Pour protéger les femmes en danger, la région soutient le business d’une élue

Enquête
le 26 Nov 2021
10

Renaud Muselier a annoncé jeudi lancer un appel à projet pour soutenir des dispositifs d'alerte pour les femmes victimes de violences. Mais ce choix fait naître un conflit d'intérêts. Parmi les élus de la majorité se trouve la créatrice d'un concept de ce genre et elle compte bien candidater.

Renaud Muselier, le 25 novembre, lors des assises contre les violences faites aux femmes. (Photo : LC)
Renaud Muselier, le 25 novembre, lors des assises contre les violences faites aux femmes. (Photo : LC)

Renaud Muselier, le 25 novembre, lors des assises contre les violences faites aux femmes. (Photo : LC)

“Le bouton Monshérif, le président en a parlé tout à l’heure, qu’est-ce que c’est ?” Dans le grand hall du conseil régional, le sujet abordé est lourd, mais l’accroche utilisée par l’animatrice pour démarrer la première table ronde de la journée a de quoi surprendre. Lors de la journée d’“assises” consacrée par la collectivité ce jeudi à la question des violences faites aux femmes, le nom de cette marque reviendra régulièrement. Sans que personne indique, à aucun moment, que la créatrice de ce dispositif électronique d’alerte sous forme de bouton est Dominique Brogi, conseillère régionale déléguée à l’égalité femmes-hommes élue sur les listes de Renaud Muselier dans le Vaucluse en juin dernier.

Monshérif n’est pas un petit gadget méconnu. Il fait partie des dispositifs bien identifiés sur ce marché, au même titre que l’application gratuite App-Elles, soutenue notamment par le gouvernement. Des outils complémentaires et plus “souples” que ceux prescrits dans le cadre d’une enquête judiciaire ou d’une condamnation, comme le téléphone grave danger ou le bracelet anti-rapprochement. Le parquet de Marseille a dans certains cas recours aux boutons Monshérif, dont il finance l’achat via les amendes dites de contribution citoyennes. Ailleurs en France, ce jeudi, la région Auvergne-Rhône-Alpes voisine, dirigée par Laurent Wauquiez déclarait passer une commande de 1000 boutons Monshérif.

Le risque du conflit d’intérêts

Le président de la région PACA, pour sa part, a annoncé lancer un appel à projet “pour soutenir tous les dispositifs d’alerte quels qu’ils soient : bouton d’alerte, applications”. Au vu de la place qui lui a été accordée dans les débats ce jeudi, Monshérif a tout pour faire partie des dispositifs retenus. Un gain potentiellement majeur pour l’entreprise de Dominique Brogi – qui commercialise chaque bouton autour de cinquante euros – si l’idée est de le rendre accessible au plus grand nombre dans une région de quelques 2,5 millions d’habitantes. Durant sa campagne, déjà, lorsqu’il mettait en avant sa fibre féministe lors du duel avec le RN, Renaud Muselier vantait le dispositif vauclusien. En s’investissant dans la lutte contre les violences faites aux femmes, la région sort de son champ de compétences classiques, et le revendique. Mais, au passage, elle semble construire son action dans la droite lignée du business d’une élue. Comment ne pas voir s’allumer sur de grands panneaux clignotants l’avertissement : “attention, conflit d’intérêts” ?

je suis l’inventeur d’un dispositif sans concurrent !

Dominique Brogi

Sollicitée par Marsactu, la patronne de cette start up se décrit comme face à un dilemme : “ma position est particulière, je suis l’inventeur d’un dispositif sans concurrent ! Maintenant, il faut choisir entre protéger les femmes victimes de violence ou faire du franco-français en cherchant des poux sur la forme”. À ce jour, les “concurrents” de Monshérif sont en effet pour la plupart des applications. Elles ont pour avantage d’être gratuites d’accès, une fois développées, mais nécessitent d’avoir accès à son téléphone en cas de menace, contrairement au bouton qui peut être porté en pendentif ou dans une poche. “Et puis si un concurrent arrivait avec un dispositif en bouton, il n’aurait pas six ans d’expérience comme nous”, balaye-t-elle encore.

Des précautions juridiques

Dominique Brogi assure toutefois avoir pris les dispositions nécessaires avec la région, pour écarter le risque de conflit d’intérêts : “Aujourd’hui je suis une élue sans délégation de signature, je n’ai qu’un rôle informationnel”. Dominique Brogi ne participera pas aux réunions de travail sur ce sujet et ne prendra pas part au vote”, nous confirme par écrit la région. De quoi s’interroger tout de même sur la pertinence d’avoir nommé en charge de ces dossiers une personne devant rester à distance des appels à projets. Mais l’élue suit de nombreux autres sujets à la région notamment concernant la jeunesse et l’égalité femmes-hommes en entreprise”, anticipe la collectivité.

Ces précautions n’ont tout de même d’autre but que de permettre à Dominique Brogi de candidater à l’appel à projet. “Très certainement, l’entreprise candidatera”, confirme cette dernière. Et de poursuivre, avec assurance : “Je me suis renseignée auprès d’avocats, s’il faut m’éloigner je le ferai, mais aujourd’hui ce n’est pas nécessaire”. Toujours est-il que des élus et fonctionnaires devront, lors de l’examen des candidatures, se pencher sur le dossier d’une élue avec qui ils collaborent régulièrement. Sans parler des associations, futures bénéficiaires, qui côtoient l’élu sur le terrain. En clôture de la table ronde, Sabrina Agresti-Roubache, conseillère spéciale chargée du dossier des violences faites aux femmes, a glissé précautionneusement : “nous allons lancer cet appel à projets, nous espérons avoir beaucoup de propositions variées, nous comptons sur l’imagination des associations et des entreprises”. Dominique Brogi, elle, reste sûre de sa légitimité. “Je reste créatrice d’un dispositif qui sauve des vies”, revendique-t-elle.

Embarras à tous les étages

Lors de la table ronde consacrée aux dispositifs d’alerte, Magali Blasco, directrice de l’AMAV, association d’aide aux victimes dans le Vaucluse, a témoigné de son expérience professionnelle positive avec Monshérif. Son association a distribué 70 de ces boutons depuis octobre 2020, grâce à une subvention de la région, chaque bouton coûtant, rappelons-le, 50 euros pièce. Satisfaite, elle souhaite poursuivre ce partenariat avec l’entreprise, mais voit bien l’aspect délicat de la double casquette de la cheffe d’entreprise. “Je l’ai connue avant son engagement en politique, en 2019. Aujourd’hui, ça nous coince un petit peu, ce serait délicat si on ne pouvait plus avoir de financements de la région”, reconnaît la professionnelle, qui dit se préparer à solliciter d’autres collectivités locales pour éviter tout conflit d’intérêts.

Dans le milieu associatif local, voir ce dispositif mis en avant sur le programme des assises régionales a fait lever quelques sourcils. Une des participantes exprime sa surprise de voir la région s’investir de cette manière sur le sujet des violences faites aux femmes “alors qu’on nous finance de moins en moins”, pour assister en plus “à un coup de pouce à la boîte d’une élue régionale”. Avant de poser une autre question plus vaste : “L’autre problème, c’est de toujours dire que c’est aux victimes de se protéger, et donc de pouvoir blâmer celles qui ne se protègent pas”. Un débat qu’aucun appel à projet ne saurait régler.

Cet article vous est offert par Marsactu
Marsactu est un journal local d'investigation indépendant. Nous n'avons pas de propriétaire milliardaire, pas de publicité ni subvention des collectivités locales. Ce sont nos abonné.e.s qui nous financent.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Pierre Guiard Pierre Guiard

    Sincèrement, je ne vois pas où est le souci, si l’on veut des gens de la société civile parmi les élus c’est le genre de souci qui arrive.
    À partir du moment où elle a pris la précaution d’être transparente je ne vois pas pourquoi l’on se priverait d’un outil bien français qui paye des impôts, au lieu de choisir des outils étrangers qui pour la plupart ne payent pas d’impôts en France.
    Fin de la polémique stupide !

    Signaler
    • Zumbi Zumbi

      Vous êtes très clair : vous ne voyez pas où est le souci puisqu’il y en a un.

      Signaler
  2. julijo julijo

    la question est : la fin justifie les moyens ?
    tout ça est très louable et ce dispositif est réellement un plus, certes.
    la loi appelle ça un conflit d’intérêt.
    la loi est-elle faite pour ces “gens-là”, qui élus, outrepassent allègrement les règles ?

    Signaler
    • Calamity J Calamity J

      Le conflit d’intérêt, c’est si un élu est favorisé par rapport à une autre personne lambda (dans un appel d’offres par exemple). Du point de vue de la loi, s’il n’y a pas concurrence, il n’y a peut-être pas conflit d’intérêt?

      Signaler
  3. Calamity J Calamity J

    Compliqué car oui, la Région va mettre en avant le projet d’une élue entrepreneuse dans un champ qui dépasse ses compétences (et en baissant ses subventions aux autres assos qui travaillent sur le même terrain? On veut des chiffres marsactu!) mais, en même temps, il s’agit d’un dossier (la protection des femmes en danger) dont toutes les institutions devraient se saisir: à titre personnel, je me félicite si mes impôts soutiennent ce projet. On ne peut pas comparer ce soutien à une entrepreneuse “solidaire” avec la scandaleuse enveloppe attribuée à Karine Le Marchand (malgré son aspect “promotion de l’écologie”). D’après vous: faudrait-il que cette élue démissionne pour éviter le conflit d’intérêt? Est-ce qu’elle ne fait pas son travail d’élue en usant de sa position pour faire avancer le bien commun, la chose publique? Pas évident de se positionner.

    Signaler
  4. Manipulite Manipulite

    Cette conseillère régionale de la majorité Muselier défend une cause d’intérêt général tout à fait louable ; mais elle le fait en promouvant l’achat sur budget régional d’un dispositif dont la vente lui apporte un profit personnel. C’est grave au plan pénal et je ne parle pas des interrogations déontologiques au regard du statut de l’élue. La déontologue du conseil régional PACA regarde ailleurs ?
    En principe avec cette majorité il faut en effet regarder ce qui se cache de personnel derrière les grandes déclarations de principe. Merci Marsactu !

    Signaler
    • Pierre Guiard Pierre Guiard

      Faux il faut lire l’article correctement

      #Des précautions juridique
      Dominique Brogi assure toutefois avoir pris les dispositions nécessaires avec la région, pour écarter le risque de conflit d’intérêts : “Aujourd’hui je suis une élue sans délégation de signature, je n’ai qu’un rôle informationnel”. “Dominique Brogi ne participera pas aux réunions de travail sur ce sujet et ne prendra pas part au vote”, nous confirme par écrit la région.

      Signaler
  5. Patafanari Patafanari

    Une interrogation me turlupine. Est-ce qu’ils existent des dispositifs similaires pour les messieurs plus trop vaillants? Ou bien est-t-on sensé faire le shérif sois même en cas d’agression avec tous les risques que la riposte ne soit pas proportionnée à l’attaque.

    Signaler
  6. Cyril JARNY Cyril JARNY

    La vraie question à se poser, me semble t-il, est est-ce que la Région aurait lancé un tel appel à projet s’il n’y avait pas eu ce dispositif d’une élue, plutôt que de financer des associations de terrain ?

    Signaler
    • GlenRunciter GlenRunciter

      Disons que ce qui aiguise les soupçons, au fond, c’est que la Région s’apprête à financer un dispositif dans une domaine où elle n’est pas compétente…
      Ca, ajouté à la position particulière de cet élu, ça fait beaucoup.

      Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire