Plage naturiste du Mont-Rose, une agression homophobe entache des décennies de tranquillité

Le Mont-Rose, juste à l'entrée de la route des Goudes, est un lieu de naturisme et de rencontres gays de longue date. (Photo : LC)

C’est le slip de bain de Lazare qui aurait été la cause du courroux. Le jeudi 27 juin, dans le calme d’une fin d’après-midi estival sur la placette qui ouvre le petit village de pêcheurs du Sud de Marseille, Lazare et son compagnon Paul rentrent d’une baignade au Mont-Rose, plage de rochers réputée pour ses habitués naturistes, gays et plus largement LGBT+. Pour traverser le petit noyau villageois de la Madrague-de-Montredon (8e) jusqu’à la borne de vélos libre-service, Paul a mis un t-shirt, quand Lazare s’en tient à une tenue de bain. Pas de quoi en faire un drame. Sauf visiblement pour cet automobiliste qui pile devant eux et surgit hors de son véhicule pour intimer à Lazare de changer de tenue.

“On répond que non, on va juste prendre notre vélo, on trouve ça disproportionné. Et puis tout d’un coup, il y a des insultes du type « enculé »“, décrit Lazare. Devant le refus clair de ce dernier, le conducteur hausse le ton. Paul raconte la suite : “Il nous a dit « rhabillez-vous, y a des enfants ». Au bout d’un moment, il a dit « partez » et [Lazare] lui a répondu « bah non ». D’autres gens sont arrivés d’une terrasse à côté, ils nous ont poussés, et après, il y avait trois personnes [face à nous]. Le mec a mis un coup de poing à [Lazare] une première fois. Il y avait aussi sa femme. Ça a fait comme un attroupement, la dame disait « enculés, cassez-vous ». Un deuxième mec m’a mis un coup de poing dans la tête, et je me suis étalé sur les tables du restau. Lazare essayait d’appeler à l’aide”. Au bout de longues minutes, c’est finalement le patron du restaurant voisin, alerté par le bruit des tables renversées, qui intervient et parvient à repousser les agresseurs. Le couple restera ensuite quasiment une demi-heure sans bouger, sonné. “Lazare n’était pas bien. Il m’a dit qu’il venait souvent, qu’il avait besoin de cet endroit, et que ce soit l’autre mec qui parte”, confie Paul, qui venait lui pour la première fois au Mont-Rose.

“C’est une agression homophobe, c’est clair”

Trois semaines plus tard, sur place, plusieurs personnes interrogées ont encore l’incident bien en tête. “Ah oui, ceux qui se sont fait taper parce qu’ils étaient homos ?”, répond immédiatement une serveuse, qui n’était pourtant pas là ce jour-là. Sa collègue, qui, elle, travaillait, mais en intérieur, s’en souvient aussi. “Ils n’ont pas aimé qu’ils soient gays et en slip, c’est juste des homophobes”. Si l’identité des agresseurs n’est pas claire, il semble à tout le moins qu’il s’agisse “de gens du coin qui viennent se baigner deux-trois fois par semaine l’été” sur la plagette du village de pêcheurs. “Un fatigué”, résume un commerçant sous couvert d’anonymat. Façon marseillaise de dire que le principal agresseur est identifié comme source de problèmes.

Pour un des témoins, qui souhaite aussi garder l’anonymat, le caractère homophobe de ces violences ne fait en tout cas aucun doute. Après l’altercation, cet habitué du quartier a tenté de raisonner l’automobiliste : “le monsieur m’a dit : « ils sont mal habillés, devant les enfants, c’est pas correct ». Je lui ai répondu « pourquoi tu les as appelés pédés ? », il a répondu « à Marseille tout le monde dit pédé », mais ça va, à sa réponse, j’avais compris, aucun doute. Pour moi, c’est une agression homophobe, c’est clair. J’ai trouvé ça abject“.

L’agression a eu lieu en plein centre du village de la Madrague-de-Montredon. (Photo : LC)

Si les deux jeunes hommes s’en sont sortis avec simplement des rougeurs et des bleus, l’évènement a forcément été marquant. “C’était assez choquant. Les insultes homophobes, oui ça arrive, presque tous les jours même. Ce qui a été choquant, c’est que personne ne soit venu quand on demandait de l’aide”, formule Lazare. “Le type était un gros mec, il avait l’air un peu bourré, je peux comprendre qu’on n’ait pas envie de l’affronter, mais de là à l’aider ? Nous, on n’est pas effrayants tous les deux, on est des petits gabarits”, complète Paul. 

À quelques jours du premier tour des législatives, les deux jeunes hommes se sont forcément interrogés sur un potentiel lien avec l’atmosphère politique et la montée de l’extrême droite. “Évidemment, tu fais le lien. Le gars a dit « je suis chez moi ici », en pleine journée. Devant plein de gens, dont certains qui sont venus les rejoindre”, analyse-t-il encore, quand son compagnon s’inquiète aussi : “je n’ai pas envie de cliver ou de cibler le quartier, c’est plutôt le climat. Des gens qui font leur loi de façon décomplexée, en plein jour”.

Cette envie de ne surtout pas stigmatiser le quartier passe aussi pour Lazare par le choix de ne pas porter plainte. “Je ne me sens pas en insécurité. Je n’ai jamais eu de problème ici en quinze ans. Je ne veux pas stigmatiser, mais inciter au dialogue, parler avec eux, même”, développe-t-il. En revenant sur place quelques jours avant la parution de cet article, Lazare confie pourtant avoir essuyé des remarques insistantes sur sa tenue, avec des mots similaires qui faisaient à ses yeux référence à l’altercation du 27 juin, sur le ton de “ça ne vous a pas suffi la dernière fois ?”. Malgré tout, il continuera à s’y rendre pour ses baignades régulières.

“Tout le monde est bienvenu”

En se promenant entre le cœur du village et les rochers, le constat est en effet unanime : ici, tout le monde vit d’habitude en bonne entente, avec ses différences. Dans l’après-midi, au son des vagues qui strient la rade marseillaise à l’infini, nombreux sont les groupes d’amis, les hommes solitaires ou en couple qui cheminent entre cailloux et garrigue pour rejoindre les fameux rochers, présentés comme “sans doute la plus vieille plage gay du Sud de la France”, par le site Gay séjour.

“Ici, c’est mondialement connu, on se mélange, c’est pas le cap d’Agde, mais quand même”, glisse dans un sourire malicieux la patronne de la boutique de mode-restaurant Lynn Dalaga, située en plein cœur du village. “Les gays, ils sont beaux, ils sont frais, ils ont du style, ils mangent bien. On est contents de les avoir”, poursuit avec enthousiasme cette native du quartier. Avec un peu moins d’emphase, un autre commerçant appuie : “On a une population assez hétéroclite, beaucoup de personnes homos, ça n’a jamais posé de souci, au contraire, tout le monde est bienvenu.”

Même si les baigneurs, gays ou pas, qui se promènent en pleine rue en maillot agacent un peu, c’est vrai. “J’essaye de dire aux gens qu’on ne doit pas être torse nu, mais je suis commerçant au bord de la mer, c’est comme ça”, soupire le gérant d’une autre boutique, en rendant la monnaie à des ados en shorts de bain.

Tous sont en tout cas formels : jamais aucune agression de ce type n’avait été signalée auparavant. “On sait qu’ils sont là, ils ont l’air à l’aise et de ne pas se sentir en danger. Les gens ici sont habitués, il n’y a jamais eu de problème”, résume Faty, qui tient ce jour-là, sous le cagnard du parking du Mont-Rose, une carriole de crêpes et douceurs avec sa fille Isabelle. En apprenant l’incident, elles répondent avec dépit : “les gens sont cons”.

Un coin de paradis à préserver

C’est pour préserver ce paradis de tolérance que Lazare tient à tout prix à ne pas faire de sa mésaventure une généralité. “C’est un endroit de grande liberté pour la communauté gay et même pour la communauté queer, avec de plus en plus de lesbiennes et même de trans. C’est un lieu de rencontres, de sexualité aussi, c’est précieux. Je ne voudrais pas que le lieu soit protégé par la police”, insiste-t-il. Il s’interroge aussi sur l’impact que pourrait avoir sur ce fragile équilibre la construction de l’écoquartier sur la friche Legré-Mante, avec le doublement potentiel du nombre d’habitants dans le village. 

Pour l’heure, le Mont-Rose et les terrasses de la Madrague continuent d’avoir la faveur de personnes LGBT+ venues de tous horizons. À l’ombre des parasols de la pizzeria, un groupe de jeunes hommes espagnols et latinos vivant à Berlin reviennent ravis de leur première visite au Mont-Rose. “J’ai tout simplement tapé ce matin dans Google “gay beach nude marseille” parce que c’est mon habitude quand je veux aller à la plage et que je voyage”, sourit Pedro derrière ses lunettes de soleil. “Ça a l’air tranquille, chacun fait sa vie”, ajoute un de ses camarades. Avant que le premier ne tente une analyse : “c’est quand même très isolé, ça reflète certainement la place des gays à Marseille, il faut passer des rochers, c’est caché…”. Une façon de vivre heureux, paraît-il.