Neuf ans d’aide aux migrants à Aix : “On est à la limite de ce qu’un collectif peut faire”

Actualité
le 24 Jan 2024
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Né en 2015, le collectif Agir est le regroupement d'une trentaine d'associations qui accompagnent les demandeurs d'asile dans le pays d'Aix. Dans un ouvrage paru en fin d'année dernière, ses bénévoles tirent les leçons de cette expérience et en interrogent les limites.

Dans les locaux du Collectif agir à Aix-en-Provence en janvier 2024. (Photo : ML)
Dans les locaux du Collectif agir à Aix-en-Provence en janvier 2024. (Photo : ML)

Dans les locaux du Collectif agir à Aix-en-Provence en janvier 2024. (Photo : ML)

Depuis sa création en 2015, l’association Collectif agir a aidé, et aide encore, plus de 500 demandeurs d’asile sur le territoire du pays d’Aix. Tous sont passés par les locaux exigus de l’association dans le quartier d’Encagnane à Aix-en-Provence. Au-delà d’être une porte d’entrée pour les migrants dans leur parcours sur le territoire, l’institution se veut un lieu de socialisation. “Ça ne désemplit jamais, lance un des bénévoles en faisant visiter les lieux. De temps en temps, on a même du mal à trouver un espace.” Dans une salle, à gauche, un des adhérents donne des conseils administratifs à une famille sur la procédure pour obtenir le statut de réfugié pendant que leurs enfants jouent dans la garderie aménagée. Dans la pièce à droite se tient un des cours de français avec sur les murs des créations artistiques ou des photos faites durant les divers ateliers qui sont organisés.

Le collectif regroupe aujourd’hui près d’une trentaine d’associations partenaires et 200 adhérents actifs répartis entre les pôles santé, travail, hébergement et accompagnement. “On a la prétention de dire qu’on est parmi les très rares associations qui accueillent des migrants à faire quelque chose d’aussi général dans la prise en charge”, avance le président, Patrice Cartier. Sans manquer de rappeler que, légalement, c’est l’État, par le biais de l’office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui devrait prendre en charge l’accompagnent des demandeurs d’asiles, aussi bien d’un point de vue financier que quotidien, par exemple pour proposer un logement. Mais dans les faits, ce n’est pas le cas. “À Marseille, ils n’en hébergent qu’environ la moitié, estime Patrice Cartier. Il y a une partie de ceux-là qui entendent parler de nous et viennent à Aix.”

Un “livre de recettes” pour l’accueil et l’intégration

Après plusieurs années d’existence, l’association a souhaité poser par écrit un témoignage de son travail. Le livre L’hospitalité au cœur d’une aventure en terre aixoise : un collectif accueille des migrants est sorti fin 2023 aux éditions l’Harmattan. Cet ouvrage a été écrit par des membres actifs du collectif : Christiane Batteau, Jean-Paul Herman, Brigitte Hess, et Geneviève Lemaignan-Maquet. “L’idée, c’était de ne pas laisser se perdre l’expérience qu’on a vécue, explique ainsi Jean-Paul Herman, un des auteurs et bénévoles. Au départ, c’était quelque chose pour nous, mais on a réalisé que cela pouvait aussi être un « livre de recettes » pour ceux qui voulaient se lancer ainsi qu’un témoignage politique pour montrer qu’il y a une autre option pour les migrants qui est celle de l’accueil et l’intégration.”

Jean-Paul Herman, bénévole du Collectif agir à Aix-en-Provence et co-auteur de leur livre témoignage. (Photo : ML)

Dans cet ouvrage, le collectif Agir interroge aussi son avenir et parle des difficultés qu’il rencontre. “Ce n’est pas tout beau : on n’a pas résolu tous les problèmes de l’immigration, reconnaît ainsi le président de l’association. On a aussi posé toutes les questions qui n’ont pas encore trouvé de réponse”. “Notre plus gros problème est que les bénévoles sont majoritairement des retraités. Le recrutement de nouvelles personnes plus jeunes est un enjeu pour nous, résume Jean-Paul Herman. Et, est-ce qu’on peut recevoir plus de gens ? On est à la limite de ce qu’un collectif peut faire. Alors, qu’est-ce qu’on représente ? Pour les gens qu’on accompagne tout, mais pour le reste, on est une goutte d’eau. Est-ce qu’on a les moyens d’être plus ?”

Coauteur du livre, il fait partie du collectif depuis 2016. Lui aussi retraité, il tient à souligner : “le fait que dans une ville comme Aix, qui a une réputation bourgeoise, des centaines de personnes se soient structurées naturellement. Aix cache toute cette activité civique et citoyenne très importante. Ce n’est pas que la ville des Joissains”.

Des liens qui perdurent

Thierno* est arrivée à Aix-en-Provence en septembre 2023 de Guinée. Il s’est d’abord orienté vers la Croix-Rouge où un des éducateurs l’a mis en contact avec l’association. “La famille est très gentille”, tient à rassurer le jeune homme. Depuis, Thierno* a gravi la Sainte-Victoire, visité l’atelier Cézanne et le musée Granet, a participé à des ateliers vélo et découvert de nombreux villages du territoire, comme Venelles. “La dernière fois, on a regardé comment s’inscrire à la fac de droit sur l’ordinateur”, raconte le Guinéen, qui se projette à Aix-en-Provence en attendant que sa procédure accélérée de demande d’asile aboutisse.

Nous, même déboutés de leur procédure, on ne laisse personne à la rue.

Patrice Cartier

Mais une fois que les demandeurs d’asile ont réussi à obtenir leur statut, le parcours ne s’arrête pas. “On essaye de les aider après qu’ils aient obtenu leur statut, même juste trois mois, glisse Jean-Paul Herman. Certains, on est encore en lien avec eux un an après. Quand vous êtes référent, vous êtes référent toute la vie.” C’est le cas notamment pour Hicran. La jeune femme, originaire de Turquie et arrivée en France en 2021, a obtenu le statut de réfugiée en mai 2023. Pourtant, elle vient encore régulièrement dans les locaux du quartier d’Encagnane pour échanger avec les bénévoles et loge toujours chez sa référente, qu’elle qualifie même aujourd’hui d’amie. “Les centres d’accueil ont des règles plus strictes que nous, abonde Patrice Cartier. Nous, même déboutés de leur procédure, on ne laisse personne à la rue.” Même s’ils tiennent à le rappeler : “On n’a pas de solution toute prête.”

“Éminemment politique”

Le collectif élargit également son action vers la sensibilisation du grand public aux problématiques rencontrées par les demandeurs d’asile. Cela passe par des actions auprès des plus jeunes, avec par exemple des ateliers dans les écoles, pour offrir “une autre lecture de l’immigration que ce qu’ils reçoivent à la télévision”, explique l’organisme. “Notre activité est éminemment politique”, souligne Jean-Paul Herman.

La nouvelle loi immigration, portée par le ministre de l’Intérieur Gérard Darmanin et votée par le Parlement en décembre 2023, inquiète particulièrement l’association. “On est actifs, on organise des manifestations sur le cours Mirabeau, des minutes de silence sur la Rotonde, et on travaille sur quoi faire en commun, développe Patrice Cartier. Mais on n’a pas les moyens de faire un lobbying national. Alors, il faut qu’on dure car la situation ne va pas s’arranger”.

L’hospitalité au cœur d’une aventure en terre aixoise : Un collectif accueille des migrants de Christiane Batteau, Jean-Paul Herman, Brigitte Hess, Geneviève Lemaignan-Maquet, Patrice Cartier est paru aux éditions l’Harmattan.

*Le prénom a été modifié.

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Commentaires

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  1. kukulkan kukulkan

    merci pour cet article et bravo à tous ces citoyens engagés !

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