Partenaire scientifique et financier, l’IRD envisage de lâcher l’IHU de Didier Raoult
L'institut de recherche pour le développement examine les conditions de son désengagement de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection, créé et dirigé par Didier Raoult. La récente double perquisition est le détonateur d'une réflexion plus globale sur ce partenariat scientifique.
Le siège de l'IRD, boulevard de Dunkerque à Marseille. Photo : B.G.
L'enjeu
Après les départs de l'Inserm et du CNRS, l'IRD est le dernier partenaire scientifique historique à siéger au sein du conseil d'administration de l'IHU.
Le contexte
Une enquête préliminaire est ouverte concernant les agissements du précédent PDG de l'IRD et porte notamment le financement de la fondation Méditerranée infection présidée par sa femme.
Le message tient autant du contrefeu que du préavis de divorce. Quelques jours après la double perquisition à Marseille dans les locaux de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et de l’IHU du professeur Didier Raoult, la PDG de l’IRD, Valérie Verdier a publié un communiqué sur cette affaire judiciaire qui éclabousse les deux instituts. Dans cette prise de position datée du 16 juin, elle réaffirme – ô surprise – son intention de collaborer avec la justice.
La conclusion est moins attendue : la patronne de l’IRD annonce engager “une réflexion sur les suites qui pourront être données” aux conventions entre les deux instituts qui arrivent à terme fin 2022. En 2018 déjà, l’IHU avait dû faire face au départ du CNRS et de l’Inserm, deux institutions de la recherche en France, qui avaient quitté avec fracas le conseil d’administration de la fondation. Aujourd’hui, l’IRD est le dernier partenaire scientifique historique à y siéger. Son départ serait donc un camouflet supplémentaire.
En actant ce processus de retrait, la dirigeante entend solder l’héritage de ses deux prédécesseurs – Jean-Paul Moatti, sur lequel se concentre l’enquête judiciaire, et Michel Laurent – à la tête de cet institut, symbole de l’inscription historique de la France dans le champ de la recherche sur le développement.
Le cartel des Marseillais
Issus du même sérail universitaire que le bouillonnant chercheur, les deux PDG marseillais ont accompagné le travail de Didier Raoult et soutenu son projet de fondation dès 2011. Un soutien logique tant les questions sanitaires liées aux infections bactériennes et virales constituent toujours une urgence dans les pays du Sud. Mais un soutien empreint d’opacité : le conseil d’administration de l’IRD n’a été que très partiellement informé de la forme et de la nature du partenariat liant les deux entités, notamment lorsque Jean-Paul Moatti a été nommé.
À partir de 2017, l’IRD a versé 300 000 euros par an à l’IHU, 250 000 au titre de la convention d’hébergement et 50 000 au titre de la participation à la fondation. À cela s’ajoute la participation à un projet de bibliothèque microbiologique (Ihubiotk) pour 300 000 euros.
En arrivant aux manettes de l’IRD, Valérie Verdier a dû faire avec cet héritage encombrant. Parmi les dossiers chauds laissés par son prédécesseur, elle a ainsi trouvé un rapport de l’Agence française anticorruption, à l’origine du signalement au parquet de Marseille qui a débouché sur une enquête préliminaire et les deux perquisitions récentes. Ces derniers faits ont agi comme un accélérateur, la PDG entend désormais donner sa décision “d’ici la fin de l’année”. Elle a fait réaliser une note interne confidentielle pour évaluer juridiquement et financièrement le partenariat avec l’IHU et notamment la convention signée entre Jean-Paul Moatti et son épouse Yolande Obadia, toujours présidente de l’IHU.
“Cette convention court encore en 2021 pour un montant de 296 000 euros, précise Valérie Verdier à Marsactu. Cela correspond à la mise à disposition de 6200 mètres carrés de locaux pour seize agents de l’IRD”. Pour justifier le faible taux d’occupation que le rapprochement de ces deux nombres induit (près de 400 m2 par agent), Valérie Verdier précise qu’il faut “le multiplier par trois en y ajoutant les doctorants et les chercheurs étrangers invités”.
“Toutes les hypothèses sont sur la table”
Même si elle justifie l’engagement financier de l’IRD, pour elle, très clairement, “toutes les hypothèses sont sur la table”. Elle va même plus loin en filant la métaphore matrimoniale : “Avant un divorce, il y a toujours une phase amiable où on discute ? Nous en sommes là.”
“C’est un dossier que je prends très au sérieux en examinant toutes ses composantes, insiste Valérie Verdier. Le coût de l’hébergement, la participation à la fondation pour 50 000 euros par an, le maintien de l’IRD au sein des quatre unités et les moyens humains qui y sont associés”. Enfin et ce n’est pas rien, la PDG souligne qu’elle évalue tout cela “au regard de l’image de l’IRD en ce qu’elle est associée à l’IHU”.
Car les derniers mois n’ont pas été simple à l’intérieur de l’IHU. Le Covid a tout balayé, transformant le vaisseau amiral de Didier Raoult en arme de guerre dans la lutte contre le virus comme dans la tempête médiatique autour de l’hydroxychloroquine. Au plus fort de la pandémie, les chercheurs dont le travail n’était pas directement relié à la pandémie se sont retrouvés marginalisés.
Même si elle ne commente pas directement la polémique, Valérie Verdier laisse traîner des phrases qui ont forcément un écho avec le parfum de scandale qui entoure encore l’IHU. “Il faut être juste dans la manière dont on fait de la science”, formule-t-elle, soulignant l’importance “de la validation par nos pairs”.
Questions d’équité et d’égalité
De la même manière, elle rappelle à dessein, “la nécessité du respect des valeurs comme l’équité ou l’équilibre femme/homme”. Si, il y a quelques mois, elle a été bluffée par sa visite de l’IHU, et notamment par l’excellence du matériel mis à disposition des chercheurs elle a noté le décalage entre “le grand nombre de femmes du Sud dans les équipes de recherche” et le faible nombre de femmes parmi les directeurs. “C’est très inégal”, note-t-elle. De fait, la seule femme installée à un poste de direction au sein de l’IHU est Yolande Obadia, la présidente de la fondation.
Si le désengagement est acté dans les mois qui viennent, il pourrait prendre plusieurs formes. Le partenariat entre l’IRD et l’IHU fonctionne comme un jeu de poupées russes. La poupée la plus grande est la fondation elle-même. Pendant des années et sous l’impulsion de Michel Laurent, l’IRD a apporté de fortes sommes au projet d’infectiopôle, allant jusqu’à 250 000 euros par an durant quatre ans. À l’issue de cette première période, l’IRD a réduit son financement à 50 000 euros par an, opportunément complété par ladite convention, ce qui a, au final, fait bondir la participation de l’IRD de 250 000 à 300 000 euros.
Évaluation en cours pour les unités de recherche
À l’intérieur de cette première poupée, nichent quatre poupées plus petites qui sont les unités mixtes de recherche hébergées par l’IHU sur lesquelles l’IRD exerce sa tutelle avec d’autres organismes de recherche. Deux d’entre elles, Mephi et Vitrome, sont nées de la division d’Urmite, l’unité de recherche historique de Didier Raoult.
Or, l’activité scientifique de ces unités de recherche doit être évaluée dans les mois qui viennent par le Haut conseil à l’évaluation de la recherche et de l’enseignement scientifique (Hcéres) qui procède, par vagues, au contrôle de l’ensemble des institutions de la recherche et d’enseignement en France. Cette évaluation précède l’échéance fixée à fin 2022 du contrat quinquennal passé entre les différents organismes de tutelles de unités.
“L’évaluation du Hcéres est une étape très importante, reprend la PDG. Elle nous permet de discuter de l’opportunité ou pas de reconduire une unité mixte de recherche (UMR). À cet avis, s’ajoute celui du conseil scientifique de l’IRD et la discussion que nous aurons avec les autres tutelles des UMR”. En parallèle, à la demande de son président Éric Berton, Aix-Marseille université a lancé une expertise indépendante sur l’intégrité du travail scientifique de l’IHU en 2020 et 2021. Ce rapport fonctionnera également comme un dispositif d’aide à la décision, le temps venu.
Demande de transparence sur les unités mixtes de recherche
Lors du conseil d’administration de l’IRD, le 25 juin dernier, les quatre syndicats (CFDT, CGT, FSU et FO) ont présenté une déclaration liminaire commune dans laquelle ils exhortent la direction à plus de transparence dans le financement des unités mixtes de recherche, en réaction aux perquisitions conjointes.
La direction de l’Institut doit dès à présent publier en toute transparence le montant des dotations versées aux UMR, frais d’hébergement inclus et ces montants doivent être mis en regard du nombre d’agents IRD présents dans ces unités. Il est d’ailleurs incompréhensible que cela ne soit pas d’ores et déjà la règle.
Dans son rapport confidentiel, l’Agence française anticorruption avait déjà tiqué sur cette opacité entourant les UMR et en particulier celles de l’IHU : “L’absence de convention pour les UMR expose les établissements partenaires à des risques multiples, qu’ils soient scientifiques, juridiques, financiers, voire d’atteinte à la probité, notamment dans la gestion des moyens dédiés à l’unité.” De son côté, l’IHU Infection Méditerranée n’a pas souhaité faire de commentaire sur la relation avec l’IRD.
Commentaires
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Le départ du CNRS et de l’Inserm aurait dû servir de signal d’alarme et provoquer une prise de conscience des dérives qui s’installaient dans le fonctionnement de cet IHU. Aujourd’hui, nous voyons une sorte de groupe sectaire, très éloigné de la démarche scientifique, qui refuse d’admettre ses erreurs et, désormais, propage des fake news – notamment sur l’intérêt de la vaccination contre le covid 19. C’est très grave. J’espère que les évaluations et expertises en cours permettront de trier le bon grain de l’ivraie.
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Politiques et scientifiques communicants ont en commun un gros problème d’ego avec en plus, la transversalité du pognon.
Homme intelligent plus que sûrement,mais qui avec sa batterie de médailles et de distinctions ressemble plus à un général soviétique qu’autre chose.Et puis ce petit jeu de reconnaissance mutuelle entre politiques et scientifiques est tout à fait symptomatique.
Alors à vouloir crier trop fort, a moquer CNRS et INSERM qui sont quand même des références en matière de recherche, et à vouloir leur régler leur compte,il va falloir maintenant régler la note.
A sa retraite il /pourra aller chez RMC aux grandes gueules.
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😂😂😂😂 Cher Brallaisse, rien à ajouter, vous me comblez!
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