Olympique de Marseille, petits meurtres entre amis

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le 10 Juin 2011
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Lui qui ne voulait pas être un « président à l’africaine ou à la libanaise » , a été « dégagé » comme un dictateur tunisien. Son flair d’ancien journaliste lui avait bien fait sentir comme une odeur de jasmin ces derniers jours autour de son bureau à la Commanderie, mais il était encore raisonnablement confiant hier matin lors de la pose de la première pierre du futur Vélodrome. Pendant ce pince-fesse mondain du rond-point du Prado, Jean-Claude Gaudin l’avait même publiquement félicité pour son travail à la tête de l’OM, histoire de le rassurer.

Gaudin et Bouygues soutiennent Dassier

On le sait Gaudin déteste les journaleux. Mais un ancien patron de TF1 et de LCI, qui n’a jamais caché être un grand sarkophile, et dont le fils est l’actionnaire d’Atlantico, le site internet « libéral », ce n’est pas la même chose que ceux qui ont « les cheveux longs et les ongles sales« . Forcément le courant est bien passé entre les deux Jean-Claude. Malheureusement pour son ami Dassier, cela fait longtemps qu’on ne demande plus son avis au maire de Marseille pour ce genre de choses, et qu’il apprend le plus souvent les changements de management à l’OM en lisant la Provence. Son coup de pouce public est devenu une oraison funèbre.

Mais il n’y avait pas que Gaudin qui n’était pas dans le secret. La plupart des membres du conseil de surveillance, sondés discrètement ces derniers jours par Dassier, se voulaient également rassurants. Ils l’avaient bien prévenu que Margarita Louis-Dreyfus, l’actionnaire, allait sans doute manifester sa mauvaise humeur face aux mauvais résultats financiers, par l’entremise de Vincent Labrun – président du conseil de surveillance en titre, ex porte-parole de RLD, et aujourd’hui le Mazarin de Margarita – mais aucun débarquement n’était à craindre.

L’avocat Régis Rebuffat, homme de Muselier à l’OM, et Pierre Dantin, ex-secrétaire général du club et prof de management du sport à l’université de Provence – les « Marseillais » du conseil de surveillance – mais également le maire de Corbeil-Essonne Jean-Pierre Bechter, porte-serviette et homme de paille de Serge Dassault, lui aussi au board du club, tous avaient rassuré Jean-Claude. Don’t stress. Jusqu’à Martin Bouygues, ancien actionnaire de Dassier quand il était le patron de LCI, et qui lui aussi était présent hier matin sur la pelouse du Vélodrome pour poser la première pierre de son chantier à 264 millions d’euros, et qui s’est fendu de son petit hommage appuyé et public à son ancien employé.

Mais Margarita et Vincent Labrune avaient parfaitement préparé le débarquement de leur président du directoire. Surprise totale. Ils connaissent trop bien Marseille pour savoir que si ils avaient mis qui que ce soit dans la confidence, l’info serait venue très rapidement aux oreilles de Dassier qui aurait pu préparer sa défense. Et Gaudin a dû s’agiter ce matin dans les médias pour essayer de faire croire qu’il était dans le coup : « Jean-Claude Gaudin a eu la primeur des informations concernant les changements à la tête de l’OM« , écrivait sans rire le quotidien de l’avenue Salengro ce matin. Pendant que le sénateur-maire remerciait sur Europe 1 celle qu’il appelle drôlement Margarita Robert Louis-Dreyfus, et Vincent Labrune d’avoir eu « la délicatesse de l’informer, de le tenir au courant ». Eh,eh.

Au revoir Président

La messe a donc été dite hier après-midi pour Jean-Claude Dassier. Effet de surprise passé, personne ne le regrettera vraiment à Marseille. Si il a gagné des titres, c’est parce qu’il a eu la chance de s’asseoir dans le fauteuil de président au bon moment. Héritant du travail de Pape Diouf son prédécesseur, et de « DD la gagne ». La chance du débutant comme on dit à la pêche. Même lui n’y croyait pas vraiment.

Il avait pourtant fait l’effort de se mettre dans la peau d’un président de club de foot :  énorme Audi Q7 blanche avec chauffeur – garde du corps et vitres fumées, maison sur la Corniche, bouillabaisse chez Michel, jouant les durs pendant les conférences de presse face à ses anciens confrères… tout ça sentait quand même bien l’erreur de casting. Et au bout l’accident industriel. Pour Labrune et MLD la musette (Vuitton) était pleine. Fâcherie avec Deschamps, l’entraineur providentiel, gestion médiatique épouvantable de l’épisode Brandao, et un exercice 2010 largement déficitaire. Au revoir Président.

https://dailymotion.com/video/xj7em5

Antoine Veyrat, le frère de l’héritier naturel de RLD également débarqué

Il savait en arrivant que les fins de président de l’OM sont généralement tragiques. Marseille est toujours grecque. On ne meurt pas dans son lit à la Commanderie. Et on est (très bien) payé pour ça (dans les 70/80 k€ par mois, sans les primes et les avantages en nature pour ceux qui voudraient envoyer un CV). Ca fait partie du job. C’est pour ça aussi qu’on se permet de tirer sur l’ambulance, surtout quand c’est une berline allemande. Pas la peine de sortir les mouchoirs.

En revanche, MLD et son Mazarin ont également profité de ce conseil de surveillance pour se débarrasser d’Antoine Veyrat, le directeur général de l’OM. Un départ également très brutal, et qui lui, cache vraisemblablement des enjeux bien plus importans que des problèmes de gouvernance d’un club de foot, fut-il l’OM. Car Antoine Veyrat, que MLD a congédié comme une bonne suisse, n’est pas n’importe qui. C’est le petit frère de Jacques Veyrat, celui dont RLD avait fait son « héritier spirituel ». Petit come back.

Alors qu’il se savait très gravement malade et vraisemblablement condamné, RLD a consacré les dernières années de sa vie a prendre le contrôle total de son groupe familial, afin de pouvoir le transmettre à ses 3 enfants. Le groupe Louis-Dreyfus est une multinationale de plus de 30 milliards de chiffre d’affaires, présente dans plus de 50 pays, avec 10 000 collaborateurs et spécialisée dans le négoce, l’immobilier et l’énergie . Elle est détenue par RLD à 59% et à 41% par les autres actionnaires familiaux, cousins de RLD, tous héritiers de Léopold Louis-Dreyfus, le fondateur, qui créa le groupe à la fin du XIXe siècle.

Avant sa mort, RLD s’était engagé à racheter les 41% de ses cousins en 2012. Si la date de cession avait été décidée, en revanche le prix de vente de ces 41% doit être fixée par un expert, en 2012. Un rachat qui de toute façon doit se monter à quelques milliards d’euros
. Pour mener à bien cette opération, RLD avait donc décidé d’ en confier le manche à son plus fidéle collaborateur, Jacques Veyrat. Un quadra polytechnicien, qui lui a fait gagner un peu plus d’1 milliard d’euros en lui faisant investir dans les télécoms. Au début des années 2000, en pleine explosion de la bulle internet, Veyrat et RLD ont racheté à la casse des opérateurs télécoms et internet pour créer 9 télécom qu’ils ont, après l’avoir côté en bourse, très, très bien revendu à SFR. Du panache, de la créativité, du courage et du non conformisme. RLD s’est reconnu dans cet entrepreneur, qui a presque 20 ans de moins que lui. Surtout au moment où la vie s’en va.

Jacques Veyrat en guerre avec Margarita

Jacques Veyrat va donc devenir à la mort de RLD à la fois président de la holding qui couvre l’ensemble des filiales du groupe mais également un des « protecteurs » de Akira, une fondation basée au Liechtenstein et où sont logés les 59% du groupe dont ont hérité les 3 enfants de RLD. Cette fondation est dirigée, jusqu’à ce que les héritiers RLD atteignent tous leur majorité par des « protecteurs », ou trustees en anglais, qui forment une sorte de « régence ».

A côté de Jacques Veyrat, siège un autre proche de RLD, le banquier star de Lazard Eric Maris (aujourd’hui associé de Jean-Marie Messier dans sa banque d’affaire). Le pouvoir est là. Pendant que Jacques Veyrat fait tourner la multinationale, avec une efficacité reconnue, il réfléchit avec Maris à la façon de trouver les quelques milliards pour pouvoir payer en 2012 les 41% des parts des autres actionnaires familiaux, selon la volonté de RLD.

Et c’est à partir de ce moment là que les relations avec Margarita vont se dégrader. Elle qui ne s’est jamais intéressée ni de près, ni de loin aux affaires de son mari, commence à poser des questions. Avec ses pantalons léopards, ses manteaux en cuir rouge et ses petits chiens, elle fait un peu ovni dans les salles lambrissées où se tiennent les boards et autres executive comitees du groupe Louis-Dreyfus. Personne ne la calcule vraiment. Veyrat et Margarita s’opposent sur la façon de racheter les 41% des cousins. Lui est pour une entrée en bourse du groupe, elle préférerait vendre quelques filiales pour remonter du cash. Les actionnaires familiaux sont plutôt aussi pour la bourse. Ils pensent que leur participation sera mieux valorisée.

Mais Margarita, en tant qu’actionnaire majoritaire a peur d’être diluée, voire d’être écartée par Veyrat qui est devenu un actionnaire du groupe, en ayant investit les quelques 100 millions d’euros gagnés lors de la vente de 9 Télcoms à SFR. La paranoïa gagne. Ca devient Dallas. Mais à la Suisse. Trés violent mais très feutré. Les P38 ont des silencieux. Les « trustees » partent les uns après les autres. Maris s’en va, remplacé par Antoine Frérot le DG de Véolia, qui part aussi quelques mois plus tard, officiellement quand Henri Proglio, le meilleur ami de Michel Vauzelle, quitte Véolia pour EDF et que Frérot devient PDG du géant mondial de l’environnement. Un autre banquier, très proche de la famille, David de Rotschild est également bien vite écarté par Margarita.

Margarita 1 Veyrat 0

Et puis elle arrive enfin à faire partir Jacques Veyrat d’abord de la fondation Akira, considérant que son rôle de « trustee », c’est à dire de représentant de l’actionnaire est incompatible avec celui de dirigeant opérationnel du groupe. Dans un premier temps, Veyrat doit choisir entre trustee d’Akira et chairman de Louis-Dreyfus SAS. Puis Margarita lui fait choisir entre la porte et la porte. En avril dernier, Veyrat rend les armes, et annonce dans une interview aux Echos d’anthologie, en duo avec MLD qu’il va quitter le groupe. Mais pas tout de suite : « nous nous sommes mis d’accord , de façon non précise puisqu’aucune date n’est arrêtée, sur le fait que je vais quitter le groupe dans quelques mois », déclare Jacques Veyrat, sans doute plein d’amertume, dans cette interview du 5 avril.

Officiellement pour « régler des opérations en cours« . En réalité pour dénouer sa participation dans le groupe, et se mettre d’accord avec MLD sur un prix de rachat de ses actions. Compte-tenu des très bons résultats du groupe ces deux dernières années, on évoque une somme autour de 300 millions d’euros. Un peu cher le pot de départ pour Margarita. La négo serait donc devenue extrêmement tendue.

D’où l’humiliation d’hier après-midi avec le renvoi d’Antoine, le petit frère que Jacques avait placé à l’OM, histoire d’éviter que Dassier ne fasse n’importe quoi. Un job de DG de l’OM qu’Antoine accomplissait avec rigueur et sérieux, de l’avis de tous ceux qui l’ont croisé. Un type bien et sympa en plus. Une rareté dans cet univers. Ca ne méritait pas le coup de poignard d’hier. Pas grave pour Dassier, il s’en remettra, il en a vu d’autres. Sûrement beaucoup plus dur pour Antoine Veyrat.

Un message en tout cas directement adressé à Jacques Veyrat. Il faut qu’il parte, maintenant et vite. Une triste fin entre la veuve de RLD et le fils spirituel. Et derrière tout ça beaucoup voient la main de l’ambitieux Vincent Labrune. Personne ne croit une seconde qu’il est là juste pour l’OM. Pas le genre à aller se fader les associations de supporters, les déjeuners chez Michel avec les élus locaux, et les afters au bar du Sofitel avec la presse locale. Il se murmure dans les couloirs feutrés du groupe Louis-Dreyfus qu’il pourrait viser haut, beaucoup plus haut. Cet ancien homme de communication et producteur télé n’a pas vraiment le profil pour diriger un groupe de 30 milliards de CA. Mais il a la confiance absolue de Margarita. Et ça, ça vaut beaucoup. « A nous deux Paris » comme disait Eugène de Rastignac.

https://dailymotion.com/video/xj7vhb

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Commentaires

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  1. Casanovette Casanovette

    … “cadavres exquis” …

    Article plus que fouillé ! Bravo Pierre !

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  2. pieeb pieeb

    tres bon article

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  3. druide67 druide67

    C’est beau le sport.

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  4. ribellu ribellu

    ….Pour une fois ces guerres de couloirs à l’Olympique de Marseille viennent de l’extérieur de la ville et son microcosme….Elles ne sont pas moins dangereuses!!!!!

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  5. Tapi Tapi

    O…H…! M…erde!

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  6. pmo pmo

    Bouillabaisse marseillaise traditionnelle aves tous les ingrédients de la recette….résultat succulent !!!! J’en reprendrai bien une seconde assiette….serait-ce possible ?

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  7. Marius Marius

    Le rugby est nettement moins pourri que le foot. Pas exemplaire, certes, mais moins pourri.
    Pourvu que ça dure …

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  8. Chris Chris

    Gaudin “refuse de s’immiscer”.

    ‘Chose que Tapie n’a pas compris à l’époque : à Mars le Vélodrome rassemble, là où la politique divise…

    Par contre ici, à Marsactu, vous semblez l’avoir bien capté : pas un mot sur le “joyeux noël les ploucs” d’il y a une semaine, avec Gaudin qui congratule Guerini pour avoir craché au bassinet …’l’entendre pour le croire…

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