[Piscines de fortune] Sous le Panier, le bassin oublié

Reportage
le 19 Juil 2016
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En été à Marseille, plusieurs piscines sont fermées. Marsactu se propose donc de passer en revue les bassins inventés, insoupçonnés, lointains ou méconnus qui ont la faveur des Marseillais. Premier épisode de cette série estivale, la piscine oubliée du Panier.

La piscine du patronage du Panier en 2010, avant que son accès ne soit condamné. (photo retouchée)
La piscine du patronage du Panier en 2010, avant que son accès ne soit condamné. (photo retouchée)

La piscine du patronage du Panier en 2010, avant que son accès ne soit condamné. (photo retouchée)

C’était sûrement l’unique piscine collective souterraine de l’histoire de Marseille. Imaginez un bassin de 25 mètres sur 6 au beau milieu du Panier. L’idée semble saugrenue pourtant les vestiges sont toujours là, enterrés dans la cour de l’étoile de La Major, au bout l’impasse Sainte-Françoise, à quelques dizaines de mètres de la place de Lenche.

C’est un post Facebook qui attire notre attention sur cette piscine oubliée dont ne reste aucune image. Sur place, pas de signe de la présence d’une piscine souterraine. Pas même les quelques carreaux transparents, prévus pour laisser passer la lumière naturelle, disséminés sur la surface bitumineuse de la cour. Fermée au milieu des années 80 pour raisons de sécurité, le bâtiment appartient à l’association Le Lacydon. Celle-ci oeuvre depuis 1904 pour l’éducation sportive et culturelle des enfants du quartier. “On touchait presque le plafond avec la tête, il n’y avait que trois rebords et une seule sortie“, exagère à peine Alain Sisco, enfant du quartier aujourd’hui vice-président de l’association.

À l’époque, les enfants de 6 à 15 ans sont souvent pris en charge par l’église “pour qu’ils ne finissent pas dans la rue”, explique Alain Sisco. C’est le patronage du Panier, autrement nommé foyer-club Lacydon-La Major. Au début des années 70, jusqu’à 400 garçons et 110 filles s’y réunissent les jeudis et samedis, ainsi que lors des vacances scolaires. “Quand vos parents ne vous envoyaient pas au Parti communiste, c’était le patronage”, continue le vice-président du Lacydon.

Au menu, gymnastique, football, théâtre, danse, etc. Et bien sûr natation dans la piscine souterraine. Les clapotis et les cris des enfants ne sont aujourd’hui que de lointains souvenirs. Les dernières personnes qui ont pu y pénétrer, avant que la porte ne soit condamnée en 2010, parlent d’un lieu fantomatique. Mis à part des infiltrations d’eau, l’endroit serait resté intact depuis la fermeture. “Vous vous rendez compte, on a une piscine au Panier et elle est remplie de boue”, s’insurge Christian Prévaux, enfant du patronage qui a milité pour la rénovation du bassin.

L’abbé Saisse, patron du patronage

inauguration-piscine

Photo tirée de l’article du Provençal au moment de l’inauguration. On devine (difficilement) le maire Gaston Defferre à droite.

En quête d’informations sur ce lieu oublié, nos recherches nous mènent très vite à l’abbé Saisse, qui dirigea le foyer-club Lacydon-La Major de 1939 à 1983. Les témoins de l’époque que nous avons interrogés conservent le souvenir d’un homme de poigne à la carrure imposante. Son destin semble lié à celui de la piscine. Il est à l’initiative de la construction du bassin et son départ à la retraite en 1983 coïncide avec sa fermeture.

Des anciens gamins du patronage, rencontrés par hasard sur la place de Lenche, fourmillent d’anecdotes à son sujet. Nés dans le quartier, ils se réunissent de manière informelle le soir, lorsque la chaleur de l’été commence à s’estomper. Corinne Beltranelli, la cinquantaine, témoigne : “On allait à la piscine le jeudi, il y avait des horaires pour les filles et des horaires pour les garçons et si le père Saisse ne nous voyait pas à la messe on était privés de piscine”“C’était un super abbé, il nous emmenait partout, ajoute Martine Caillol que les mœurs de l’époque amusent encore. Lorsque nous partions en vacances il se couchait sur le sol entre les garçons et les filles pour éviter tout contact”.

Christian Camizuli, un autre “enfant” du quartier, raconte comment Jean-Paul Belmondo s’est baigné dans la piscine du patronage. “C’était en 1971 lors du tournage de Borsalino. L’équipe du film avait pris ses quartiers dans la cour de l’étoile de la Major. À l’extérieur, on entendait souvent les filles hurler le prénom “Alain” [pour Alain Delon, ndlr]. Et puis Jean-Paul Belmondo, qui était quelqu’un de très sympa et très disponible est venu jouer avec les enfants dans la piscine.”

La promesse de Defferre

Malgré 30 années de fermeture, le souvenir de la piscine du patronage reste présent dans la mémoire des anciens. “Tout le monde me parle de la piscine. Quand je passe dans le quartier on me demande : alors cette piscine, jamais on s’en sert ?”, raconte Alain Sisco. En revanche, les archives sont bien moins loquaces. Rien aux archives départementales et les municipales n’offrent qu’un maigre butin. Pas une photo, pas une mention mise à part une lettre de l’abbé Saisse, à l’époque président de l’association, datée de 1983.

Le courrier est adressé au directeur du Provençal, avec copie au maire de Marseille Gaston Defferre. Le curé se plaint d’une promesse de campagne du maire : “l’ouverture au public de la piscine”. Or, son association loue l’équipement “par un bail notarié de 18 ans”,  qui lui en donne l’usage exclusif, souligne-t-il, ne manquant pas de rappeler que les parents des jeunes accueillis comptent “plusieurs sympathisants actifs de la municipalité sortante”, c’est à dire des électeurs de Defferre.

Au siège de l’association Le Lacydon, situé dans les locaux du théâtre éponyme, Alain Sisco conserve des coupures de journaux d’époque. Un article du Provençal daté de novembre 1969, publié après l’inauguration, évoque les raisons de la construction de la piscine souterraine. En 1967, deux cuves d’eau d’environ un mètre de profondeur sont détruites lors de l’édification d’une crèche municipale, rue de l’Evêché. Elles faisaient office de piscine pour les enfants du quartier depuis des temps immémoriaux. Gaston Defferre, alors maire de Marseille, promet de construire en compensation une véritable piscine. Faute de place, le bassin va être directement aménagé dans le sous-sol des locaux de l’association. Des travaux inédits et très coûteux pour l’époque. Dès lors, on imagine aisément le pied de nez fait au Parti communiste, concurrent direct pour l’éducation de la jeunesse du Panier à la fin des années 60.

En 1971, la même année que la baignade de Belmondo, le chauffage fait son arrivée. Il ne sera jamais utilisé, et ce malgré une inauguration en grande pompe, en présence de Gaston Defferre et de Jean-François Guérini, conseiller général et oncle de Jean-Noël. “On n’avait pas assez d’argent pour acheter le fioul”, confie Alain Sisco. En pleine campagne électorale, l’article paru pour l’occasion dans Le Provençal donne une idée de l’enjeu autour de la piscine. Le quartier du Panier est potentiellement un grand pourvoyeur de voix et le journaliste ne manque de grandiloquence à l’égard de Gaston Defferre, maire sortant et propriétaire du journal. ” Le foyer dispose d’un magnifique bassin olympique couvert [ndlr la piscine du patronage mesure 25m] réalisé grâce à la municipalité … pépinière de futurs champions olympiques”.

La piscine souterraine du Panier 2

Article du Provençal lors de l’inauguration du chauffage en 1971.

Abandon progressif

Après ces années de pleine activité, la piscine perd peu à peu de sa superbe. Elle finit par n’être ouverte qu’un été sur deux, puis lors de très rares occasions avant de fermer définitivement dans les années 80. L’abbé Saisse n’est plus là, le coût de mise aux normes est exorbitant et l’entretien de la piscine demande beaucoup de temps.

Pourtant, des tentatives de réhabilitation ont été menées. Jean-Pierre Céru, président de l’association Le Lacydon, en garde un bon souvenir. Ancien maire des 2e et 3e arrondissements, Jean-Noël Guérini (ex-PS) a fait réaliser des études “au début des années 2000”, peu de temps après son accession à la présidence du conseil général. “Elles ont conclu que les travaux étaient trop coûteux, il fallait creuser la roche pour agrandir et les équipements étaient trop vétustes. Il était même question d’un projet d’auditorium mais tout a été abandonné”, raconte Jean-Pierre Céru. 

Aucun projet de réhabilitation ne semble possible et l’avenir de la piscine souterraine du patronage du Panier reste en suspend, comme le reliquat d’une époque révolue.


Une photo remontée à la surface

Difficile de mettre la main sur une photo ancienne ou récente de la piscine du patronage. Par miracle, une archéologue de passage au service du patrimoine de Marseille a le souvenir d’un article paru en septembre 2010, dans le journal de quartier La Pipelette. L’auteur, Christian Prévaux, enfant du quartier et journaliste à ses heures perdues, avait pris pour l’occasion ce qui semble être le dernier cliché connu des vestiges de la piscine (voir photo de une). Bien évidemment, cela faisait belle lurette que l’homme avait perdu la trace de cette photo, “prise dans des conditions difficiles avec un téléphone portable de 2010”. Heureusement, Caty Chaney, ancienne secrétaire de rédaction de La Pipelette avait conservé une copie du fameux cliché.


L’intégralité de la série

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Commentaires

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  1. thomaslc thomaslc

    Très intéressant, ces vestiges oubliés. Ils feront le bonheur des archéologues du 22è siècle…

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  2. VitroPhil VitroPhil

    Merci pour ce plongeon rafraîchissant dans une histoire pas si lointaine.

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  3. Regarder2016 Regarder2016

    Enfin un journaliste qui mouille sa chemise!

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  4. jucriss jucriss

    merci pour cet article qu’on ne peut lire que sur marsactu

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  5. mathon13127 mathon13127

    Dans ma jeunesse, j’ai été au “Patronage”. J’ai connu l’époque de la construction de cette piscine et j’y ai même appris à nager … Que de souvenirs ! Et dire que récemment, personne ne voulait me croire quand, passant rue de l’Évêché, je disais que derrière la maison de retraite, il y avais une piscine !

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  6. LaPlaine _ LaPlaine _

    Ces lieux oubliés qui ont vu passer des rires, des joies, des cris, avant de tomber dans l’oubli, sont toujours émouvants.

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  7. neplusetaire neplusetaire

    Merci, je ne connaissais pas ces piscines.

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