Samedi, la Nuit debout passe le test des quartiers Nord
Fort de trois semaines de mobilisation, le mouvement de contestation et de débat décliné à Marseille tente de se faire rassembleur. Première tentative majeure, une délocalisation du cours Julien vers la cité des Flamants (14e arrondissement) est prévue ce samedi 23 avril. Des collectifs d'habitants se préparent à accueillir l'événement, non sans quelques réserves.
Samedi, la Nuit debout passe le test des quartiers Nord
Le cours Julien est leur repaire. Depuis le 31 mars, des citoyens militants ou non se réunissent en petite ou grande assemblée sur la place piétonne du 6e arrondissement pour discuter. De la loi Travail tant contestée, d’abord, puis de beaucoup d’autres choses, quasiment tous les soirs, hormis un passage par les Réformés (1er arrondissement). Comme dans beaucoup d’autres villes de France, le mouvement Nuit debout veut fédérer, au plus large, en passant outre les frontières géographiques ou sociales. Et pour cela leur prochaine assemblée générale se tiendra dans la cité des Flamants (14e), bien plus au Nord. Le pari est risqué : les militants du centre-ville feront-ils le déplacement ? Et quel accueil feront les riverains à ces révolutionnaires noctambules ?
Ce mercredi soir, sur le parvis du Vieux-Port, ils sont trois à distribuer des tracts pour annoncer l’événement, optimistes et enjoués. Une petite sono sur laquelle est accrochée l’affiche du film Merci Patron crache du Keny Arkana. Les passants jettent des coups d’œil, certains s’arrêtent pour converser un peu. “Les gens sont étonnés que ce soit aux Flamants, ils se disent que ça doit pas être un truc de bobos”, se réjouit Nicolas, 21 ans, un habitué des Nuits debout. Étudiant en alternance, il a aussi un petit boulot pour compléter ses revenus. Pour lui ce développement géographique ouvre de nouvelles perspectives : “Quand les cités se mettent à faire du bruit, c’est là que ça peut bouger. On a besoin d’eux”.
“Passerelles” pour la “convergence des luttes”
À quelques mètres de là, Moungui Rouaiguia attend avec impatience de voir deux mondes se rencontrer, les contestataires du centre et ceux des quartiers, “pour enfin faire voir qu’il n’y a qu’une société”. Participant régulier des assemblées du cours Julien, il est aussi porte-parole local du CRI, la coordination contre le racisme et l’islamophobie, organisme militant et plutôt radical dans ses revendications. “Entièrement confiant” quand à la réussite de la Nuit debout aux Flamants, il a “bon espoir que les passerelles pour la convergence des luttes soient mises en place une bonne fois pour toutes. Tous les SOS qu’on a lancés, on a l’impression qu’ils vont pouvoir être entendus”.
Le plus loquace de ce mouvement sans chef, porte-parole, ou nom de famille, Gérald, s’assure qu’il reste assez de tracts avant de repartir vers un nouveau rendez-vous militant. Depuis le 7 avril, cet enseignant est en contact avec un collectif d’habitants des quartiers Nord, les “Pas sans nous” principalement, pour préparer l’événement. “Ils m’ont contacté par le biais de l’association Un centre-ville pour tous, pour voir comment on pouvait travailler ensemble, explique-t-il. Les premières choses qu’ils nous ont dit ça a été “La loi El Khomri c’est pas notre problème”, mais on s’est retrouvés à parler précarité au travail, manipulation politique… des thématiques qu’on aborde tous les soirs”. Il espère assister ce 23 avril à ce qui se passe depuis le 31 mars sur le cours Julien : voir la parole “se libérer”.
“Il n’y aura qu’une assemblée et ce sera là-bas”
D’après lui, des Nuits debout spontanées ont déjà eu lieu dans les quartiers Nord. “Des gens sont descendus dans la rue, ils ont mis un panneau “Nuit debout” et ont discuté. En faire partout c’est le but. Les gens ont assez de trajets comme ça dans leur journée, on ne va pas leur dire qu’il faut venir dans le centre pour participer”. Pourtant, ce samedi, il espère voir venir aux Flamants les participants du centre, car ce soir là “il n’y aura qu’une assemblée et ce sera là-bas”. Pourquoi les Flamants ? C’est de là que sont venus les premiers contacts, puis la cité offre l’espace suffisant, un grand mur pour projeter une fois de plus Merci Patron et puis “avec le chantier de la L2, c’est un lieu emblématique de ce que vivent les quartiers à Marseille !”, justifie rapidement Gérald.
Mais la préparation n’a pas été aussi facile que le furent les premières intentions. “J’ai suffisamment d’ancienneté à Marseille pour savoir qu’il faut préparer un tel événement en amont si on veut que ça réussisse”. Plusieurs rencontres, des “mini-réunions de crises” et un nombre incalculable de coups de fil ont été nécessaires pour parvenir à une feuille de route plutôt fragile. L’agora publique typique de la Nuit debout commencera à 18 heures, puis à 21 heures projection du film, accompagné de thé à la menthe et à la bergamote, précise le tract.
“Les quartiers, cela fait trente ans qu’ils sont debout”
“On va le faire, oui, mais à notre manière !” prévient Fatima Mostefaoui, porte-parole de la coordination “Pas sans nous” dont l’assemblée générale se tiendra en début de journée samedi, avant l’arrivée des “nuitdeboutistes”. Si elle fait partie de ceux qui ont pris l’initiative, beaucoup d’acteurs associatifs du secteur ont eu pour premier réflexe la méfiance, arguant que sans les habitants, on n’imposerait rien ici.
“Oui il y a un accueil de cette Nuit debout, nous apportons un support technique, mais l’ambition n’est pas démesurée”, précise de son côté Catherine Binon, qui co-anime avec Rachida Tir l’Alliance savinoise, membre des Pas sans nous. Elle ajoute : “Prendre le thé, discuter, c’est quelque chose que l’on fait souvent. Les quartiers cela fait trente ans qu’ils sont debout”. Gérald le raconte lui-même, la première chose qu’ont demandé les collectifs d’habitants, c’est qu’on ne vienne pas leur donner de leçons de lutte : “Ils m’ont dit nous, la précarité, le chômage, les violences policières, on connaît depuis très longtemps”.
Et Fatima Mostefaoui de développer ces arguments : “Pour le moment, on voudrait que Nuit debout reconnaisse les combats qu’on mène depuis trente ans. La parole, ici elle est déjà libérée, mais personne ne l’entend. Nous on ne découvre pas le chômage aujourd’hui. On attend de leur part de l’humilité. Celui qui vient pour pouvoir dire qu’il est venu, ou qui vient juste par curiosité, qu’il reste chez lui”.
Serait-ce plutôt une confrontation qui se prépare ? “Non, mais c’est plutôt, “Bienvenus dans le monde réel”, tranche-t-elle, en ajoutant que pour autant elle n’est “pas du tout inquiète” quant au déroulé de cette nuit debout qui, “ne se finira pas à 3h du matin, parce qu’il y a des habitants qui travaillent”.
Commentaires
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Lisa Castelly, j’ai bien aimé votre approche toute en finesse et comme Annie, je suis curieux d’une nouvelle analyse de votre part si vous êtes allée sur place.
Pour ma part, je n’ai pas d’analyse aboutie. J’ai conscience que ceux qui parlent forment une minorité très réduite de militants et je voudrais pouvoir cerner l’isolat culturel à partir duquel ils s’expriment. Nous avons chacun le nôtre, plus ou moins étendu et ces isolats culturels ne communiquent pas facilement entre eux. Peut-être même pas les « Nuit debout » avec ceux qui dans les cités ne sont pas couchés aux mêmes heures ?
La Provence a déjà fait une relation de cette soirée. Il n’y a que 4 commentaires. Je cite le dernier de Mastre, qui fait ressortir un clivage assez courant à gauche : « Caractéristique des mouvements d’extrême gauche, et constitué de gens qui cherchent à se mettre en place, combattre et parler de racisme et d’islamophobie est bien vu dans certains milieux, au lieu de parler vraiment social et emploi, ou ça coince grave… Une dérive pour moi qui a fait que je ne supporte plus ces discours soi disant de gauche… »
http://www.laprovence.com/article/societe/3903376/la-nuit-debout-au-devant-des-cites-de-marseille.html
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Merci JL41 ! “C’est délicat comme questions” me disait un de mes interlocuteurs au sujet de la mobilisation dans les quartiers. La méfiance était grande, mais la soirée a bien eu lieu et tous les compte-rendus ne sont pas négatifs, certains y voient l’embryon d’un possible futur. Mais assurément, si quelque chose aboutit, cela demandera du temps et beaucoup de tact de chaque côté.
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Le Monde relate de façon assez distancée ce non évènement marseillais, qui apparaît comme une tentative de récupération assez maladroite du « malaise des quartiers », pour en reprendre cette qualification mineure. Samy Johsua, l’élu FDG du secteur était dans le même radeau : http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/04/24/a-marseille-la-nuit-debout-se-heurte-a-la-realite-des-quartiers-nord_4907725_3224.html
« Tout au long de la semaine, le dialogue avec les associations et les personnalités des quartiers nord qui ont accepté de collaborer s’est ponctué d’incompréhensions, de maladresses. La diffusion du film emblématique du mouvement, Merci patron !, a été abandonnée au dernier moment. « Pour converger, il faut un sens, souffle Fatima Mostefaoui. Tu ne vas pas passer Merci patron ! à des gens qui, en majorité, n’ont pas de travail. »
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Bonjour à tous,
Elodie vous prépare un petit best-of des papiers parus chez nos confrères.
https://marsactu.fr/bref/bobos-de-nuit-debout-aux-flamants-vus-presse/
De mon côté, ma curiosité m’a poussé à me rendre aux Flamants samedi soir, non pas pour un reportage classique, mais plutôt pour écouter, comprendre ce qu’il se passe et me poser la question que vous posez JL : événement ou non-événement ?
Longtemps, la soirée s’est résumée au contraste relaté par Lisa dans ce papier, à cette organisation balbutiante, à cette maladresse immense qui a prévalu à l’organisation de la soirée. Dit autrement, le curieux du centre-ville que j’étais attendait qu’il se passe quelque chose, qu’une étincelle vienne bousculer les positions des uns et des autres. L’affluence maigre, la quasi absence d’habitants ne m’incitaient guère à y croire
Finalement, cette étincelle est venue en deux temps. En vingt minutes, deux femmes ont permis à la soirée de basculer. La première, une militante Nuit debout venue du Cours Julien a parlé de la fracture de la ville contre laquelle elle ne s’était pour l’heure pas levé, de sa faible connaissance des combats et des acteurs des quartiers populaires. Sans culpabilité mais avec une forme de sincérité, presque de mise à nu qui clamait ” voilà d’où je parle”. Venir “pour apprendre à se connaître, pour converger”, une posture humble qui tranchait avec les combats du départ centrés autour de la figure épouvantail du bobo et de la précarité comparée entre un habitant du centre-ville et un résident d’une cité.
La seconde femme est une figure bien connue, Rachida Tir, la présidente de l’Alliance savinoise. A 21 h 30 passées, la Nuit debout montrait qu’elle aussi pouvait s’assoupir, chacun y étant allé de ses interventions sur la loi Travail, le statut des intermittents, les conditions de rétention au CRA de Marseille et la situation des sans-papiers… Rachida Tir a voulu vérifier que la convergence pouvait se faire en chansons, non pas les habituels chants de lutte mais des titres du répertoire populaire (quoiqu’un membre de la Nuit debout soit venu rappeler avec l’accent que “si j’avais un marteau” est bien – en anglais – un chant militant). “Ça, ce sont vos chansons”, disait-elle après avoir fait reprendre en cœur “Aux champs-elysées” ou “Siffler sur la colline”.
Est-ce l’ambiance enfin apaisée, le formalisme de la Nuit debout (gestes codifiés, tours de parole, etc.) émoussé par trois heures de causeries, la pénombre qui avait gagné l’esplanade qui jouxte le centre social fraichement inauguré ? La parole s’est faite plus libre. Mourad s’est avancé vers le micro : “Dans nos quartiers, il faut tout reprendre à zéro, depuis la maternelle. Et d’ici vingt ou trente ans, on n’entendra peut-être plus les kalachnikovs”, a-t-il expliqué, visiblement ému.
Ces discours-là, moins formatés, ont alors commencé à émerger à l’heure où certains avaient déjà sauté dans l’ultime bus susceptible de les ramener vers le centre-ville. Alors seulement, la promesse de se revoir a paru bien plus sincère. Les “Nuitdeboutistes” ont incité les gens du cru à créer leur propre rassemblement, comme les Madrilènes indignés avant eux, qui avaient démultiplié leur Puerta del sol en assemblées de quartier.
L’histoire ne dit pas si la flamme prendra, si les occupants du Cours Julien réussiront un jour à projeter leur Merci patron – retoqué samedi soir – sur les murs des Flamants et si les militantes et les habitants du quartier se sentiront concernés par son propos. Elle ne raconte pas non plus si les tracts concoctés à la va-vite et appelant “les bénévoles compétents à s’engager trois heures par semaine pendant un an” dans des activités dans les quartiers ont suscité des vocations. Mais les “bienvenue” finalement lancés ont paru eux aussi bien plus sincères que ceux de convenance lancés par Fatima Mostefaoui en préambule après un long monologue marqué par la défiance : “Vous venez libérer notre parole ? Mais notre parole est libre.”
Voilà pour mon ressenti, assez proche je crois, du papier de Libération à ce propos https://t.co/SUeNPhIhkQ.
(Les citations de ce post, certifiées conformes par mes soins, sont empruntées à Libé et au Monde)
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“… à l’heure où certains avaient déjà sauté dans l’ultime bus susceptible de les ramener vers le centre-ville.” Un bout de phrase qui dit, mieux qu’un long discours, cette “fracture” de la ville que certains nient : la relégation n’est pas qu’un sentiment.
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merci à tous pour ces infos.
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Merci Jean-Marie et Lisa pour la délicatesse de votre approche et le respect de l’expression de ces différents courants ou de ces différentes personnes. Il faut commencer par là, mais il faut aussi, ensuite, remettre en perspective. Pour ma part je reste dubitatif. Déjà que le mouvement des lycées et collèges était comme précédemment assez «égoïste», sans connaître beaucoup la loi Travail (mais on faisait confiance à la CGT) et le monde du travail. Pas de comparaison possible avec Mai 68. La parole vient de différents isolats culturels, la question est de savoir ce qu’elle est capable chaque fois d’embrasser. Certains discours militants sont archi-ressassés.
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