[Mythes et mythos] Quand l’histoire revisite la légende de Gyptis et Protis
Le mythe fondateur de la cité phocéenne, la rencontre entre le grec Protis et la celte Gyptis, est nimbé de mystère depuis des siècles. Symboliquement localisé sur les rives du Lacydon, le lieu de l'union est contesté par l'archéologue et historien du site de Saint-Blaise, Jean Chausserie-Laprée. Il propose, par une approche scientifique et matérialiste, de faire la lumière sur l'origine de la légende.
Le site archéologique de Saint-Blaise sur la commune de Saint-Mitre-les-Remparts. Photo : Jean Chausserie-Laprée.
la série
Il y a les mythes fondateurs qui offrent une légende à un territoire. Il y a de jolies histoires qui offrent du folklore mais tiennent du mensonge. Inventaire d'été des grands mythes et total mytho.
Inlassablement piétinée par marseillais et touristes, la plaque trône fièrement sur les abords du Vieux-Port depuis qu’elle a été posée en 1952 par le maire Gaston Defferre. Ancrée dans le sol du Lacydon, elle commémore l’arrivée légendaire du phocéen Protis, futur époux Gyptis, membre de la peuplade celte des Ségobriges, et fondateur de Massalia en 600 avant notre ère. Bien plus qu’une légende, il s’agit là du mythe fondateur de celle qui se revendique comme la plus ancienne ville de France, scellant la rencontre entre les civilisations celtes et grecques.
Une proposition inédite
Invoqué à l’occasion de la célébration des 25e et 26e centenaires de la fondation de la cité phocéenne, le mythe de Gyptis et Protis bénéficie d’une aura rarement remise en question. S’il est avant tout présent dans l’imaginaire collectif, et les discours politiques sur le métissage de la ville dès son origine, il est aussi présenté au musée d’histoire de Marseille. Dûment présenté comme un “mythe” et une “légende”, il ouvre la première séquence du musée, et l’exposition temporaire du moment zoome sur le volet particulier de la coupe offerte par Gyptis.
Si le récit a réussi à se faufiler jusqu’au musée, c’est qu’il se base sur des siècles de mystères. Depuis 500 ans, historiens et archéologues se confondent en conjectures et fouilles dans l’espoir de débusquer le lieu de noce. En vain. Craignant de voir Massalia poussée hors de son piédestal mythique, la plupart des chercheurs se sont donc longtemps enfermés dans les limbes confortables du mythe.
Se pose alors une sempiternelle question, l’archéologie peut-elle s’attaquer aux mythes ? Lorsque l’histoire se frotte aux légendes, jusqu’où peut-elle aller ? La frontière entre mythe et mytho, si ténue, pourrait néanmoins bientôt se briser. C’est en tout cas le souhait de l’archéologue et protohistorien Jean Chausserie-Laprée. Ancien directeur du service archéologique de la Ville de Martigues jusqu’en 2017, il dédie désormais son temps à la fouille et à la mise en valeur du site de Saint-Blaise. Niché entre les étangs salés de Citis et Lavalduc, à deux pas de Saint-Mitre-les-Remparts et Fos-sur-mer, la vue s’étend jusqu’à l’embouchure du Rhône. Il faut imaginer sur les vestiges rocailleux une citadelle juchée sur un promontoire, cernée par des remparts de 8 mètres de haut, ornés de stèles et de merlons.
Longtemps conquis à l’hypothèse d’une rencontre marseillaise, Jean Chausserie-Laprée a revu sa copie et formule depuis près d’un an une proposition inédite quant à l’origine du mythe. Couvre-chef vissé sur le crâne, il arpente les ruines et explique avec ferveur : “Je suis le premier à voir sur ce site la capitale des Ségobriges, terre de Nannos et de sa fille Gyptis. Bien plus qu’une capitale, Saint-Blaise est indéniablement le lieu de la rencontre entre les celtes et les phocéens.”
Il n’y a pas un jour où je me suis dit “eurêka j’ai trouvé”, c’est un cheminement intellectuel.
Jean Chausserie-Laprée
Connu depuis la Révolution française, l’histoire contemporaine du site commence sous les coups de pioche de l’archéologue Henri Rolland. Quand en 1935 il met au jour les vestiges aux allures celtes mais enserrés par un lourd et prestigieux rempart de type grec, le chercheur n’imagine pas un seul instant être au cœur de la puissante capitale Ségobrige. S’il démontre une occupation du site remontant au 7e voire au 8e siècle avant J.C., soit plus d’un siècle avant le débarquement phocéen, il se place dans le sillon de Camille Julian, sommité de l’archéologie du 20e siècle et fervent partisan de l’origine marseillaise du mythe. Le fouilleur attribue alors pour longtemps le site à une ville hellénisée, sous la coupe des Phocéens. Jean Chausserie-Laprée y voit plusieurs raisons :
“Les historiens de l’époque avaient une vision colonialiste de l’histoire, teintée d’un chauvinisme marseillais, influençant leur interprétation. Il faut comprendre que c’est le début de l’histoire de France qui se joue-là. Camille Julian, qui n’a pas hésité à caviarder les textes antiques pour appuyer sa théorie, a ordonné à ses équipes de trouver coûte que coûte le lieu de la rencontre à Marseille.”
Saint-Blaise, capitale des Ségobriges
C’est dans les années 1980, à l’occasion d’un programme dédié à l’étude de la protohistoire provençale, que les recherches sont relancées. Le jeune archéologue se plonge alors sans le savoir sur les traces du mythe. Depuis convaincu de la présence celte, il précise que, “99 % des objets retrouvés à Saint-Blaise sont de facture gauloise, mêlés à de rares fragments grecs des 6e et 5e siècles, signes extérieurs d’échanges et de richesse. A Marseille cependant, plus de 95 % des poteries sont typiques de la civilisation grecque et sont toutes postérieurs à la fondation de la ville.”
Pour asseoir sa démonstration, l’historien revient sans cesse aux textes d’Aristote, de Plutarque et Justin qui font mention du mythe. “Il n’y a pas un jour où je me suis dit “eurêka j’ai trouvé”, c’est un cheminement intellectuel. Après plusieurs fouilles avec ma collègue Marie Valenciano, je suis retourné voir le texte de Justin. Quand il mentionne l’arrivée, ce qui m’a troublé, c’est qu’il précise que le contact a été fait à l’embouchure du Rhône, que l’on voit parfaitement d’ici, à 5 km” explique-t-il, adossé aux remparts grecs. Ayant écarté de longue date tous les autres lieux potentiels, il n’en démord pas : la rencontre a eu lieu sur les rives du Rhône. Il reçoit même le soutien de certains de ses confrères, comme Michel Py et Michel Bats, directeurs de recherche au CNRS.
Cette découverte n’est pas une réécriture de l’histoire.
Jean Chausserie-Laprée, archéologue
Cependant, la proposition étayée du chercheur ne fait pas que des heureux. “On me rétorque souvent qu’on ne trouve pas le lieu où est née une légende. Ce qui n’empêche pas les chercheurs marseillais d’inventer des histoires à dormir debout sur une rencontre marseillaise”. Cette découverte est pour lui sans conteste “la découverte de [sa] vie”. Pour la défendre, il oppose à ses détracteurs, “cette découverte n’est pas la fin d’un mythe ni une réécriture de l’histoire. Elle la complexifie, la rend plus intéressante et ça donne aux Marseillais une aura plus grande.” Il voit l’histoire comme une matière vivante, en constante évolution. Il n’émet toutefois que peu de réserves à ce qu’il estime être “l’ultime proposition” quant à l’origine du mythe.
Vers un nouveau paradigme historique
Sans nier l’importance de la civilisation phocéenne et le rayonnement de Marseille à travers le temps, il propose d’inverser le paradigme historique. La querelle autour du mythe dépasse de loin le simple enjeu de la localisation de la rencontre. Elle a trait aux dynamiques même de l’urbanisation et du développement de la Provence :
“À partir de cette focalisation marseillaise du mythe, les historiens font partir les mouvements d’urbanisation de Marseille. Or, je ne nie pas les apports grecs, mais on a systématiquement minoré l’importance des celtes. Ils ont joué un rôle fondamental dans la fondation des villes. La naissance des rues par exemple, on la retrouve très tôt dans les plans urbains de ville gauloise des alentours de Saint-Blaise.”
À l’aune de ces découvertes, l’archéologue pense son projet de mise en valeur du site “en totale cohérence avec la métropole actuelle, sur laquelle régnaient phocéens et gaulois”. Métropole qui a d’ailleurs prévue d’investir 2 millions d’euros dans la rénovation de l’espace et la construction d’un pavillon d’accueil pour le public. Grâce à ces investissements, Jean Chausserie-Laprée espère faire rayonner l’héritage ségobrige auprès d’un public plus large. Attaché lui aussi à la part de légende de la rencontre, il espère en secret l’organisation du 27e centenaire à Saint-Blaise. Ce qu’il conçoit comme l’opportunité d’honorer de ce qu’il estime être une réalité historique.
Commentaires
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Que les navigateurs phocéen lors de leurs nombreux périples et repérages commerciaux en Méditerranée occidentale aient pu accoster près de St Blaise avant de découvrir le Lacydon n’aurait rien de surprenant ni d’extraordinaire. Il serait intéressant de savoir si du matériel, grec ou étrusque, datant d’avant la fondation de Marseille, aux alentours de -600, a été découvert à St Blaise, ce qui signerait l’importance de cette escale.
Quant aux Ségobriges, tribu celto-ligure, allaient ils jusqu’au golfe de Fos ou bien se limitaient ils aux collines marseillaises, nous n’en saurons jamais rien.
En tout cas, c’est bien sur les bords du Lacydon que les phocéen ont fini par fonder Massalia
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Saint Blaise reste un site remarquable, à visiter!
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je comprends pas bien la conclusion avec la métropole…
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je ne crois pas que l’on retrouve les faire-part de mariage ni des photos
le lieu probable de la rencontre des civilisations, à Marseille ou à 50 km intéresse les historiens et l’histoire des échanges commerciaux et culturels
mais la légende de la rencontre de Gyptis et Protis et le sens qu’on lui donne depuis des siècles sont eux mêmes des faits
“when the legend becomes fact, print the legend”
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très intéressant. Le mythe n’est pas remis en cause, que Gyptis vienne de Saint Mitre ou des collines de Marseille qu’est ce que ça fait ?
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