Musées de Marseille : le document interne qui dévoile une gestion du personnel à la dérive

Enquête
le 8 Mar 2018
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L'enquête interne de l'inspection générale des services au sein des musées marseillais a accouché d'un épais rapport. Ses conclusions ne seront pas rendues publiques mais un document interne que Marsactu a pu consulter témoigne d'une gestion des ressources humaines sans pilotage.

La Vieille Charité.
La Vieille Charité.

La Vieille Charité.

Enserré dans une chemise bleue, le rapport occupe une large place sur l’un des bureaux du directeur général des services, Jean-Claude Gondard, à l’Hôtel de Ville. Ce mœllon de papier de quelques kilos est le résultat de plusieurs mois d’une enquête interne menée par l’inspection générale des services municipaux au sein des musées de la Ville. Celle-ci a été lancée durant l’été alors que des courriels répétés signés d’un pseudo, “Arthur Gordon”, dénonçaient des passe-droits et pratiques délictueuses dans la gestion du personnel [lire notre article].

Des centaines de pages qui consistent en ‘l’étude des processus d’organisation et de contrôle des cycles de travail, les conditions d’attribution des avantages salariaux ainsi que les modalités de promotion interne de ce service”. Bref, à l’heure où l’enquête judiciaire sur le Samu social a été élargie à d’autres services sous la houlette du parquet national financier, ce rapport doit mettre à plat la gestion du personnel dans ce service. Mais il a vocation à rester confidentiel : ni le conseil municipal, ni les syndicats et encore moins la presse ne pourront en prendre connaissance.

Malgré le silence gardé sur le pavé, Marsactu a pu mettre la main sur un compte-rendu de réunion au sommet qui en révèle les grandes lignes, des dysfonctionnements du service aux mesures prises pour y remédier. La scène se passe 15 décembre dernier. Autour de la table, se trouvent Sébastien Cavalier, le directeur des affaires culturelles, Xavier Rey, le directeur des musées et Odile Blanc la cheffe de l’inspection générale des services de la Ville. Ces quelques pages de notes rapides synthétisent les positions des services sur la version 7 du rapport et ses recommandations. Elles passent en revue les trois phases de “diagnostic, recommandations et actions” qui structurent le rapport. Or, si ce document ne contient pas en lui-même de révélations, il témoigne en creux d’une profonde désorganisation de ce service notamment dans la gestion des ressources humaines. Avec pour conséquences des cas où les cadres du service et les conservateurs découvrent, parfois après coup, que leur musée était resté en partie fermé, faute de personnel présent.

Le directeur qui ne dirigeait rien

Lors de cette réunion, le directeur des affaires culturelle (DAC) décrit une cellule ressources humaines en roue libre. Il dit souhaiter “un dialogue stratégique concerté” avec la direction générale du personnel “sur la gestion des RH sur laquelle elle considère n’avoir aucune maîtrise”. Suit une série d’exemples sur lesquels le DAC ne “maîtrise” rien : les écarts entre les besoins et les recrutements, les propositions de mutation, les entretiens annuels et les feuilles de notation. Quant au cas “des promotions arbitrées” par la direction générale du personnel, il l’apprend “simultanément au personnel”. Une “situation difficile à assumer face aux agents”, peut-on lire.

Au quotidien, les ressources humaines sont gérées par une cellule installée à la Vieille charité, qui, visiblement, échappe à tout contrôle. Le nom de la responsable de cette cellule était cité à de nombreuses reprises par “Arthur Gordon” dans ses courriers anonymes. Elle était également citée parmi les personnes visées par l’enquête de l’IGS. Visiblement les directeurs des musées et des affaires culturelles ont eux aussi des soucis avec cette cellule. Les propositions de mutation d’agents qui lui ont été transmises sont restés “sans effet”. La demande répétée d’une vision stratégique des besoins en personnels toujours auprès de la même cellule RH “est restée sans effets malgré rappels”.

Il en ressort que personne ne maîtrise pleinement l’organisation au sein des musées. “La rupture de l’organisation hiérarchique entre encadrement et agents de catégories” est un constat partagé avec l’inspection générale des services et les deux directions. À ce propos le directeur des affaires culturelles rappelle qu’une “assistance à maîtrise d’ouvrage” a été commandée à la même cellule RH “mais le devis a été perdu”.

Réformer le management

Au chapitre des “recommandations”, rétablir “la responsabilité hiérarchique des conservateurs” arrive en tête des priorités. C’est l’unique point qu’accepte de développer le directeur général des services Jean-Claude Gondard. “Il s’agit avant tout de réformer le management des musées en réaffirmant la responsabilité des conservateurs en tant que chef d’établissement, explique le haut fonctionnaire. Faire une expo, c’est beau mais ils ont aussi la gestion d’un centre de ressources avec du personnel. C’est à eux qu’incombe la gestion des chefs d’équipes en liaison avec la cellule des ressources humaines”.

Mais cela ne s’annonce pas simple. Toujours chagrin, le directeur de l’action culturelle comme celui des musées regrette qu’il ait fallu “deux ans pour mettre en place la formation des conservateurs” et déplore leur absence “à cette formation”. Un point que nous n’avons pu vérifier même si un cadre du service culturel assure par ailleurs que plusieurs conservateurs étaient bien présents lors de la dernière session en décembre.

Au-delà de la question du management, c’est bien la question d’un nouvel organigramme qui se pose. “Il n’y a pas de cadre B dans les musées, explique une syndicaliste. On passe directement des cadres A, les conservateurs, aux agents de catégorie C. Du coup, les chefs d’équipe ont le même statut que les agents de salle”. De son côté, Force ouvrière milite pour que des agents de maîtrise soient recrutés afin de mieux structurer la ligne hiérarchique dans chaque établissement et renforcer la cellule de ressources humaines.

“Les chefs d’équipe n’ont pas les compétences”

Le rapport de l’IGS envisage de faire passer des tests d’aptitude aux chefs d’équipes. Mais la direction du personnel s’y oppose en prenant exemple d’un chef d’équipe “depuis 20 ans, qui ne pourra pas être remis à niveau”. En 2015, une tentative de reconnaissance du statut des chefs d’équipe dans le régime indemnitaire avait déjà échoué, “les chefs d’équipe déjà en poste n’ayant pas les compétences”, lit-on plus loin. “À revoir”, conclut le compte-rendu.

Pour appuyer ces recommandations, directions des musées et des affaires culturelles proposent toute une batterie de mesures pour appuyer les recommandations de l’inspection générale des services. Ainsi “des notes de services et vérification par sondages” permettront d’asseoir le rétablissement de l’autorité des chefs d’établissement.

Des fiches de postes seront remises à l’ensemble du personnel.“Un chantier à long terme”, commentent les participants à la réunion. “C’est une première, note une syndicaliste. Quand on arrive au musée, personne ne connaît ses missions, ses attributions. Nous demandons depuis longtemps que chaque poste soit clairement défini, les gens formés, avec un vrai statut”.

Remontages de bretelles

En complément de ce dysfonctionnement structurel, des comportements individuels sont eux aussi appelés à être revus. Parmi les recommandations du rapport, figurent nommément plusieurs agents cités par Arthur Gordon comme bénéficiant d’horaires de travail “adaptés”, pour ne pas dire allégés, jusqu’à des soupçons d’emplois fictifs. Sans passer par des sanctions directes, la direction des musées remonte quelques bretelles : trois agents changent ainsi de musée dans une logique de “dissociation de trio”, une autre doit être réintégrée “dans une hiérarchie opérationnelle à laquelle elle devra se référer” et un dernier va devoir s’inscrire dans “un rattachement hiérarchique” clair.

Après les bretelles, quelques vis sont serrées. Les fonctions de sécurité et de sûreté sont en cours de révision. Des astreintes sont mises en place chaque week-end dans les musées pour ne pas laisser les agents d’accueil seuls aux manettes. De la même façon, les fermetures intempestives de salles, faute de personnels présents en nombre suffisant feront l’objet de “procédures et notes de services”. Même traitement pour organiser les modes de remplacement et de délégation “pour toute la chaîne hiérarchique” ou pour la mise en place d’une “procédure dématérialisée d’autorisation d’absence”.

En revanche, ce document succinct passe sous silence le système des feuilles de présence par le biais desquels les agents de surveillance signalent les agents présents, notamment les dimanches et jours fériés et qui permettraient des abus réguliers. Mais la prochaine arrivée de 500 badgeuses commandées par la Ville dans le cadre d’un marché récemment passé devrait voir disparaître ces feuilles volantes, objet de tant d’attention. Certaines figuraient peut-être parmi les cartons embarqués par les gendarmes lors de leur perquisition à la direction générale du personnel en janvier dernier.

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Commentaires

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  1. LaPlaine _ LaPlaine _

    Toujours ce “Marseille bashing”… A part çà tout va bien, enfin à part le Samu social, la fourrière, les écoles, le temps de travail, etc. On pourrait peut-être faire bosser l’ingénieur Rué sur un plan d’action et d’organisation…ah non il a déjà demandé des effectifs d’agents de maîtrise supplémentaires… Quelle pétaudière…

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    • Lecteur Electeur Lecteur Electeur

      Vous oubliez les piscines, le ramassages des ordures et la propreté urbaine et bien d’autres choses encore …

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      C’était compris dans le “etc.”, sinon çà m’aurait démoralisé pour la journée…

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  2. corsaire vert corsaire vert

    Y a t il un service ou un fonctionnement dans cette municipalité corrompue qui ne fait pas scandale ?
    La liste des chefs d’équipe est déjà prête , FO y veille …compétences ou non Rue et ses acolytes ont déjà fait le” bon choix “.
    Plus qu’à souhaiter que les autres syndicats mobilisent .

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  3. bud_ice13010 bud_ice13010

    FO a encore tout compris pour placer ses agents: mettre des agents de maîtrise qui appartiennent à la filière technique dans les musées dont les agents dépendent de la filière culturelle, c’est trop fort… Comment, avec ce raisonnement, améliorer les conditions de travail et les compétences dans les musées en continuant de phagocyter par son clientélisme ? Il est temps que ce syndicat soit remis à sa place et non comme co-gouvernant lors des prochaines élections professionnelles …

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  4. one live one live

    je m’arrange, tu m’arranges………..on s’arrange, même si cela dérange…….un peu.

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  5. Alceste. Alceste.

    A cette allure là , il ne reste qu’à officialiser la nomination de P.RUE à la direction du personnel, au moins les choses seront claires.

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      A ce propos on sait qu’il est ingénieur territorial mais où s’exerce sa compétence? dans quelle Direction?

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    • bud_ice13010 bud_ice13010

      Le problème c’est qu’il ne grimpe plus aux arbres depuis longtemps… Il fait le syndicaliste à plein temps loin de la préoccupation des agents et pour assoir son pouvoir néfaste sur la ville et la métropole avec la complicité des politiques qui se satisfont de cette démarche mafieuse au détriment des administrés et des fonctionnaires qui ne font pas partie de son syndicat…

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      Le nuisible parfait donc.

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  6. Jb de Cérou Jb de Cérou

    Merci pour cet article intéressant et bien documenté. A l’heure où la transparence est un mot à la mode, le citoyen marseillais confronté à l’opacité du fonctionnement de la mairie est émerveillé par l’accessibilité si rare à une telle information qui devrait être publique, voire accessible en ligne. On se pince en pensant qu’un rapport de l’inspection des services est inaccessible aux conseillers municipaux.
    Pour un peu, on comprendrait la demande de mise sous tutelle de Marseille réclamée par l’hystérique maire d’Aix.
    Il est trop connu que les promotions se règlent trop souvent entre FO et le cabinet du Maire, et le pauvre directeur général des services qui cumule d’autres responsabilités à la Métropole, n’a plus qu’à faire semblant de diriger quand il regarde passer les trains. Alors, dans un tel maelstrom, que penser des capacités d’une direction générale du personnel à organiser les bonnes délégations efficaces dans les services, à impulser une dynamique participative des agents et des hiérarchies pour offrir le meilleur service au public dans une maitrise responsable des coûts?
    Vivement que la Bonne Mère nous sorte de là!

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  7. Alceste. Alceste.

    Le problème ici n’est pas la dynamisation ou la participation des agents ,ou bien de la hiérarchie . C’est la “Kaporalisation” des effectifs par FO ni plus , ni moins.
    Après, la notion de Service Public, est une chose qui n’existe plus à Marseille de puis belle lurette.

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  8. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Hallucinant !

    Quelle sédimentation d’incompétence, de faiblesse et de démission a-t-il fallu pour arriver à un tel état de décomposition ? La “gestion” à la Gaudin est encore pire que ce qu’on pouvait imaginer.

    Et un tel succès dans la gestion des ressources humaines d’une collectivité publique ne serait pas porté à la connaissance des élus municipaux ? Comment est-ce simplement possible ?

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    • chabby chic chabby chic

      certains élus sont dans une ingérence telle que ça dépasse l’entendement; les autres ferment leur g……

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  9. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    “Bienvenue dans la grande famille des employés municipaux ” Un sketch ? Pas certain ?

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  10. David Mateos Escobar David Mateos Escobar

    Mercí Benoît Gilles!
    Cela paraît surprenant que même les conseillers municipaux ne puissent pas avoir accès au rapport de la DGS. Ça ne mangerai pas de pain de faire une demande de communication et suite à refus explicite ou implicite (non-réponse) saisir la Omission d’Acces aux Documents Administratifs (Cada). La procédure est gratuite est prends en moyenne 4 mois. Parole de quelau’un qui devient expert des recours Cada face à l’oppacité de la VDM. Reste dispo pour en parler.

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  11. Regard Neutre Regard Neutre

    La ville de Marseille, un bateau ivre!
    En fait M. Gontard le DGS en poste, premier fonctionnaire territorial de la ville de Marseille, ne doit pas, lui aussi, posséder de fiche de poste. Avec ce document, il aurait pu ainsi chaque année vérifier et réviser, le cas échant, les objectifs fixés au directeur général des services pour mener à bien les activités principales attribuées à sa fonction. Il est utile de préciser qu’il ne doit pas échapper à l’évaluation annuelle et à une notation …Sa dernière note doit s’élever à 20/20!
    Théoriquement, il a en charge, le pilotage des orientations stratégiques de la collectivité, la conduite des projets territoriaux, les conseils et assistance auprès des élus, la direction de l’ensemble des services, la gestion et optimisation des ressources de la collectivité, l’efficacité des services, la politique managériale, la supervision, la veille règlementaire et prospective et la représentation de la collectivité…Ouf.
    Un pied à la ville et un petit doigt à la métropole, ce haut fonctionnaire, bien trop enraciné dans la cité phocéenne, ne dirige et ne contrôle plus rien. La charge étant trop lourde pour une seule personne.
    Devant cette incurie administrative et managériale, le syndicat majoritaire noyaute et dirige à son aise les services, avec l’efficacité que l’on connait.

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    • leravidemilo leravidemilo

      Il faut quand même se souvenir qu’une des premières décisions dont nous avons été informés lors de la création de la métropole (dès la 1ére “élection” de Gaudin, et avant sa démission puis sa réelection…!!!) était que ce génie de l’organisation efficace et sereine, cette forte “lumière”, était “nommé DGS de la dite métropole! Ceux qui, tout en parlant à leur aise, ne connaissent point les collectivités voisines, doivent faire un effort pour s’imaginer l’état de stupéfaction et de sidération qui s’est alors emparé de nombre de leurs acteurs et de leurs cadres! (“Et pour la métropole, les gagnants sont Gaudin et Gondard…”). ça les aidera d’ailleurs à concevoir que derrière les outrances permanentes de Joissains se cache non pas un désert de convictions et de personnes, mais une foule compacte de personnes unies dans une volonté farouche de se protéger eux et leur travail et arcboutés sur cette défense (ce que confirment clairement le résultat des municipales de 2014, qu’il conviendrait de se remémorer.).
      . Le seul compte rendu de cette réunion témoigne d’un déficit complet de savoir faire. Passe pour la phase de diagnostic, quoique, mais pour les recommandations et autres pistes de travail, l’absence de M Rué et de l’adhérent d’honneur témoigne d’un manque cruel de réalisme et d’une inadaptation totale au contexte, au réel!
      Merci de cet article qui réussit à ouvrir une petite brèche dans le rideau permanent de fumée et de brouillard dont sont quotidiennement gratifiés les marseillais (on n’ose dire les citoyens marseillais, sauf à se sentir membre à part entière de cette mélasse qui nous tient lieu d’organisation nullicipale.)
      Que le Gabian continue donc de poser son bec sur ces grandioses bureaux…

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