le romarin et le chêne kermès. Éparpillées, des boutures de moins de 10 cm s’entêtent à pousser dans le sol rougeâtre. Les bâches qui les entouraient émergent du sol.
D’après un décompte de l’Association pour Sainte Victoire (ASV), sur les 1000 arbres plantés en 1993 aux alentours du Prieuré de la Sainte-Victoire, seuls 56 subsistaient en 2010. Les arbustes ont été plantés par des plusieurs associations, qui ont entrepris de reboiser la montagne après l’incendie de 1989, avec un succès très relatif.
4000 à 5000 euros l’hectare reboisé
“Ce sol est infâme”, plaisante à demi Michel Vennetier, ingénieur-chercheur à l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea). Grand connaisseur de la forêt méditerranéenne et de la Provence calcaire, il est très critique vis-à-vis du reboisement. “Dans les années 1970 et 1980, on reboisait beaucoup, c’était la mode. On a dû dépenser l’équivalent de dizaines de millions d’euros, mais il y a eu beaucoup d’échecs car on manquait de connaissances. Le reboisement est possible mais sur des zones très précises, à une toute petite échelle. La régénération naturelle reste la meilleure solution. Peut-être qu’il faut aider la nature, mais ça doit rester stratégique, pour des questions de sécurité ou pour rétablir un paysage touristique.” Selon La Marseillaise, le reboisement coûte entre 4000 et 5000 euros par hectare.
Le versant est de l’oppidum de Saint-Antonin-sur-Bayon a été reboisé après l’incendie de 1989. Sous la croix de Provence, à quelques centaines de mètres de la maison Sainte-Victoire, seuls quelques pins d’Alep poussent au milieu d’une garrigue vivace. En scrutant le sol, on aperçoit les trous creusés autour des boutures de chênes verts, cyprès et érables de Montpellier. Ceux qui ont survécu ne dépassent la dizaine de centimètres. “Ici, c’est le pire exemple possible, les forestiers n’ont pas été écoutés”, s’exaspère Michel Vennetier. Pour le chercheur, la meilleure solution reste la régénération naturelle. Autrement dit, laisser faire la nature et patienter. “Il est inutile d’essayer d’imposer la forêt partout. Autour de ce site, tout a repoussé sauf la partie reboisée. Les pins d’Alep sont repartis tout seuls, alors qu’ils ont parfois été arrachés pour laisser la place aux feuillus.”
Difficile de savoir qui est responsable de cet échec, la montagne de Cézanne ayant été reboisée sans supervision d’ensemble. “À l’époque il y avait deux ou trois associations qui reboisaient, mais aussi des gens qui venaient comme ça, comme dans les calanques après un incendie“, reconnait l’Association pour la protection et le reboisement du cengle Sainte-Victoire (ARPCV). Associations, particuliers et écoles ont planté des milliers d’arbres autour de la montagne de Cézanne dès les années 1970, et continuent à reboiser les collines de Vitrolles à Allauch en passant par Puyloubier et Marseilleveyre.
De l’eau, de l’eau
Non loin de Vitrolles, sur le plateau de l’Arbois, un chemin forestier traverse cette étendue plate sous une ligne à haute tension. La garrigue l’enserre jusqu’aux extrémités du plateau, où le regard chute vers l’étang de Berre à l’ouest, et la Sainte Victoire à l’est. Des centaines d’arbres ont été plantés en rang d’oignon le long de ce sentier qui relie les Milles à la gare TGV d’Aix, sur plusieurs kilomètres. “On a des cèdres, des cyprès, des pins Brutia, des chênes blancs, des pins pignons… toutes ces espèces sont peu adaptées, analyse Michel Vennetier. Ils ont des branches mortes, une cime dégarnie. Je pense que 50% des plants ont réussi ici, et la moitié sont à la peine. Ça varie aussi selon les espèces. Mais si on regarde là où les plantations n’ont pas pris, on voit que les pins d’Alep ont poussé seuls.”
Planter des espèces différentes vise à améliorer le fonctionnement de l’écosystème. Quand il y a un mélange, l’écosystème fonctionne mieux : le sol est plus riche, et donc plus résistant aux perturbations comme le feu. Sur l’Arbois, le cèdre et le cyprès ne sont pas indigènes. “Le reboisement permet d’introduire de nouvelles essences dans un secteur particulier, confirme Luc Venot, coordinateur pour la défense des forêts de l’Office national des forêts (ONF), mais il faut des conditions très favorables.” Sur l’Arbois, la roche souterraine a du être cassée pour faire place aux racines, mais le sol est toujours sec. Sans eau, les plus petites plantes virent à l’orangé et au gris. “Ces espèces ne survivent pas car elles manquent d’eau”, tranche-t-il.
A Allauch, seul un arbre sur deux est sorti de terre
“La régénération naturelle marche beaucoup mieux que les plantations, poursuit Luc Venot. Les reboisements utilisent des plants de pépinières, qui poussent dans des conditions idéales d’arrosage, d’engrais et d’ombrage. Même s’ils sont sevrés avant d’être plantés, les conditions sont différentes à l’extérieur, très difficiles. Les sols sont peu riches, l’enracinement prend du temps. C’est pour ça que les espèces qui utilisent la dissémination des graines par le vent comme le pin d’Alep réussissent mieux. Les racines descendent plus profond et les essences sont mieux adaptées.”
“À l’Irstea nous avons mis quinze années à développer les bonnes techniques, pile au moment où on a arrêté de reboiser à grande échelle, remarque Michel Vennetier. Au moins on sait faire aujourd’hui. Encore aujourd’hui des associations tiennent absolument à planter des feuillus alors qu’ils ne sont pas adaptés. Ils pensent qu’on pourra revenir à une forme de forêt telle qu’elle était il y a des siècles.”
“L’ONF privilégie la régénération naturelle, mais le reboisement est possible à petite échelle, ajoute Luc Venot. Il faut que ce soit des zones très favorables, et que ça reste très ponctuel. Par exemple, à Allauch, il s’agit surtout de plantations scolaires à des fins de sensibilisation et de pédagogie des plus jeunes.” Enfant, l’auteur de ces lignes a participé au reboisement allaudien, mais force est de constater que le résultat n’est pas vraiment au rendez-vous. D’après La Provence, seul un arbre sur deux finirait par pousser dans les plantations allaudiennes.
Planter, planter toujours
Malgré ces résultats, des associations persistent donc à tenter de reboiser les massifs provençaux. Elles reconnaissent toutefois qu’un reboisement de grande ampleur est impossible. “Il y a 30 ans, on reboisait beaucoup et à grande échelle. Ça coûtait très cher, et on plantait surtout des résineux qui survivent mal aux incendies. Le résultat a été catastrophique”, admet un membre de l’ARPCV.
L’association plante exclusivement des feuillus dans le but “d’accélérer le processus de développement de ces forêts dans la région”. Selon ses plans à long terme, “il faut environ 150 ans pour obtenir une forêt de feuillus. La garrigue se développe très rapidement. Au bout de 80 ou 100 ans, vous avez une pinède, qui crée de l’ombre pour le développement des feuillus en sous-bois. À cette période, les pins commencent à mourir, et ils laissent la place aux chênes et autres. Résultat, on a une forêt de feuillus qui est certaine de repartir en cas d’incendie. Ce qu’on veut, c’est accélérer ce processus. En plantant sur des zones de 1000 à 3000 mètres carrés, dans des fonds de vallon, on peut faire en sorte que dans 30 ans on ait un petit bois qui sera le porte-graines de demain pour les environs. Peut-être que dans deux ans on sera à Vitrolles ou à Fos !”
Si les résineux poussent plus vite et résistent mieux aux incendies que les feuillus comme le chêne, ils se régénèrent uniquement grâce aux graines. C’est le cas du pin d’Alep, majoritaire dans la région. “Il repart très rapidement, parfois dans les heures qui suivent l’incendie, raconte Michel Vennetier. C’est pourquoi le pin d’Alep est le premier arbre à pousser après un incendie, après la garrigue bien sûr, qui ne met qu’un ou deux ans à reprendre.”
Mais si les graines du pin ne sont pas prêtes au moment de l’incendie, l’arbre ne pourra pas repartir. Des feuillus comme le chêne peuvent repartir d’une simple souche. “Le pin d’Alep pousse deux fois plus vite que les feuillus, affirme l’ARPCV. Forcément, quand on plante des feuillus et qu’on voit pousser des pins, c’est décevant. Mais chez nous, les arbres poussent très lentement. Il faut en moyenne 20 ans aux feuillus pour atteindre deux mètres. Un reboisement doit attendre au moins 30 ans pour être significatif.”
Et si un reboisement doit avoir lieu, ce ne sera pas pour tout de suite. “Il faut éviter de replanter rapidement sur un sol brulé, avertit Luc Venot de l’ONF. Quand il a été chauffé à une certaine profondeur, les mycorhizes [des champignons nécessaires au développement des racines, ndlr] souffrent. Le sol est en quelque sorte stérilisé, donc les plants ont du mal à repartir.”
Et demain ?
“Ils poussent, mais ils ne sont pas en bonne santé, constate Michel Vennetier. Ceux qui grandissent ont les pieds dans l’eau, et encore, ils ne sont pas bien beaux. L’eau est le facteur critique.” En contrebas du relais de Saint-Ser, sur la commune de Puyloubier, des frênes à fleur se démènent pour pousser malgré l’aridité du sol et la chaleur. 3000 ont été plantés en 1990 par l’ARPCV. En 1999, l’Irstea a établi un diagnostic de la plantation à la demande de l’association. “Après un bon départ, l’évolution de la croissance montre à l’évidence que ces plants sont maintenant en train de végéter, écrivaient les collègues de Michel Vennetier. Pour ce site, peu de travaux peuvent être préconisés pour l’amélioration de la plantation car l’essence choisie est inadaptée à la station. On peut seulement espérer que la colonisation en cours par le pin d’Alep constitue à terme un peuplement et un couvert qui permettra aux quelques frênes rescapés d’enrichir la composition d’un sous-étage.” Aujourd’hui, les frênes n’ont toujours pas grandi. Moins d’une dizaine dépasse le mètre 50.
“Ces arbres survivent difficilement, conclut Michel Vennetier. Il faut prendre en compte le contexte des arbres, prévoir des espèces adaptées au climat de leur âge adulte. Dans 30 ou 50 ans, la planète sera plus chaude. Avec le réchauffement climatique, seules deux espèces me semblent adaptées : le chêne vert et le pin d’Alep, surtout ce dernier. C’est une chance de l’avoir car c’est probablement la seule espèce capable de donner de la forêt ici dans le siècle à venir. Et il y a un autre problème, c’est la fréquence des feux. Quel intérêt de reboiser si on a un feu tous les 15 ou 20 ans ?”
Commentaires
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Excellente mise au point contre les pseudos évidences !
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A l’évidence la solution est bien d’organiser ces espaces brulés puisque les seuls arbres susceptibles de s’y installer sont ceux qui brulent le plus facilement. Il ne faut plus attendre pour construire tous les logements qui manquent, des “resorts” de qualité destinés aux touristes qui se rendent encore en Espagne, des plans d’eau, des centre équestres, des golfs, des vignes etc…… Pour le privilège de quelques uns, vue, tranquillité, chasse, spéculation sur la valeur de leurs biens immobiliers du fait de la rareté, lobbies divers on conserve ces espaces incultes qui sont de véritables bombes à retardement et après tout le monde pleure, chomage, pénurie de logement incendies, etc….. Sinon inutile de revenir pleurer dans vingt ans.
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Wouaa! Quelle lumière avons nous là …
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Article très intéressant. Le discours des forestiers est un peu fataliste. Si il y a eu de belles forêts, c’est que c’était possible. Évidemment c’est la fréquence des incendies, qui n’a rien de naturelle, qui vient détruire ces écosystèmes qui fonctionnaient. Le grand incendie de 1990 qui a ravagé les Calanques les a laissées déboisées et les visiteurs actuels doivent penser, à tort, que le paysage a toujours été ainsi. Et même s’il reste beau, il l’était plus encore.
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Merci à Marsactu pour cet article une nouvelle fois très fouillé.
Décidément, le monde politique est nettement plus qualifié pour répéter de fausses évidences que pour réfléchir et s’appuyer sur les spécialistes.
En 1990 déjà, on pouvait lire que le reboisement était aussi coûteux qu’inutile, et qu’il suffisait “d’aider la forêt méditerranéenne, qui en a vu d’autres, à se reconstituer elle-même” : http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/42155/FM_XII-1_66.pdf
C’est vraiment déplorable que 26 ans plus tard, certains restent accrochés à de vieilles idées impraticables. A moins qu’il ne s’agisse que de communication politique mâtinée d’un soupçon de démagogie ?
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Texte concis (ce n’est pas la tartine qu’on croise parfois) très bien documenté, où le sujet est instruit à charge et à décharge comme on dit. On en sort plus intelligent.
1) Un constat : on ne ne peut plus, sur un certain nombre de sujets, venir délivrer un oracle, mais il faut s’être documenté avant. Cela a diverses conséquences sur lesquelles je ne veux pas m’étendre.
2) Une info éventuellement complémentaire. J’ai visité un jour une petite exploitation horticole tenue par une prof de philo, son compagnon est agriculteur je crois. Son truc, c’est de sélectionner des plantes méditerranéennes, adaptées à notre terre et notre climat. Elle plante, arrose, puis cesse d’arroser et laisse la plante livrée à elle-même. Certaines crèvent, d’autres prospèrent, sans arrosage. Ses clients sont des architectes paysagistes, qui réalisent des jardins avec des plantes qui n’ont besoin ni d’arrosage, ni d’entretien. Un choix complémentaire peut consister à choisir la plante dont les graines vont régaler les oiseaux du coin.
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Quelles sont les causes ou les auteurs de ces incendies ? Les enquêtes ont-elles progressé ? Y a-t-il toujours communication au public ?
Parce que des rumeurs, issues des milieux les mieux informés, font état de deux causes :
A Vitrolles ce serait l’allumage par un agent pyromane de la sécurité civile.
A Carry ce seraient des travaux à la disqueuse (interdite l’été) qui auraient enflammé les broussailles.
Marsactu, pouvez-vous nous éclairer, de façon à ce que ces rumeurs puissent être démenties, à moins d’informations qui les confirmeraient.
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