Montévidéo, l'habitat toujours précaire d'Actoral
Photo Pirlouitiiiit
Le portail reste ouvert, dans l'impasse Montévidéo, pour accéder au lieu du même nom. Sous les lauriers roses, des artistes lisent leurs textes à voix haute, assis devant des petites tables de fer forgé. La 14e édition du festival d'écritures contemporaines Actoral, basé et conçu sur place, est imminente. C'est par la brève formule "à l'épreuve du temps" que le metteur en scène Hubert Colas titre l'éditorial de cette année. Tout l'enjeu réside là. S'il a toujours été pensé pour exister dans plusieurs lieux de la ville, le festival est associé à Montévidéo, espace de création et d'expérimentation artistique et littéraire dont l'avenir est toujours en suspens.
Car déjà, des changements se profilent à l'horizon. Le Groupe de recherche et d’improvisation musicales (Grim) quitte Montévidéo fin 2015 pour la Friche de la Belle de mai, en vue d'y fonder un pôle musical avec le centre national de création musical GMEM, arrivé il y a quelques mois dans l'ancienne fabrique d'allumettes. Pour autant, Jean-Marc Montera, directeur du Grim, l'assure : il n'est pas question de mettre fin au duo Colas/Montera. "Bien sûr que nous pourrions envisager de poursuivre une collaboration. Notamment sous les formes que l'on a mises en place depuis quinze ans." Ainsi, le Grim pourrait continuer d'accompagner la mise en scène de certaines créations. Mais l'inquiétude n'est pas artistique. Le départ du Grim pourrait tout de même peser lourd dans l'équilibre global de Montévidéo. Le lieu, choisi initialement pour accueillir trois structures et subventionné en conséquence, va se retrouver entièrement à la charge des entités créées par Hubert Colas, Actoral et la compagnie Diphtong, bientôt seules à payer le loyer.
Le départ du Grim n'est pas la première difficulté rencontrée par la structure, largement éprouvée par le passé par des obligations de travaux. Ainsi le 14 octobre 2010, les deux directeurs reçoivent l'ordre de la Commission de sécurité de fermer le site au public s'ils n'effectuent pas des travaux de mise aux normes, notamment en matière d'incendie et d'accessibilité. A l'époque déjà, Hubert Colas adopte un ton pessimiste dans les médias, expliquant que Montévidéo est dans l'impasse, faute de moyens pour effectuer l'ensemble des travaux, malgré les subventions versées chaque année. Du coup, le premier étage qui avait été aménagé pour accueillir le public est resté fermé.
"Epicentre du festival"
Depuis plus d'un an, les deux directeurs ont obtenu des autorisations pour accueillir le public au rez-de-chaussée mais avec une petite jauge. Les mercredis de Montévidéo ont été mis en place avec des concerts, performances, lectures… Si l'autorisation n'est que partielle, le lieu reste ainsi bien vivant et selon la responsable de la communication, il est "l'épicentre du festival. En plus, beaucoup d'artistes ont été reçus en résidence ici". Si la tempête semble pour l'heure écartée, Hubert Colas doit trouver dès maintenant une solution afin de se mettre totalement hors de danger. Le lieu appartient à un propriétaire privé qui ne s'est pas encore manifesté concernant l'échéance du bail, qui se profile à l'horizon de décembre 2016. Or, résume l'homme de théâtre :
Si Montévidéo disparaît, il y a de fortes chances pour qu'Actoral ne puisse pas survivre.
En effet, poursuit-il, "un lieu est un apport pour un travail à l'année, pour les répétitions. Si nous nous retrouvions sans lieu, cela deviendrait un problème. Il faut un vrai support pour la compagnie Diphtong mais aussi pour les autres compagnies". C'est en effet lui-même qui, en 2000, alors en recherche d'un lieu pour héberger Diphtong, s'associe avec le guitariste Jean-Marc Montera, pour monter Montévidéo. Ils le pensent avant tout comme un espace de création qui accueille auteurs, metteurs en scène et musiciens. Pour Actoral en particulier, la diffusion se fait dans divers endroits, et pas seulement sur place, mais le berceau de la création reste là.
"Augmenter notre visibilité"
Pendant un temps, le metteur en scène a pensé aux Bernardines. Le théâtre aurait pu accueillir Actoral dans la mesure où Hubert Colas était pressenti pour reprendre le flambeau après le départ d'Alain Fourneau et Mireille Guerre. Voilà un peu plus d'un an, Caroline Marsilhac qui codirige Actoral se montrait particulièrement enthousiaste à cette idée : "Nous trouvons que l'articulation Bernardines, Montévidéo et Actoral pourrait être l'opportunité unique de faire exister un foyer du théâtre contemporain et des nouvelles écritures en agrégeant les moyens de ces trois entités. Cela serait une mutualisation, une façon d'augmenter notre visibilité et celles des artistes que nous pourrions faire travailler toute l'année, tout en contrant la restriction des subventions des collectivités."
Contre toute attente, c'est finalement Dominique Bluzet, directeur du théâtre du Gymnase, du Grand théâtre de Provence et du théâtre du Jeu de Paume qui a été désigné par les tutelles. Et si l'adjointe à la culture Anne-Marie d'Estienne d'Orves assure qu'"Hubert Colas ne sera pas laissé de côté", l'intéressé ignore pour le moment la place exacte qu'il occupera au sein du théâtre et si son festival pourra s'y ancrer. "Dominique Bluzet a suggéré qu'un certain nombre d'artistes soient associés au projet de pôle théâtral et j'en fait partie. J'ai accepté. Nous verrons sous quelle forme", interroge Hubert Colas qui n'a pas plus de précisions.
Racheter Montévidéo ?
Pour l'heure, ni Hubert Colas ni les tutelles ne crient à l'urgence. La date fatidique de fin de bail est encore loin et Hubert Colas estime que "rien ne dit que le bail ne va pas être renouvelé. Nous avons mis en éveil l'ensemble des collectivités, mais pour l'instant nous n'avons pas d'autres solutions que de rester à Montévidéo." Dans la culture, l'ambiance générale est plutôt à la restriction de la générosité publique. Difficile donc de miser sur une large remise au pot.
Ainsi le conseil général rappelle qu'il verse trois subventions : à Montévidéo, à Actoral et au Grim. "Pour l'instant, on ne peut pas intervenir davantage. Si une demande plus importante est formulée au moment de la cessation du bail, nous l'instruirons". Le son de cloche est le même du côté de la Ville. "Nous soutenons bien sûr Montévidéo et Hubert Colas, mais pour l'instant nous n'avons pas de propositions particulières à formuler", explique l'adjointe à la culture. Quant à l'éventualité de racheter les lieux au propriétaire, l'idée n'est pas totalement exclue par l'élue qui lâche un "pourquoi pas" en réponse à la question. En attendant, Hubert Colas souhaite rester optimiste et se concentrer sur Actoral et sur l'écriture qu'il n'a pas abandonnée : il prépare un projet personnel pour 2016 sur lequel il ne souhaite pas s'étendre.
Pour cette édition d'Actoral qui commence, l'auteur et metteur en scène formule ses voeux en gage d'avenir serein. "Il faut continuer à développer le rapport du festival à l'écoute des publics, avancer en collaboration avec différentes structures marseillaises et souhaiter que l'ensemble des institutions reconnaissent bien ce festival de renommée qui vient compléter les propositions d'expression culturelle à Marseille." Le ton reste positif. Après tout, le festival a pris de l'ampleur, en partie grâce à la candidature de Marseille au titre de capitale européenne de la culture. "On s'est dit que c'était le moment de renforcer ces rencontres. La mairie a fait un effort pour reconnaître ce festival comme élément véritable de la ville. L'édition entre 2007 et 2013 a grandi. Nous avons montré une expertise de regard sur l'écriture contemporaine à l'étranger et en France. La sensibilité à l'égard de l'écriture contemporaine a augmenté." Avec ou sans lieu dédié, l'avenir le dira.
Programmation d'Actoral, du 24 septembre au 11 octobre en ligne.
Photo : Pirlouiiiit – Concertandco.com
Commentaires
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Est-il vraiment impossible d’envisager que ce lieu fonctionne sans subventions, simplement en tirant son financement de son public ? C’est étrange et dommage de considérer que les artistes sont incapables de vivre du fruit de leur travail, et doivent obligatoirement être inféodés aux collectivités et à leur bon vouloir. A quand l’indépendance de la culture ?
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Dommage que vous ne parliez pas du contenu de ce festival expérimental, plutôt que d’un problème de bail qui, vous le dites vous même, se posera véritablement dans 2 ans ! ce serait plus intéressant !
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Il y a une question que l’on ne pose jamais: quel est le projet artistique d’Hubert Colas. Pour avoir vu ses dernières créations plus ou moins ratées, il est légitime de s’interroger.
D’autre part, on ne parle pas du public: pour qui connait Montevidéo, c’est un lie difficile d’accés, fermé sur lui-même; où il est particulièrement difficile de stationner.
Bref, il serait temps de se poser les bonnes questions. L’équation un artiste – un festival – un lieu n’est plus tenable.
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