“Omar et Greg” de François Beaune ou l’histoire vraie de deux déguns de la politique locale

Interview
le 1 Sep 2018
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Dans son nouveau livre, l'écrivain François Beaune met en récit les destins deux enfants de la banlieue française que tout sépare et qui finissent dans une aventure commune au Front national, à Marseille. Deux voix croisées au service d'une inédite écriture du réel.

François Beaune. Photo : Grégory Augendre-Cambon
François Beaune. Photo : Grégory Augendre-Cambon

François Beaune. Photo : Grégory Augendre-Cambon

La dégun sphère. C’est une appellation non officielle, un bon mot de rédaction qui, à Marsactu, désigne de manière informelle tous les francs-tireurs qui tentent d’exister en marge ou au sein des partis et veulent à tout prix faire de la politique une carrière. Omar Djellil et Gregory Gennaro sont de ceux-là. L’un cumule depuis dix ans toutes les étiquettes : associatives, religieuse et politiques. L’autre a tenté de faire carrière au sein du Front national local avant de s’y brûler les ailes. Idéalistes à leur manière, ils se sont frottés au politique, en sont ressortis cramés et accro.

L’un et l’autre sont aussi les personnages du nouvel ouvrage de l’écrivain François Beaune à paraître aux éditions Le Nouvel Attila, le 21 septembre prochain. Sous le titre d’Omar et Greg, il dresse le portrait de deux “enfants de la ZUP”, l’un né à Orgeval, à la périphérie de Reims et l’autre à Vaulx-en-Velin, près de Lyon, qui finiront par se retrouver à Marseille. L’un est anti-fa, chasse les skins et tutoie la délinquance. L’autre “est persécuté à l’école par les Arabes de sa classe au point de finir obèse”. Le hasard de la vie les a soudain rapprochés dans une aventure peu commune au sein du Front national.

En 2011, ils étaient tous deux les acteurs d’un rapprochement inédit entre le leader du Front national, Jean-Marie Le Pen et des pratiquants musulmans d’une mosquée de la Porte d’Aix dont Omar Djellil était le secrétaire général. De cette aventure ratée, les deux hommes ont fait une amitié. Le musulman pratiquant est devenu le pote “à la vie, à la mort” ou presque d’un homosexuel d’extrême-droite qui marie marxisme et préférence national. De ces personnages hors du commun, François Beaune a fait la matière de son nouveau livre, parcelle d’un projet littéraire ambitieux baptisé l’Entresort, le nom d’attraction de foires où l’on entre et sort après avoir vu des “monstres”. François Beaune se veut démonstrateur de ces personnages qui disent, de là où ils sont, le monde tel qu’il est.

Comment la rencontre avec Omar Djellil et Grégory Gennaro est devenue Omar et Greg ?

Cela a commencé avec des entretiens avec Greg. Très vite, comme je le raconte dans le livre, j’ai été intrigué par son histoire de militant du FN, licencié du parti (il était collaborateur au sein du groupe FN à la région, ndlr), en rupture. Je lui ai donc proposé de faire un ou deux entretiens par mois de façon très libre sans thématique imposée. Je ne savais pas du tout si ça allait faire un livre. L’histoire, c’est de la chance. Elle est arrivée au bout de 8 mois d’interview. Cela faisait plusieurs mois qu’on se rencontrait ainsi et c’est lui qui m’a parlé d’Omar. Sans doute qu’à force de parler, lui qui est d’un naturel timide, s’est retrouver un peu à sec d’histoires. Il m’a donc parlé d’Omar et de l’histoire un peu folle qui les a amenés à se rencontrer : la rencontre entre Jean-Marie Le Pen, alors conseiller régional et des musulmans de Marseille, dont Omar. Cette aventure a fini par briser la carrière de Greg qui a quitté le FN après cela.

Nous sommes donc allés boire un thé chez lui, porte d’Aix. Je suis néo-Marseillais. J’y habite depuis 5 ans mais je ne les connaissais ni l’un ni l’autre car je ne suis pas plus que cela l’actualité locale. Et après avoir entendu Greg, plusieurs mois, son parcours au sein du Front national, j’ai découvert le parcours d’Omar, chasseur de skin à Reims, puis militant à SOS Racisme, passé par les frères musulmans à Bordeaux pour finir au FN à Marseille, je tenais là la matière d’un livre. C’est ce qui me touche le plus, c’est comment deux personnages à l’histoire opposée se retrouvent dans cette histoire au FN PACA et ce que cela dit de la société française. C’est aussi l’histoire de deux gamins de la ZUP, de milieu populaire qui cherche leur place dans la société française pour être de bons citoyens et qui finissent par se retrouver au FN.

Un livre où l’auteur s’efface au profit de la parole d’autres… 

J’ai passé huit ou neuf mois à interviewer Greg. Un an avec Omar, seul avec lui ou avec Greg. Parfois Greg tout seul. Des entretiens enregistrés sans questions précises car j’essaie toujours de garder la parole la plus libre possible. Cela veut dire qu’il faut parfois accepter le silence car c’est à ce moment-là qu’il y a des choses qui s’échappent. Mais j’ai été très clair : le sujet ce n’est pas le FN, pas le fondamentalisme ou la militance, le sujet, c’est eux.

Sont-ils aussi auteurs ?

Oui et je mets un point d’honneur à ce qu’ils soient payés pour cela. Ils ont 1% chacun et moi j’en ai 9. Il y a eu plusieurs relectures. Notamment parce qu’Omar voulait vérifier ce qu’il disait sur sa femme, sur sa famille en Algérie. Entre la version envoyée à la presse et celle qui paraîtra le 21 septembre, il y a eu des corrections pour éviter la diffamation. Le but n’est pas de nuire à des personnes qui sont citées sans même le savoir. Je n’ai pas essayé de faire les choses dans leur dos. Ils ont pris des risques et c’est normal qu’ils soient payés pour le temps qu’ils ont passé avec moi.

C’était d’ailleurs aussi le cas pour le personnage dUne vie de Gérard en Occident (Verticales Gallimard). Pourtant, même si le personnage existe et vit en Vendée sous un autre prénom, j’ai mis beaucoup de fiction en le dotant d’une fille lesbienne, joueuse de roller derby, d’un ami écolo qui lui propose d’accueillir un réfugié érythréen, qui sont d’autres rencontres réelles par ailleurs. J’ai tenu là aussi à ce que Gérard ait un pourcentage du prix de vente. Il est un modèle réel au service d’une démarche fictionnelle (Gérard qui s’appelle Bernard appellera pendant l’entretien, ndlr).

Cela pourrait s’apparenter à du journalisme ou de la sociologie. Quelle est la différence ?

Dans une approche sociologique, il y aurait un protocole scientifique précis. Dans le journalisme, il y aurait un sujet, une vérification des faits. Là, il n’y a pas d’enquête. Cela s’apparente à du documentaire, à ce qu’on appelle les écritures du réel. C’est ce que je fais depuis le début mais c’est la première fois que je l’assume comme une œuvre que je compare souvent à la Comédie humaine de Balzac. Je l’appelle l’Entresort du nom de ces baraques de fête foraine où l’on entre et on sort après avoir vu des personnages hors du commun. Je tiens depuis des années un journal de travail qui s’appelle comme cela. En écrivant ce livre, je me suis rendu compte que je partais systématiquement en quête de personnages plus ou moins fictionnels.

Dans L’Ange noir, il s’agit d’un personnage totalement fictionnel. Dans Omar et Greg, c’est le cas contraire. C’est entièrement documentaire au sens où c’est leurs voix que je restitue, en ce qu’elles portent les réalités entendues de la société française. Par cette galerie de portraits, on redonne la parole à des individus au hasard de mes rencontres, on remet de la complexité. Mon rôle à moi, est de faire entrer le lecteur dans l’Entresort, de lui laisser la possibilité de s’extraire du monde et en empathie avec ce personnage, de regarder le monde depuis là où il est en l’entendant parler.

Mais en lisant le livre, le journaliste marseillais que je suis tique forcément, sur ce que le livre laisse dans l’ombre, notamment sur la personnalité d’Omar Djellil. Depuis 2008, il cherche constamment la lumière médiatique soit par la politique, soit par l’associatif, soit par le religieux. Le livre passe un peu vite sur le fait qu’il a été salarié de la mairie de secteur de Patrick Mennucci (PS) avant d’être son pire ennemi. Il a passé beaucoup de temps à dénoncer les uns et les autres devant le procureur. Puis, en 2014, il a soutenu publiquement Jean-Claude Gaudin quelques mois avant d’intégrer le Samu social, un service municipal. Ce jeu de clientélisme politique éclaire le personnage…

Le livre est son portrait, et celui de Greg. Il a vocation a être un outil. Il peut être la base d’une réflexion commune aux sociologues, journalistes ou historiens. Mais je ne peux pas mettre de notes, de méta-texte, cela serait ma réflexion sur ce qu’ils sont et pas leurs voix propres. Forcément, il y a des choses qui ne sont pas racontées dans le livre mais je n’ai pas vocation à être complet. À sa façon, le livre éclaire des zones d’ombre. Omar dit qu’il est un être contradictoire, qu’il se cherche. Quand tu parles de toi-même, tu maintiens des choses cachées. Mais ils sont assez critiques sur eux-mêmes.

Dans Un homme louche, mon personnage construit une théorie du louche qui est celle d’une sous-réalité. Dans l’idée d’Entresort, il y a l’idée de la marge, comme le personnage qui revient du marché et passe derrière les étals, dans un passage étroit, à l’écart du monde. Comme quand ses propres parents, qui sont confinés dans leur propres rôles de parents, deviennent un homme et une femme par le témoignage d’un ami, par exemple. Tiens, ma mère est une femme, elle a aimé d’autres hommes que mon père et sa couleur préférée est le rouge. Cela remet en scène l’individu dans une nouvelle complexité.

Dans l’Entresort, il y a l’idée de monstruosité. L’écrivain devient alors celui qui montre. Le monstre, c’est ici le FN ?

Dans cette idée de monstruosité, il y a aussi un certain déni, face au FN. D’ailleurs, les amis de gauche ou d’extrême-gauche qui ont lu le livre, sont gênés. Avant de parler du FN, il faut commencer à dire que c’est le mal, que c’est des racistes, des barbares, avant peut-être d’essayer de comprendre quelque chose. Là, ce n’est pas ça. Je ne donne pas mon point de vue, je suis là au service de ce qu’ils ont à dire et cela peut être gênant. On a tellement l’habitude d’entendre des discours de prévention que cela semble empêcher d’être en compréhension des choses.

Il faut repartir du réel et essayer d’entendre ce que les gens ont à dire si l’on veut une société qui incluent tout le monde. Dans ma famille, j’entendais bicot, crouille mais le racisme n’était pas politisé, il était maintenu dans la sphère privée. Tu disais pas cela devant une assemblée. Aujourd’hui, le racisme est devenu une solution politique là où avant, c’était la lutte des classes. Au final, au-delà des croyances ou des idéologies qu’ils revendiquent, l’un et l’autre se définissent comme le petit peuple de France, victimes d’injustice.


Omar et Greg paraît le 21 septembre aux éditions Le Nouvel Attila. L’auteur sera à la librairie Maupetit le 29 septembre.

Extrait choisi par l’éditeur :

Omar : 

Je  suis  à  Bordeaux  depuis  pas  mal  d’années,  installé  chez  mes  grands-parents,  et  un  jour  par hasard  je  me  mets  à  fouiller  dans  les  papiers  de  mon  grand-père.  En  fait  je  consulte  un  dossier pour  sa  retraite,  et  je  tombe  sur  un  classeur,  avec  ses  cartes  militaires,  ses  citations,  ses  médailles de  l’armée  française,  celle  du  courage,  de  la  bravoure.

Tu  imagines  ça,  le  tabou ?!  Pour  moi  ça  a été  un  choc  thermique!  J’étais  pas  dans  cette  optique-là. Même  après  l’épisode  dans  l’armée,  je me  sentais  pas  français,  j’étais  pro-algérien,  un  jeune  beur attaché  à  son  pays  qu’il  connaissait même  pas.  Et  d’un  coup  je  dois  me  faire  à  l’idée  que  je  suis d’une  famille  en  partie  de  rapatriés. Pas  des  harkis,  attention,  nuance,  ni  même  des  supplétifs.  Mais des  soldats  de  l’armée  française, depuis  bien  avant  la  Guerre  de  libération,  engagés  pour  la France dès  la  Première  Guerre mondiale.  Mon  grand-père  a  été  grand  invalide  de  guerre.  Puis  ses  quatre frères  et  lui  ont  fait Monte  Cassino,  la  campagne  d’Italie,  la  libération  de  la  Provence,  de  la  Corse, puis  après l’Indochine.

Difficile à gérer. Je comprenais pas tout. Mais c’est peut-être là que j’ai compris que j’étais vraiment français.

Greg : 

Au début de mon engagement au FN, la question de l’islam n’était pas importante. Le problème était migratoire, on parlait d’immigration en général, et de l’Arabe d’Afrique du Nord en particulier. On ne stigmatisait pas la religion autant que maintenant. Le basculement a lieu avec le 11 septembre 2001 et l’idéologie néo-conservatrice, qui part des États-Unis et va déferler sur l’Europe. Le choc des civilisations, l’Afghanistan. On parle d’une menace islamiste. C’est là qu’au sein du Front les Identitaires prennent toute leur place.

Omar et Greg, pages 53-54 et 110

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