Opération transparence sur la cagnotte des députés

Opération transparence sur la cagnotte des députés

Chaque année, le budget de l'État est ponctionné de près de 150 millions d'euros pour alimenter les réserves parlementaires distribuées à chaque élu de l'Assemblée et du Sénat pour financer des projets publics ou des associations. Cette particularité de la République version française, présente les mêmes caractéristiques qu'une autre, l'écrêtement. En l'occurrence une combinaison d'inéquité (la cagnotte étant plus ou moins importante selon l'élu) et d'opacité (impossible de savoir qui donne combien à qui), alimentant des relents de clientélisme officiel.

Si son principe n'est pas remis en cause, le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, a assez rapidement fait adopter de nouvelles règles du jeu : la même enveloppe pour (presque) tous^[1] égale à 130 000 euros et une publication obligatoire. Problème : l'opération transparence n'a pas encore eu lieu et n'est pas encore à l'ordre du jour au Sénat, où seule l'équité a été retenue. Toutefois certains parlementaires ont décidé de sauter le pas immédiatement, relayés par Libération qui "invite leurs homologues de tous bords à les rejoindre" sur la carte interactive créée pour l'occasion.

A la lecture de l'article, une conversation avec François-Michel Lambert nous est revenue en mémoire. Le nouveau député Europe Ecologie-Les Verts de la 10e circonscription des Bouches-du-Rhône y fustigeait "l'opacité totale" qui entourait le montant de la réserve dont disposait son prédécesseur Richard Mallié (UMP), qui s'en servait, selon lui, "pour créer dans l'esprit des gens l'idée qu'il était le bienfaiteur du territoire".

Lambert rejoint Teissier, Charroux promet

Lambert serait-il prêt à jouer le jeu de la transparence, comme son groupe parlementaire s'y est engagé ? Lancé sur Twitter, vendredi, l'appel a été entendu dans le week-end, avec la publication de l'affectation de ses 130 000 euros, ainsi que les cinq axes qu'il entendait favoriser. Le voilà désormais sur la carte de Libé. Il devrait être rapidement rejoint par Guy Teissier, seul député du département – à notre connaissance – à publier régulièrement l'utilisation de sa réserve. Laquelle était très confortable : environ 400 000 euros par an, ancienneté et présidence de la commission de la défense obligent.

Avec ces fonds, il expliquait privilégier le financement des projets d'infrastructures (voirie, espaces verts…) sur son secteur. La nouvelle répartition, qui le fait passer à 110 000 euros, l'oblige à rééquilibrer : 65 000 euros pour l'aménagement du boulevard Canlong (9e) et 45 000 euros répartis entre 32 associations. "Nous ne pouvons pas arrêter les subventions à des associations qui s'appuient sur notre aide pour vivoter", indique son suppléant Lionel Royer-Perreault. Concernant sa publication, il s'amuse que "les socialistes présentent comme une révolution ce qu'il pratique depuis 10 ans. S'agissant d'argent public, c'est simplement normal".

L'exemple de François-Michel Lambert le montre : le renouvellement de juin dans un contexte d'exigence accrue de transparence pourrait changer la donne. Nouveau député de la 13e circonscription, le maire de Martigues Gaby Charroux (Front de gauche) nous assure ainsi qu'il publiera en mai l'utilisation de ses 80 000 euros^[2]. "Un choix a été fait de financer que des projets de collectivités. Un appel courant jusqu'à avril a été lancé auprès des maires", justifie son attaché parlementaire.

Autre nouvel élu à l'Assemblée, Avi Assouly a décidé de se concentrer "sur les acteurs de terrains, le soutien de projets de petites structures. Mettre une goutte d'eau dans un projet d'une collectivité à plusieurs millions d'euros, ça n'aurait pas de sens", justifie-t-on dans son entourage. Au total, 22 associations ont été sélectionnées (66 000 euros pour la culture, 28 000 euros pour l'enfance et l'éducation, 9000 pour le social, 8000 pour la "mémoire", 7000 pour la santé, autant pour l'environnement, 5000 pour les sports). Mais pour le détail complet, le remplaçant de la ministre Carlotti préfère attendre le déblocage définitif des fonds, afin d'éviter des annonces démenties faute d'un dossier complet par exemple. Elu lui aussi en juin 2012, Patrick Mennucci (PS) a livré quelques chiffres lors d'un conseil d'arrondissement (notamment pour des travaux au théâtre Sylvain), mais sans publier la liste complète sur son site.

Peu de militants pour la suppression

Et les autres ? Marsactu avait déjà tenté l'année dernière d'ouvrir la boîte noire, sans trop de succès : nos courriers aux élus étaient pour la plupart restés lettre morte. Michel Vauzelle nous avait fait rappeler, pour souligner la maigreur de son enveloppe – 30 000 euros environ – et donc la nécessité d'un système plus équilibré. Au prix de quelques recherches, il est également possible de récolter quelques informations sur les autres parlementaires, qui pour une maison des associations, qui pour l'acquisition de matériel pour un hôpital, qui pour une association socio-éducative.

Mais, au final, rares sont ceux au niveau national qui défendent sa suppression pure et simple. Localement, seul François-Michel Lambert s'est prononcé "pour son abrogation". Et si la publication complète des réserves des députés pourrait selon nos informations intervenir en septembre, cela ne vaut pas pour les sénateurs. Rien à voir avec le fait que les premiers bénéficiaires – les maires – sont aussi les principaux électeurs des élections sénatoriales.

Bien entendu, Marsactu se fera un plaisir de mettre en ligne le détail de l'utilisation de leur réserve parlementaire par les députés et sénateurs du département quand ceux-ci le rendront public. C'est déjà le cas pour Avi Assouly, dont un collaborateur nous a rappelé après publication et Patrick Mennucci, qui faute de répondre à notre message a dévoilé ses choix dans La Provence puis sur son site.

Actualisation le 15 avril : le sénateur socialiste Roland Povinelli a mis en ligne sur son blog l'utilisation de sa réserve 2013

[1] Sur les 90 millions d'euros alloués à l'Assemblée, 75 millions sont répartis entre les 577 députés, les 15 millions restant serviront – selon le Canard Enchaîné – de bonus aux 3 questeurs, 6 vice-présidents, 12 secrétaires de l'Assemblée et au rapporteur général du budget. Retour à l'article

[2] Les réserves sont attribuées par groupe. Les 10 députés du Front de gauche se sont mis d'accord sur une répartition tenant notamment compte du nombre de communes sur la circonscription. D'où une enveloppe inférieure à 130 000 euros pour Gaby Charroux. Retour à l'article