MPM met la métropole dans un tunnel
Le 21 décembre, à dix jours de l'arrivée de la métropole, MPM veut valider la construction d'un tunnel sous le boulevard Schloesing. Justifiée par la nécessité de soulager la circulation pour accueillir le tramway, cette opération est aussi l'occasion d'un mécano financier pour les sociétés qui exploitent les tunnels Prado-Carénage et Prado Sud.
L'entrée du tunnel Prado Sud sur le boulevard Michelet. Photo Max Missak.
Un tunnel gratuit, construit gratuitement. En l’apparence, l’affaire qui se présente au conseil communautaire du 21 décembre a tout du cadeau de Noël. Les élus de Marseille Provence métropole doivent voter la réalisation d’une bretelle routière sous le boulevard Schloesing. L’endroit est un noeud routier du Sud de la ville. Le tunnel semble une bonne idée mais c’est au niveau de la gratuité que l’histoire se corse. Car la délibération prévoit la signature d’avenants aux contrats des tunnels gérés par la Société marseillaise du tunnel Prado Carénage (SMPTC) et sa petite soeur, la société du tunnel Prado Sud (SPS). Ces deux entreprises sont des filiales communes de Vinci et Eiffage, multinationales du BTP et des concessions publiques. Mais revenons à l’intérêt du projet.
“Cela permettra une meilleure fluidité dans le sens Schloesing vers Rabatau, enlever de la circulation vers le Jarret. Cela permet aussi à ceux qui veulent se connecter sur l’A50 de le faire sans avoir à passer par la place de Pologne”, approuve Lionel Royer-Perreaut, vice-président de MPM et maire des 9e et 10e arrondissements (LR). Avec en ligne de mire la “requalification” des axes allégés de cette circulation automobile.
On retrouve là la logique défendue depuis plus de 10 ans par le maire de Marseille Jean-Claude Gaudin. Ce chantier proposé clé en main dès 2011 aux services de MPM par la société Prado sud (SPS) a un autre avantage : il facilitera le prolongement du tramway vers Dromel en passant par la place Ferrié. C’est ce qu’explique la délibération présentée au conseil :
“Cette place est un carrefour par lequel transitent des trafics très importants, directement sur la place et via des passerelles au-dessus de la place. Pour les besoins de la réalisation du tramway, ces passerelles doivent être supprimées. Or, leur suppression entraînera un report au sol de la circulation concernée, de nature à engorger la circulation sur la place et par voie de conséquence, vers les autoroutes A50 et A 55. Compte tenu de l’importance des flux circulatoires en jeu, le passage du tramway n’est envisageable qu’en déviant une partie de cette circulation en souterrain.”
Bien sûr, en prenant en charge près de 100 millions d’euros de travaux, la société “n’est pas dans une logique d’auto-destruction”, convenait Robert Assante, vice-président aux transports de MPM, lorsque Marsactu l’interrogeait sur le dossier il y a un an. Pas philanthropes Vinci et Eiffage, les géants des travaux publics ? En effet, le tunnel Schloesing sera branché en direct sur le Prado-Carénage, à qui il apportera donc des clients supplémentaires.
400 millions en plus
Surtout, l’avenant assure à la SMPTC onze ans et deux mois supplémentaires de concession sur ce tunnel. Or, s’il a connu des résultats en demi-teinte après son ouverture en 1993, il fait désormais figure de vache à lait avec plus dix millions d’euros par an de bénéfices. Chaque année de plus avant la reprise en main par MPM, actuellement prévue en 2025, est donc une belle promesse de profit. Combinées, ces deux sources de recettes feraient rentrer plus de 400 millions d’euros dans les caisses de la SMTPC, suivant les calculs d’un tableau présenté dans la délibération.
Mais entre le coût des travaux puis l’entretien, tout en brassant l’inflation, le coût du capital nécessaire à l’investissement, on arrive à… zéro euros de gain. Miracle ? “Ces calculs dits de « valeur actuelle nette » sont extrêmement encadrés par les normes comptables. La commission européenne sera amenée à vérifier leur validité”, assure-t-on à MPM.
Car, comme l’avait annoncé le président Guy Teissier (LR), l’Europe a été saisie le 27 juillet par l’intermédiaire du ministère de l’Intérieur pour vérifier que le nouveau contrat est bien conforme au droit de la concurrence. “L’avenant contient une clause suspensive comme quoi tout ce processus n’est acté qu’en cas de validation par la Commission européenne”, insiste Lionel Royer-Perreaut. “La communauté urbaine est heureuse d’avoir un tunnel gratuit sans avoir à investir, mais il devrait faire l’objet d’une mise en concurrence”, estime un connaisseur du dossier.
Toujours pas d’enquête publique
Du côté de l’opposition, on s’étonne que tout cela soit ficelé avant même la tenue d’une enquête publique. Le Front de gauche organise une réunion le 16 décembre et compte demander le retrait du rapport sur cet argument. “C’est une aberration de proposer une délibération comme celle-là alors qu’on n’a même pas eu l’enquête publique”, rappelle Marie-Françoise Palloix, élue des 6e et 8e arrondissements.
Une concertation préalable a bien eu lieu en mars. La délibération qui en tire le bilan en avril précise “qu’il est nécessaire de poursuivre les procédures administratives nécessaires au bon déroulement de l’opération et notamment de procéder au lancement de l’enquête publique”. Mais celle-ci se fera après la signature des avenants aux contrats.
MPM assure que c’est l’ordre normal des choses puisqu’il serait difficile de consulter la population sur un projet qui ne serait pas validé juridiquement. Mais en signant dès à présent, MPM s’expose au risque de devoir revenir dessus en cas de modification du projet suite aux remarques du public. La collectivité devrait le savoir puisqu’elle a connu ce problème avec la même société à l’occasion du chantier du tunnel Prado Sud.
Attention au surcoût…
Comme Marsactu l’a déjà raconté, en 2011, SPS a présenté une demande d’indemnisation de 80,9 millions d’euros pour divers surcoûts dont elle ne s’estimait pas responsable. Une mission de conciliation est alors chargée de départager la société et MPM. Que lit-on dans son rapport ? “Une large part des surcoûts de travaux invoqués par le groupement résultait de la prise en considération des réserves et recommandations du commissaire enquêteur”, à l’occasion de l’enquête publique. Les participants à celle du tunnel Schloesing sont prévenus… Pour Prado Sud, la collectivité s’en était sortie avec un chèque de 24 millions d’euros. “La concertation préalable nous a donné un aperçu de ce que sera l’enquête publique et il n’y a pas de risque de changement aussi significatif”, nous répond-on à MPM.
“Ce que vous me dites ne m’avait pas interpellé, ça me paraissait assez logique de fonctionner de cette manière”, commente Lionel Royer-Perreaut. N’y a-t-il pas une volonté de passer en force et en vitesse avant l’arrivée de la métropole ? Le maire du 9/10 préfère en revenir à “l’intérêt général” : “Nous savons que ce sont des dossiers extrêmement longs. Nous avons devant nous une bonne année de délais administratifs puis 18 mois de travaux, ça veut dire que le tramway ne pourrait arriver qu’en fin de mandat. Je ne pense pas que ce soit absurde d’avancer et de contracter au mieux les délais.”
Mic-mac comptable
Mais derrière l’intérêt général, il reste une autre intérêt bien particulier pour Vinci et Eiffage. Le tunnel Schloesing, intégré à la concession Prado-Carénage, emprunte sur 360 mètres un tronçon de l’actuel tunnel Prado Sud. Le montage de l’opération prévoit donc de transférer ce tronçon de la seconde concession à la première. Pour cela, la SMTPC doit verser 50 millions d’euros à la société Prado Sud, titulaire de l’autre concession.
Tout cela peut paraître artificiel, car les deux sociétés ont les mêmes actionnaires. “Mais il s’agit de deux concessions juridiquement étanches, ce serait totalement illégal de ponctionner l’une d’une portion de tunnel sans contrepartie. Il s’agit vraiment d’une vente”, explique MPM.
Une vente à 50 millions d’euros qui n’est pas neutre. Sous ses airs purement juridico-comptables, ce transfert permet de gonfler le coût du tunnel Schloesing de 46,7 à 96,5 millions d’euros. Et donc de modifier les calculs pour obtenir une prolongation plus importante de la concession. De plus, SMTPC et SPS sont loin d’avoir la même situation financière. La première, on l’a dit, est florissante. La seconde l’est bien moins, avec une clientèle inférieure aux attentes et un gros emprunt à rembourser. Le trafic annuel est en moyenne à ce jour de 11 500 véhicules par jour, contre 18 000 estimés dans le cadre des études de trafic. Ce transfert de patrimoine lui permet d’empocher 50 millions d’euros de sa jumelle et ainsi de se remettre à flot, avec la bénédiction de MPM.
D’ailleurs la délibération prévoit également une hausse de 10 centimes du tarif couplé Prado Sud-Prado Carénage obtenue par SPS sur la base des modifications du trafic amenés par le nouveau tunnel. Passons aussi sur la possibilité qui lui est accordée de renégocier ses contrats de financements. “Des banques souhaitent se désengager, d’autres entrent, le capital va changer”, commente MPM. Dans le même temps, pour ne pas dire en échange, MPM obtient la suppression d’une clause jugée “léonine” par Eugène Caselli, prédécesseur de Guy Teissier. Celle-ci ouvrait droit à compensation pour SPS en cas réalisation du boulevard urbain sud avant 2026.
Prolongation de concession, changement de tarif, transferts de patrimoine, refinancement, le tout sous prétexte d’un tunnel gratuit et de la renonciation à une clause : dans ce dossier devenu inextricable, c’est toute une réorganisation de l’économie de ses contrats à laquelle procède le duo Vinci / Eiffage.
La métropole du fait accompli
Par leur vote du 21 décembre, c’est toute cette architecture que valideront les élus, même s’il faudra encore un avis de la Commission européenne. Ce qui est fait n’est plus à faire, surtout quand les futurs élus sont susceptibles d’être moins coulants à ce sujet. Lors de la dernière séance du conseil communautaire, déjà, les élus avaient acté le déménagement du siège de la RTM, jugé précipité par beaucoup, y compris le premier adjoint au maire Dominique Tian.
De leur côté, ce n’est pas la première fois que Vinci et Eiffage obtiennent un contrat in extremis. Président de MPM de 2008 à 2014, le socialiste Eugène Caselli avait trouvé en arrivant sur son bureau trois dossiers imposés : l’incinérateur, le tramway rue de Rome et le tunnel Prado Sud. À trois jours du premier tour des municipales 2008, son prédécesseur Jean-Claude Gaudin a en effet pris le soin de signer la convention de délégation de service public de construction et d’exploitation du Prado Sud.
Cette fois-ci, c’est le président de la métropole Jean-Claude Gaudin qui va se retrouver lié par la signature de Guy Teissier. Mais ce n’est pas le maire de Marseille qui s’en trouvera dérangé, ayant projeté cet ouvrage depuis une dizaine d’années. En revanche, les autres territoires de la métropole risquent de grincer des dents en découvrant ce paquet déjà ficelé.
Commentaires
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très bien,la vile avance et évolue.
très bien
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Avec ptit-marin, nous avons retrouvé l’équivalent de Piqueboufigue naguère, un gaudinolâtre béat qui est d’accord sans réserve avec tout ce que fait l’équipe municipalo-communautaire : la prolongation de la rente de nos amis les concessionnaires des tunnels, la fermeture de l’Espace Culture, les décisions précipitées avant l’installation de la métropole – on ne sait jamais.
Mais écrire “vile” au lieu de “ville”, ça doit être un lapsus révélateur…
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C’est vrai que le centre-ville, notamment, a beaucoup progressé en 20 ans quand on le compare aux autres grandes villes françaises…
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En complément de cet article, il faut lire celui-ci, publié par Le Ravi en septembre dernier : http://www.leravi.org/spip.php?article2141
Avec une précision intéressante, que Marsactu n’évoque pas. Selon un bureau d’études techniques spécialisé dans les déplacements urbains, les aménagements projetés seraient incompatibles avec l’insertion du tramway… alors que les partisans du tunnel (à moins qu’il s’agisse des partisans des concessionnaires des tunnels actuels) cherchent à le “vendre” en mettant ce tramway en avant !
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Je croyais que tu allais nous dire que nous sortions du tunnel…
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A Marsactu et aux commentateurs qui en sauraient davantage. Tout cela est un peu compliqué à suivre et souvent on semble critiquer le fait que les sociétés impliquées fassent des bénéfices.
De deux choses l’une :
Ou ces bénéfices s’impactent fortement dans le prix du péage et c’est critiquable.
Ou on est dans le champ « normal » de l’économie capitaliste et il serait intéressant de nous dire ce que les sociétés qui ont partie liée dans cette affaire font de leurs bénéfices. Enfin, qui sont les actionnaires et que font-ils avec ces revenus. S’achètent-il un beau bateau comme Tapie ou réinvestissent-ils et dans quoi. Dans une société capitaliste, ces bénéfices sont investis dans d’autres réalisations, ils ne vont pas, en principe, sur un compte en Suisse. Ce qui est d’ailleurs devenu plus difficile.
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Un article qui éclaire le sujet connexe du partage des bénéfices entre actionnaires et salariés : http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20151222.OBS1789/trop-d-argent-pour-les-actionnaires-pas-assez-pour-les-salaries.html
La question touche à l’investissement (par les actionnaires, question posée plus haut), privilégié par rapport au pouvoir d’achat des salariés et à la relance par la consommation. Une économie bien dirigée, avec un accès plus large à l’export, c’est-à-dire avec un meilleur niveau de production, se traduirait aussi par une relance de la consommation, grâce à la création d’emplois et à la baisse du chômage. Deux chemins ?
L’article souligne les bienfaits du CICE.
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