“Le banditisme marseillais devient un archétype du film de gangster”
À l'occasion de la sortie de la série de Netflix "Marseille", la chercheuse en histoire de l'art Katharina Bellan revient sur l'image de la ville au cinéma, son sujet d'étude. Entretien.
© David Koskas/Netflix
Katharina Bellan, vous êtes historienne du cinéma, spécialiste de l’image de Marseille. Vous venez notamment de proposer au Vidéodrome une série de rencontres “Marseille filmée, formes et histoires”. Alors que la série Marseille de Netflix sort ce jeudi, comment peut-on interpréter le choix de la plateforme de vidéo à la demande de choisir la ville ?
Katharina Bellan : Netflix vient ici parce que Marseille est cinégénique, la lumière, la mer, le site. Depuis, longtemps, elle attire des réalisateurs venus d’ailleurs. C’est peut-être aussi car Marseille a depuis la trilogie de Pagnol une notoriété internationale. Pagnol a rendu cette ville célèbre : Marius est un des premiers films parlants du cinéma français, synchronisé d’emblée en trois langues. Pagnol a inventé une langue, des personnages qui deviendront des archétypes et fabriqué un mythe. Il a créé son Marseille. Les films de la trilogie sont presque entièrement tournés en studio, ils montrent la ville de façon minimale, elle correspond à celle des commerçants, des petits bourgeois alors qu’il y a à l’époque une réalité prolétarienne qu’ils ne montrent pas.
En quoi cela représente-t-il Marseille au cinéma ?
Il y a eu au moins deux façons de filmer Marseille : le panorama ou le labyrinthe. Entourée de collines, Marseille se prête à la carte postale. Dans la série Marseille comme dans le film de Kad Merad du même nom, la ville est filmée d’en haut. Elle devient un personnage figé. Mais on peut aussi la filmer autrement, dans ses ruelles. C’est le cas, dès le début de son histoire cinématographique, dans les années 1920-30 avec des cinéastes d’avant-garde. Louis Delluc avec Fièvre fait se dérouler l’action dans un bar à matelots. Coeur fidèle de Jean Espstein filme aussi la ville prolétarienne avec une innovation visuelle qui marque l’histoire du cinéma. Plus tard, Paul Carpita (Le rendez-vous des quais, Marseille sans soleil,) René Allio (La vieille dame indigne, Retour à Marseille, L’heure exquise) ou Robert Guédiguian vont poursuivre dans cette veine.
Netflix insiste beaucoup sur le triptyque : violence, politiques véreux, clientélisme, des thématiques accrochées à l’histoire contemporaine de la ville.
Dans l’image de Marseille, il y a un film important qui date de 1934 de Maurice Tourneur, Justin de Marseille. On est alors en pleine période d’influence de Simon Sabiani, le premier adjoint au maire, à l’heure de gloire des bandits Paul Carbone et François Spirito dont Sabiani est très proche. Tourneur va peindre une bande de mafieux au grand cœur, inspiré des deux malfrats. Le scénariste Carlo Rim va demander à Paul Carbone son autorisation pour décrire le milieu marseillais, mais il sait que son histoire va lui plaire. Dans le film, inspiré par le livre d’Albert Londres Marseille porte du sud, il invente un stratagème complexe pour transporter la drogue mais, Carbone en rigole et lui dit : “Nous, on fait ça plus simplement par la poste !” Justin de Marseille va connaître un succès incroyable et devenir une sorte de Scarface à la française. On retrouve les personnages de Carbone et Spirito dans les Borsalino de Jacques Deray. L’aspect sombre de Marseille, la grande ville cosmopolite qui corrompt, est un trait régulier. Le banditisme marseillais devient un archétype du genre cinématographique du film de gangster.
Malgré cette thématique, la municipalité soutient la série et en assume même la promotion. Quel rapport ont entretenu les politiques avec les films sur Marseille ?
Le pouvoir n’a pas toujours applaudi des deux mains quand le cinéma s’emparait de l’image de la ville. En 1980, René Allio sort Retour à Marseille, le film montre l’immigration, la jeunesse et la délinquance. À l’époque, Allio est en train de créer à Font-blanche le Centre méditerranéen de création cinématographique avec le soutien de la région. Gaston Defferre sort furieux de la projection, parce que le film montre une image sombre de la ville. Allio va ajouter un carton au début du film pour dire que ça se passe à Marseillle mais que ça pourrait se passer ailleurs… Aujourd’hui, la série Marseillle montre Marseille liftée, avec le Mucem et le nouveau stade Vélodrome. Ça passe non sans douleur, mais pour Jean-Claude Gaudin, c’est une sacrée carte de visite qui montre la nouvelle image de la ville. Et puis la machine est tellement grosse qu’il peut difficilement y résister.
Une question a beaucoup animé les critiques : celle de l’accent plus ou moins tenu de Benoît Magimel, qui campe un premier adjoint ambitieux dans la série. En quoi cette question est-elle importante ?
J’en reviens à la trilogie car elle invente une langue. Pagnol demande à Pierre Fresnay (Marius) de prendre l’accent alors que c’est un acteur parisien, membre de la Comédie-française. Fresnay travaille et ça va donner un très bel accent. À l’inverse, Jean Renoir, quand il tourne Toni (1935) demande à Charles Blavette de jouer Toni, un Italien alors qu’il est Marseillais. Mais cet accent est une identité presque fabriquée alors qu’à Marseille, ville cosmopolite, il y a de multiples identités et donc de multiples accents. Gaudin a l’accent mais Defferre n’en avait pas,Michel Pezet n’en a pas non plus. Chez Netflix, il faut qu’ils aient Pagnol et/ou Gaudin en tête pour que la question se pose. Et s’ils se la posent, c’est parce qu’ils ne sont pas sûrs de leurs idées sur cette ville.
Finalement, est-ce que Marseille et sa caricature aisée ne sont pas un terrain facile pour cinéastes en mal d’inspiration ?
C’est peut être encore lié à Pagnol, il est aisé de réduire la ville à une forme archétypale qui devient un cliché, du folklore. Marseille s’offre comme une carte postale riche en panoramas mais quand on la regarde de plus près, on trouve une grande complexité et des ruelles sales qui sentent la pisse. Mais on peut filmer Marseille autrement. Ça suppose de dépasser les clichés fabriqués par certains films de genre et de production industrielle. Ça passe notamment par une attention à trois processus historiques caractéristiques de la ville : l’immigration, la décolonisation et la désindustrialisation. C’est le cas aujourd’hui des films de Guédiguian (même s’il est dans une certaine nostalgie) mais aussi de Claire Denis (Nénette et Boni, 1997) ou Kamel Saleh et Akhénaton (Comme un aimant, 2000) par exemple.
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Qui cherche le banditisme marseillais ? il est partout de la mairie aux conseils généraux régionaux , dans les rues et quartiers avec leur mafia locales …. il suffit de se promener sur l’envers du décor de façade .
Quels médias oseront se pencher sur le sujet hors généralités et pagnolades ? personne, c’est l’omerta ?
C’est parait il le prix à payer pour la paix sociale .
Se connecter pour écrire un commentaire.
Merci pour ce bel articl,e rétrospectif et mettant en perspective. Il est bel et bon que la sortie d’un navet télévisé, qui semble, pour une fois, être oscarcisé comme navet par bon nombre de critiques, soit ainsi l’occasion de rappeler le travail généreux et perspicace réalisé pour et sur leur ville par Paul Carpita, René Allio et Guédiguian, mais aussi le regard bien lucide de la très regrettée Claire Denis…Si quelque chose ressemblait à des cinémas art et essai sur la 2è ville de france (!!!), il y aurait déjà là de quoi faire… (Ne nous plaignons pas, on a quand même Marsactu pour le dire!).
Se connecter pour écrire un commentaire.
@corsairevert: La Marseillaise s’est penché en son temps sur le revers de la médaille et je vous conseille de lire l’excellent “la fabrique du monstre” de Philippe Pujol, journaliste qui a reçu le Prix Albert Londres pour ses investigations marseillaises en 2014 parues justement dans La Marseillaise. Son bouquin est sorti il y a 3 mois et est tout à fait d’actualité…
Se connecter pour écrire un commentaire.
Encore un très bon article qui sort de tout ce qu’on a lu à l’occasion de la sortie de la série, bravo !
Se connecter pour écrire un commentaire.