Pesqués par la justice, les deux derniers chalutiers marseillais ne pêchent plus
Cet été, les deux derniers chalutiers de Marseille sont passés devant les tribunaux pour pêche illégale. Derniers dinosaures d'une pêche décriée par les défenseurs de l'environnement, les deux navires étaient en récidive, à la croisée de forts enjeux économiques et écologiques.
Le quai de Saumaty où sont amarrés les derniers bateaux de pêche de la rade.
L’un a la peau brunie par le soleil, les mains taillées par les filets, un polo un peu froissé. L’autre, coiffé impeccablement, a fière allure et porte une chemise sans un pli. La semaine dernière, ces deux hommes comparaissaient côte à côte devant la justice pour pêche illégale : le premier est patron pêcheur, le second, armateur. Durant l’été 2021, au large de Port-Saint-Louis, leur chalutier, le Notre-dame-de-la-Garde est repéré à cinq reprises en action dans une zone interdite à la pêche. “Quand vous avez vu le bateau de la Marine se diriger vers vous, vous avez remonté les filets”, rappelle, à l’adresse du capitaine, les magistrats. Mains dans le dos, l’homme de la mer répète ne pas connaître la règlementation.
Le jeune pêcheur a déjà passé une vie sur la mer, quinze ans exactement. Patron pêcheur depuis 2013, il était auparavant matelot. Et s’il a été pris la main dans le filet cinq fois durant l’été 2021, le navire qu’il exploite a fait pas moins de 23 virées dans une zone interdite à la pêche, selon une enquête de la gendarmerie. Bref, le chalutier Notre-dame-de-la-Garde avait, cette année-là, pour habitude de circuler dans des zones très poissonneuses, en pleine période de frais, tous filets dehors. “Vous êtes un homme de la mer, ce qu’elle offre est censé vous préoccuper”, tance le procureur, Michel Sastre, tandis que le pêcheur continue de jouer la carte de l’ignorance.
Une pratique en voie de disparitionLe chalutage est une manière de pêcher qui consiste à remorquer grâce à un bateau spécifique (le chalutier) un filet (le chalut) accroché au bout de deux câbles pour attraper des espèces de fond. Si la technique a l’avantage de permettre de nombreuses prises, elle est en revanche particulièrement néfaste pour l’environnement, en détériorant les habitats et les organismes des fonds marins. En février dernier, la Commission Européenne a, pour cette raison, acté un plan de sortie de flotte des chalutiers pour que ce genre de pratique n’existe plus en 2030.
“Le jackpot”
Celui qui comparait pour complicité à ses côtés adopte la même stratégie. Mais contrairement au capitaine, dont les revenus mensuels sont très bas, la situation financière de l’armateur du Notre-dame-de-la-Garde est plus que confortable. Une société immobilière, une casse auto, ce dernier dit gagner 60 000 euros par an. Depuis les ennuis avec la justice, jure-t-il, son bateau ne navigue plus. “Mes revenus issus de la pêche ? Zéro. Je garde juste le bateau pour mon père, si vous lui enlevez, il n’a plus rien”, raconte ce fils de pêcheur. A-t-il été attiré par l’appât du gain au point d’envoyer l’exploitant de son navire pêcher dans une zone très poissonneuse, et surtout, très protégée ? Pour les parties civiles – des associations de protection de l’environnement – cela ne fait pas de doute.
“Pêcher dans une zone où les poissons se reproduisent, et qui est pour cette raison interdite à la pêche, c’est le jackpot, et pas uniquement pour le patron pêcheur, qui va partager sa pêche avec l’armateur quand il la débarque”, plaide l’avocate Isabelle Vergnoux, pour France nature environnement, entre autres. Elle demande la condamnation solidaire des deux hommes et réclame une sanction qui “corresponde au gain financier”, soit 2300 euros par sortie et par personne.
Un avis que semble suivre le procureur qui requiert 7500 euros d’amende pour les deux ainsi que 15 000 euros de préjudice à verser aux associations, mais aussi une interdiction d’exercer d’un an. “Le tribunal traite de plus en plus d’affaires de pêche illégale car cela représente un intérêt écologique. D’ailleurs, le monde de la pêche y voit aussi un intérêt économique : si l’on ne fait pas ça, il n’y aura plus rien dans la mer”, abonde Michel Sastre, marin à ses heures perdues. Début juin, il enfilait sa robe pour traiter une affaire similaire.
Grosses amendes et interdiction d’exercer
Cette fois-ci, c’est au cœur du parc des Calanques que l’affaire se déroule. Le 30 novembre 2022, les autorités attrapent le Di Trento, dans une zone protégée, en pleine période de migration de la daurade royale. Durant son procès, comme le rapporte La Provence, le patron pêcheur pris sur le fait accompli se défend : “Mon grand-père le faisait, mon père le faisait. Ça met du beurre dans les épinards”. 150 kilos de daurades sont retrouvés ce jour-là sur son chalutier. “On est sur des coups de filets à 2,3,4, 7000 euros. Ce n’est pas du beurre dans les épinards, c’est du caviar”, lui rétorque le procureur. Comme neuf fois par le passé, Louis Di Trento, pêcheur depuis 1984, a été condamné pour pêche illégale. Le tribunal a ordonné 5000 euros d’amende, 20 700 euros de préjudice pour les associations et le parc des Calanques et un an d’interdiction d’exercer.
C’est comme si on autorisait un chasseur à parcourir la forêt sur un 4X4 avec une kalachnikov, sauf que c’est en mer.
Sébastien Mabile, avocat du parc des Calanques
Pour Sébastien Mabile, l’avocat du parc des Calanques, le problème du chalutage n’est plus judiciaire. “Cela fait dix fois qu’il se fait condamner. Le parquet condamne, le parc fait son travail de protection et de vigie, le problème est plutôt sur le plan administratif. Cela fait longtemps que l’on aurait dû interdire ce type de pêche. C’est comme si on autorisait un chasseur à parcourir la forêt sur un 4X4 avec une kalachnikov, sauf que c’est en mer. Il y a une volonté du gouvernement de ne pas entrer en conflit avec les pêcheurs”, développe-t-il auprès de Marsactu.
Dans les couloirs de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), on reconnait que les sanctions administratives ne suivent pas toujours. En février dernier, l’Union européenne a pourtant acté une politique de sortie de flotte des chalutiers, d’ici à 2030, avec une prime à la reconversion à la clef. Outre un débat sur la définition précise du chalutage (cette pratique concerne-t-elle uniquement le chalutage dit de fond, ou trainer un filet, même “pélagique”, c’est-à-dire au-dessus du fond en haute mer, est-il considéré comme tel ?), la question de la manne économique que représente cette pêche est mise sur la table.
En théorie, le chalutage est autorisé dans les eaux territoriales françaises, mais depuis plusieurs années, des règlementations réduisent les possibilités. Tout d’abord, la pratique du chalutage est interdite à moins de trois miles des côtes. Des règlementations locales s’ajoutent à cela : dans le parc des Calanques, cette pêche est soumise à autorisation. “À la création du parc, il a clairement été mis en évidence que cette pratique devait progressivement s’arrêter. À l’époque, ils étaient cinq à bénéficier d’une autorisation, aujourd’hui, il n’en reste qu’un”, explique Gaëlle Berthaud, la directrice du parc des Calanques. Il s’agit du Di Trento. Lequel est donc aujourd’hui interdit d’exercice durant un an.
“Il suffit d’un trait de chalut pour que cela détruise tout”
Selon la direction interrégionale de la Méditerranée (Dirm), en tout, cinq chalutiers sont encore en activité dans les Bouches-du-Rhône. Au large de la Camargue, il n’y a pas de parc naturel marin, mais des zones interdite à la pêche au chalut, parfois de manière saisonnière, pour correspondre aux périodes de reproduction. On parle de “box”, lesquels sont mis en place par la commission générale des pêches pour la Méditerranée dans le golfe du Lion. C’est d’ailleurs dans un box – qui est précisément à 12 miles des côtés, entre 90 et 100 mètres de fond *- que le Notre-dame-de-la-Garde a été attrapé. Il ne se situe donc pas au sein du parc régional naturel de Camargue, qui n’est que terrestre, mais ce dernier a bien le souci du chalutage en tête. Si le problème y est beaucoup moins prégnant que du côté de Sète, la zone est fragile. “Il suffit d’un trait de chalut, dans une zone vierge où il n’y a pas eu de chalutage depuis des années pour que cela détruise tout”, développe Christophe Fontfreyde, directeur du parc de Camargue
“C’est une équation à plusieurs entrées”, explique à Marsactu Stéphane Péron, directeur adjoint de la Dirm, qui reconnaît que le chalutage est une “activité très règlementée” parfois difficile à saisir pour les pêcheurs. Mais aussi qu’il peut y avoir une forme tolérance à son égard. Un équilibre délicat entre intérêt écologique et nécessité de “conserver une indépendance alimentaire nationale avec différentes pêches pour répondre à un marché.” “Nous sommes aussi à une période charnière où les chalutiers qui ont 40 ans et tournent au fioul ne peuvent plus continuer comme ça”, ajoute-t-il.
“Les deux derniers chalutiers de Camargue sont sortis de la flotte en 2022”, indique pour sa part Delphine Marobin-Louche, chargée de mission littoral et milieu marin au parc régional de Camargue. Cette dernière a participé, en coopération avec les pêcheurs locaux, à la création d’un cantonnement de pêche, sorte de réserve marine dans le golfe de Beauduc en 2013, aujourd’hui pérenne. Mais cela n’empêche pas les navires venus d’ailleurs d’y braconner. Ceux de Marseille, en tout cas, ne devraient pas s’y retrouver de si tôt.
*précisions apportées le 25/09
Commentaires
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On peut s’interroger sur l’incroyable passivité qui ressemble à de la complicité de la part de la DDTM ou Affaires Maritimes
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Quand je cours sur la Corniche tot le matin, ou nage autour de l’Ilot Gaby je vois presque toujours un bateau de peche mettre ses filets tres proche de la terre, generalement a l’interieure des boues jaunes (puis il attend un peu dehors). Je suppose que ce celui en question?
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“… l’homme de la mer répète ne pas connaître la règlementation” : pas sûr que cette “argumentation” soit une circonstance atténuante. Ce serait même plutôt l’inverse, surtout si les juges estiment qu’on se fout de leur tronche.
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a priori ce sont de multi-récidivistes, et les peines reçus antérieurement ne sont pas dissuasives du tout : ils continuent. les gains doivent être largement supérieurs aux amendes et donc, ça peut se comprendre !
les juges méritent un peu qu’on se fiche de leurs sanctions !
Mais que fait la police ?
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Et la confiscation ça n’existe plus???
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Les sanctions sont très faibles surtout pour des récidivistes. Interdiction pour 5 ans et 30 000 euros d amendes me sembleraient un minimum
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