“Observer la terre depuis la mer” pour comprendre comment notre monde change
Depuis dix ans, l'Observatoire photographique du littoral tente de capturer les évolutions du trait de côte de la région grâce à une approche originale, et peu connue. Aujourd'hui, les auteurs de ce projet financé par les pouvoirs publics veulent relancer la machine, et permettre au plus grand nombre de s'emparer de cet outil autant technique que démocratique.
Photographie de Jean Belvisi issue de l'Observatoire du littoral. Marseille, Corniche du Président Kennedy, Le Roucas Blanc, Port du Prophète.
Il était caché dans un placard, comme un trésor oublié. C’est en tout cas ce que considèrent les membres de l’association Maltae. Ce trésor n’est pas fait d’or et de diamants, mais de matière grise. Il n’est pas marqué d’une croix rouge sur une carte vieillie par le temps, mais se trouve, beaucoup plus basiquement, en ligne depuis dix ans. Enfin, il ne porte pas un doux nom sorti d’un roman d’aventure, mais se dissimule sous un acronyme à coucher dehors. L’OPPLVM, pour Observatoire photographique du paysage littoral vu depuis la mer, a pourtant une valeur immuable dans le temps. Voire grandissante. Pour ses auteurs, il est temps de le déterrer, de lui faire prendre la lumière et de le rendre à son propriétaire premier : le grand public.
Regarder la terre depuis la mer et constater son évolution dans le temps, voilà l’objectif principal de cet observatoire régional, qui couvre quatre départements littoraux, dont les Bouches-du-Rhône. Concrètement, il s’agit d’un site né d’une commande de l’État et qui recense des centaines de photographies documentant des points sur 1000 kilomètres de trait de côte à différentes périodes. À ces photographies, artistiques, s’ajoutent des fiches techniques de ces zones réalisées par des architectes urbanistes.
Odile Jacquemin fait partie de ces architectes et est également la fondatrice de l’association Maltae. Avec son confrère Jean-Louis Pacitto et le photographe Jean Belvisi, elle se rendra à Marseille jeudi 26 septembre et invite les Marseillais à monter dans la navette RTM qui rallie le Vieux-Port à l’Estaque pour un “cabotage de mise en situation d’observation de la terre depuis la mer”. L’équipe de l’Observatoire photographique du littoral se rendra ensuite à l’Institut méditerranéen de la ville et des territoires pour rappeler à ses étudiants et professeurs l’existence d’un tel outil, qu’ils considèrent essentiel pour l’avenir de l’aménagement du littoral.
Enfin, une projection-débat ouverte à tous se tiendra au sein de l’école sur le thème de la “richesse et de la diversité des paysages littoraux, de la Camargue à l’Italie, y compris îles et mer intérieure de Berre, et de l’observation de l’évolution du trait de côte sur dix ans”. Entre réflexions techniques et intérêt public, Odile Jacquemin revient sur l’intérêt de cet outil, qui vaut son pesant d’or pour qui chérit les bords de mer.
L’OPPLVM, voilà un acronyme qui fait un peu peur. De prime abord, on a envie de vous demander : c’est quoi ce truc ?
Au début, nous étions comme vous. Cet acronyme nous faisait peur, alors nous lui avons donné un surnom : l’OPP amers. Les amers sont ces points de repères pour les marins, qui leur permettent de s’orienter grâce à ce qu’ils voient de la côte. Il découle en fait d’une commande d’État lancée dans les années 1990 pour réaliser des observatoires photographiques de paysages. L’idée était de fournir des données qui permettent de voir les mutations du territoire sur le très long terme. Sauf que pour cet observatoire, l’originalité, c’est que nous avons regardé la terre depuis la mer.
Depuis les années 2000, l’association Maltea travaillait justement sur le paysage littoral, avec cette méthode d’inverser le regard. Ce qui nous anime, c’est d’emmener les gens à regarder autrement, mais aussi faire en sorte qu’il n’y ait pas que des sachants et des apprenants, que tout le monde travaille l’intelligence collective, la créativité locale. Cette démarche est la base de l’Observatoire photographique du littoral.
Concrètement, comment a été confectionné cet outil ?
Au départ, des points devaient être sélectionnés. En tout, il devait y en avoir 150. Dans les années 2014-2015, il y a eu une vaste concertation publique avec beaucoup d’acteurs du littoral qui connaissent le terrain pour choisir ces points. Après un comité de sélection, le photographe a eu pour mission de faire des reconductions photographiques. Depuis dix ans, il y a donc quatre photos pour chaque site, toute prises du même point de vue, choisi par le photographe.
Dans la commande de l’OPP, il a aussi l’aspect artistique, qui est autant présent que l’aspect scientifique. Le photographe va donc faire son propre parcours photographique. Son œil compte autant que les débats de tous les acteurs sur les sites à enjeux.
Sur quels critères ont été sélectionnés ces points précisément ?
Il y avait dix thèmes sur lesquels des enjeux se sont dégagés. Il fallait être représentatif. Les thèmes étaient par exemple : le génie civil, l’urbanisation, l’agriculture, le patrimoine, le tourisme, l’érosion côtière, le changement climatique, la pollution.
Mais nous devions garder l’idée que la première fonction de cet observatoire était de montrer la diversité, la richesse des paysages littoraux, comme ils ne sont jamais vus par le quidam. La projection qui aura lieu jeudi soir vise justement à montrer, à ceux qui n’ont jamais pris un bateau, comment regarder autrement cette diversité, depuis la mer.
Nous devions également bien répartir les points parmi les départements, et que toutes les communes littorales soient représentées.
Quel est le but premier de la manifestation de jeudi prochain ?
Cet outil est formidable, c’est un outil d’appropriation des problématiques de l’aménagement du littoral pour les citoyens, mais il était complètement méconnu. Il y a bien le site, mais il ne permet pas de saisir tous les tenants et les aboutissants. Nous avons donc toqué à la porte du commanditaire, les services de l’État, pour leur dire qu’il faudrait en parler, communiquer et le valoriser.
Mais aussi valoriser le fait que l’observatoire, ce n’est pas que de la photographie, mais qu’il y a derrière chaque site un diagnostic (exemple ici pour le port de La Ciotat). Sauf que ce diagnostic a été établi il y a dix ans, et qu’il n’est plus forcément vrai aujourd’hui. Le changement climatique, l’érosion, la végétation… tout change. Et tout cela, il faut le remettre en chantier. D’où l’intérêt de présenter aussi cet outil dans une école (l’Institut méditerranéen de la ville et des territoires), qui rassemble en fait trois écoles, du paysage, d’urbanisme et d’architecture.
Le 26 septembre, vous allez donc observer la partie ouest de la ville, entre le Vieux-port et l’Estaque. Vous évoquerez alors les enjeux qui concernent cette partie de Marseille — la question de la privatisation du littoral par le grand port maritime devrait en faire partie —, mais que peut-on dire sur la partie est ?
Prenons par exemple le point qui concerne l’Huveaune. Ces photos alertent sur la question des estuaires. Sur le département, il y en a une dizaine. Il s’agit d’un sujet brûlant. Quand il y a des inondations ou des submersions, c’est souvent là que ça se passe du fait des grosses pluies, des nouveaux phénomènes météo extrêmes climatiques. Mais c’est aussi là qu’il y a des aménagements très artificiels qui canalisent les rivières. Aujourd’hui, on sait qu’on ne le ferait plus comme cela, mais qu’on opterait plutôt pour des aménagements doux.
Il est aussi important de ne pas regarder uniquement les modifications avec les reconductions passées, mais il faut aussi essayer d’amener, avec la culture du cabotage, la culture de la prospective, de l’anticipation. Cet outil est monté pour être utilisé sur un temps long, il doit obliger à se projeter.
Par exemple, sur le point juste avant le Pharo, les premières photos montrent un vrai patrimoine, une histoire de chantier naval à Marseille. Maintenant que ce chantier a disparu, il y a un vrai enjeu de renouvellement urbain avec un important foncier. Comme dans la partie ouest avec les 150 hectares de friche industrielle du côté de l’Estaque qui doivent être dépolluées.
Pourquoi l’aspect artistique des photographies a son importance pour observer et se questionner sur de tels enjeux ?
On peut avoir une très belle photo, repérée pour son esthétique, sa composition, sa lumière, et en même temps la considérer comme une porte d’entrée pour expliquer une problématique littorale, un défi comme celui de la pollution, de la montée des eaux, de l’aménagement des estuaires. Nous sommes convaincus de l’intérêt que ces commandes soient artistiques.
Vous différenciez l’observateur et le scrutateur, expliquez-nous.
De plus en plus, les gens veulent lancer des observatoires, créer de la donnée. C’est également un parti pris pour nous. Mais notre méthodologie de diagnostic de territoire, au sein de Maltea, repose sur le citoyen, qui est un acteur et un producteur du lieu où il vit. L’habitant doit s’approprier ce que l’on considère comme complexe et que l’on a tendance à laisser aux mains des experts. Il faut rendre les habitants observateurs, pour qu’ils aient droit au chapitre.
Pour ce qui est du scrutateur, je voulais faire référence au roman d’anticipation de Jules Verne Paris au XXe siècle, qui a été écrit au XIXe. Lorsque Véronique Bedin le publie, dans les années 2000, elle écrit une introduction dans laquelle elle décrit Jules Verne comme quelqu’un qui prête une attention tellement fine au présent qu’il parvient à lui faire révéler les possibles. Une fois que l’on arrive à mettre les gens en posture d’observateur, il faut aller au-delà et les mettre ensuite en situation de scruter de manière active pour pouvoir prendre part à l’évolution des choses, et aménager leur futur.
Jeudi 26 septembre – Marseille, à l’IMVT (Institut Méditerranéen des villes et des Territoires)
Valorisation et réévaluation de l’observatoire photographique du paysage littoral vu depuis la mer (OPPLVM) en Provence Alpes Côte d’Azur
Poursuite, dans les Bouches du Rhône, de la valorisation et réévaluation de l’observatoire photographique du paysage littoral vu depuis la mer de PACA engagée dans le Var, accueillie au Jardin des Méditerranées du Rayol Canadel le 1er juillet. TROIS TEMPS :
· le matin, Cabotage entre Vieux-Port et Estaque. Rvs 10h30 à l’embarcadère de la RTM sous l’ombrière du Vieux Port – 35 minutes de mise en situation d’observation de la terre depuis la mer 5 € aller 10 € aller-retour
· Après-midi, à partir de 14h, Atelier à l’attention des étudiants et enseignants de l IMVT inscription gratuite mais obligatoire auprès de maltae2@gmail.com
· 19h Projection-débat « Regarder la terre depuis la mer » : Présentation de l’outil OPPLVM, de la richesse et de la diversité des paysages littoraux de la Camargue à l’Italie, 1000 km de côtes, y compris îles et mer intérieure de Berre, et de l’observation de l’évolution du trait de côte sur dix ans. inscription gratuite mais obligatoire auprès du service communication de l’ IMVT
Commentaires
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C’est une excellente initiative ; faire un pas de côté pour observer une situation donnée ou son évolution est toujours pertinent.
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Il existe de nombreux observatoires du paysage en région
https://objectif-paysages.developpement-durable.gouv.fr/les-observatoires-photographiques-du-paysage-21
Pour les métropolitains je vous invite à prendre connaissance de celui réalisé sur liminaire du GR2013 pendant 10 ans qui rend visible l’invisible.
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Tout à fait. Je me permets de rajouter un lien utile (qui en contient d’autres) pour celles et ceux qui souhaitent découvrir l’OPPGR2013 https://www.geoffroymathieu.com/Paysages-Usages-OPPGR2013
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Quelle bonne idée de s’intéresser à ce sujet et de valoriser cet OPP “amers”. Merci @Marsactu et @Violette (et merci à “Pointue” de m’avoir rappelé que j’avais cet article dans ma liste de “à lire” 🤓).
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