Minna Sif : "MP2013, c'est de l'événementiel qui méprise l'essence même de Marseille"

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le 26 Fév 2013
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Minna Sif : "MP2013, c'est de l'événementiel qui méprise l'essence même de Marseille"
Minna Sif : "MP2013, c'est de l'événementiel qui méprise l'essence même de Marseille"

Minna Sif : "MP2013, c'est de l'événementiel qui méprise l'essence même de Marseille"

Le temps n'est rien, vient nous dire Minna Sif qui publie seize ans après la sortie de Méchamment Berbère, Massalia Blues*, sa complainte sur Marseille. Le titre, évocateur, est une proposition de Achmy Halley, directeur de la villa Marguerite Yourcenar, lieu de résidence d'auteurs situé dans les Flandres. "Je me suis jetée dessus car les titres sont des cadeaux". Minna Sif se jette aussi éperdument dans ses histoires, des destins de personnages qui, portés par une imagination fertile ancrée dans la réalité de cette ville effervescente, paraissent véritables.

Le point névralgique de Massalia Blues n'est autre que "la porte d'Aix. C'est mon territoire littéraire, la porte d'entrée et de sortie de la Méditerranée et l'endroit que traversent les gens quand ils descendent des ferries en provenance de Tunis, Alger, Ajaccio et Bastia. Lorsque les gens remontent le boulevard des Dames, passent par la porte d'Aix, ce mouvement est symbolique du passage de l'autre rive et de la conquête d'une nouvelle ville. C'est un quartier populaire, mais où règne une solidarité extraordinaire. On va s'y ressourcer et prendre un élan pour ensuite descendre à la conquête du cours Belsunce, de la Canebière et prendre à bras le corps cette ville", s'épanche la romancière, intarissable.

"Epouilleur de la ville monde"

Lorsque Minna Sif décrit le héros de son roman, Brahim, elle en parle avec affection : "une sorte de clochard céleste, un homme en errance. Quelqu'un qui un jour est arrivé à Marseille et n'a jamais voulu avoir de papiers parce que le désir qui l'anime est d'être à la fois et d'ici et de là-bas et de faire un tout avec ces deux rives. " L'homme pousse son caddie porte d'Aix, il est un "épouilleur de la ville monde", comme l'écrivain en voit tant, penchés au-dessus des poubelles pour ensuite revendre leurs trouvailles dans les marchés clandestins de la ville.

Minna Sif se fiche bien des critiques, qui lui reprochent parfois une surabondance d'adjectifs, tandis que d'autres y décèlent une écriture rythmée et foisonnante à la manière d'un Ferdinand Céline. "Lorsque j'écris, ce qui me vient curieusement à l'esprit ce sont mes langues, à la fois maternelles et intérieures." Avec des parents marocains d'origine berbère émigrés en Corse, Minna Sif se dit portée par des langues fortes. "En arrivant à Marseille, j'ai aussi appris le 'maghrébin', c'est-à-dire une langue fusionnelle, ce métissage entre le marocain, le tunisien et l'algérien dialectal". Enfant, à l'école Maurice Korsec, la maîtresse la déclare interprète et traductrice de ses camarades de classe, primo arrivantes. Auprès de ses parents analphabètes, Minna Sif sert également d'interprète familiale. "Devenir interprète constitue la meilleure manière dont dispose l'enfant d'une langue étrangère de s'approprier l'autre espace de sa langue adoptive."

Vision bourgeoise

Aujourd'hui, Minna Sif écrit uniquement en français, sa langue adoptive mais "charnelle aussi". Convaincue par l'utilité de la maîtrise de la langue française, la romancière anime des ateliers d'écriture dans les quartiers Nord de Marseille, ces mêmes quartiers qu'elle estime délaissés par l'événement Marseille-Provence, capitale européenne de la culture.

En aparté, elle tranche, comme elle l'avait fait auprès de Libération et de France Culture : "Marseille est la capitale du rap et aucun lieu n'est dédié au rap alors qu'ils construisent des tas de musées. C'est un très mauvais message envoyé aux quartiers sensibles, porteurs de cette culture hip hop." Vindicative, Minna Sif ressort l'argument des "contres", celui du vrai Marseille oublié versus son fac-similé : "MP2013 ne fait pas la part du vrai Marseille, il ne présente aucune dimension humaine, guère plus de cohésion culturelle. C'est de l'événementiel, quelque chose de touristique, qui méprise l'essence même de Marseille." Assénant le coup final, elle lance : "MP2013 représente une vision bourgeoise de la culture alors que cette ville possède un potentiel extraordinaire".

*Massalia Blues, Minna Sif, éditions Alma, 18 €.

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Commentaires

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  1. Anonyme Anonyme

    …mais enfin de quoi s’agit-il…
    Le PRINCIPE MEME de “capitale européenne” c’est que ce soit l’endroit désigné qui se mette LUI-MEME en valeur…
    Marseille, se mettre en valeur ? Il y a eu des bênets pour y croire ?…Pour s’attendre à autre chose qu’une gabegie ?…

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  2. jml13 jml13

    Oui, comme il y a des aigris qui la dénigrent systématiquement, avec comme quasiment seul argument que “ce n’est pas ça Marseille”. Mais qui sont-ils pour décider de ce qu’est Marseille ? C’est une ville de 850.000 habitants, tous différents, et la moitié d’entre eux sont descendus en ville en janvier, des dizaines de milliers ont visité les expos du J1 et de la Friche, et ça ne fait que commencer. Il faut croire qu’au moins la moitié de la ville se reconnait dans cet événement, ce qui en soi est déjà un grand exploit.

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  3. Avé Avé

    Marre un peu de ces moralistes de la Marseille populaire et de la Marseille du rap. A force de se la jouer contre on en devient soi-même cliché. L’intérêt de MP2013 c’est aussi de montrer que Marseille ça n’est pas QUE de la culture populaire. Les peintres qui ont traîné leurs pieds à l’Estaque, l’expo d’un grand artiste comme Matta me semblent tout aussi légitimes, voire plus, que cette vision de la Marseille porte d’Aix populaire.

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  4. stoplanguedebois stoplanguedebois

    Il y en a un peu assez de tous ces gens qui se croient autorisés à décrêter ce qu’est Marseille et qui de manière bien désinvolte décident ce qui est bien ou mal. Il n’y aurait donc à marseille que la culture “bourgeoise”….on croit réver. Et du côté des musiques actuelles c’est quoi le Moulin, l’espace Julien, le cabaret aléatoire, l’affranchi? alors qu’il n’y a aucune salle de concert classique dans cette ville?

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  5. Anonymous13 Anonymous13

    C’est surtout qu’elle ne connait pas du tout le programme, comme beaucoup qui se permettent de parler sur MP2013 mais qui sont incapables de vous dire ce qui est prévu. Si pour elle, le MUCEM, le musée Regards de Provence ou la Ville Méditerrannée ça résume tout MP2013 et que c’est pour elle une culture bourgeoise, je pense qu’elle ferait alors une attaque si elle se baladait dans les musées de Paris ou Lyon. Son rap, on en veut pas. Capitale du rap ? est-ce que la majorité des marseillais se retrouvent et se sentent représentés par les groupes de rap ? non surement pas. Est-ce que MP2013 parle des groupes de rock provençaux ? non plus car ce n’est pas le sujet. Quant à son livre, on a bien l’impression que c’est encore un bel exemple de communautarisme.

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  6. athe athe

    Il s’agit surtout de “capitale européenne” de la culture et ne pas d’une fête de quartier. Et en tant que “capitale” elle doit s’adresser à tout le monde, au monde entier, et à tout artiste aussi… au-delà des limites de la ville et des frontières. Le but est justement – si on met pour une fois les aspects économiques de côté – de montrer dans quelle mesure cette ville a contribué à former cette culture européenne – avec toutes les influences qui viennent aussi d’ailleurs et qui font que Marseille, que l’Europe est aujourd’hui ce qui l’est.
    Il me paraît sinon tout à fait légitime que tous les acteurs culturels et artistiques participent à cet événement; c’est évident, et me paraît indispensable. D’ailleurs, je n’ai toujours pas compris, ce qui empêche IAM ou the Fonky Family, Chinese Man ou d’autres comme Oh Tiger Montain de monter des concerts cet été.
    Mais le titre de “Capitale Européenne” ne peut se limiter à ça. Cette vision du “vrai Marseille”, de vouloir limiter Marseille au Rap et aux cités me paraît aussi étriquée que celle du Marseille de Pagnol, du Pastis et de l’OM.

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  7. savon de Marseille savon de Marseille

    Débat de chapelles sans issue . Les termes “Bourgeois, populaire , contemporain “ne veulent RIEN dire pour le vrai amateur de culture.

    Appliquons la Recette du PICON- CITRON

    http://www.youtube.com/watch?v=H72tz2rkgak

    MR2013 aurait du faire un budget PICON CITRON ,avec la règle Marseillaise des 4 /3 !

    tu mets 1/3 le culture “POPULAIRE”,(Rap)attention un petit tiers !
    tu mets 1/3 de culture ” BOURGEOISE” (Cantini, Granet, Regards de Provence)
    tu mets 1/3 de culture ” CONTEMPORAINE” (Mucem)
    tu mets un grand tiers de MARKETING (z’animo, Guetta)

    Mais çà fait 3/4 !

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  8. Anonyme Anonyme

    Cette dame ne connait en effet pas le programme…
    A-t-elle seulement entendu parler de l’événement “Le Monde est chez Nous” qui se prépare pour les 8 et 9 Juin à Aubagne ?
    Des centaines d’artistes professionnels et amateurs représentant toutes les musiques traditionnelles et du monde vivantes à Marseille… ça va être énorme.
    Ah, mais ça n’est pas du rap… Minna Sif va trouver ça bourgeois.
    Désespérant…

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  9. Lison Lison

    Et maintenant après coup qu’en dit-on de MP2013? Que les grandes manifestations populaires (et gratuites) ont eu un succès fou et resteront dans les mémoires à jamais. Que le MUCEM accueille son 2 millionième visiteur sur sa rampe périphérique et gratuite qui a révélé Marseille par le talent du presque Marseillais qu’est Riccioti. Que les feux d’artifice ont été magiques et ont drainé des foules heureuses. Finalement le peuple c’est bien pratique de le convoquer quand on en a besoin. Et ici le peuple n’est pas bégueule, alors il est venu. Marseille a été bonne fille finalement. Il aurait été préférable qu’elle soit bonne mère et mette en orbite via MP 2013 et ses presque 100 M€ quelques uns de ses enfants talentueux et donne espoir à plein d’autres qui rêvent, font du hip hop, rappent et respirent. Que MP soit pour eux aussi, soit chez eux aussi, au delà de quelques essais timides. Et non “en ville” comme ont le dit, et aide à vaincre l’exclusion géographique, sociale ou mentale de certains quartiers. Mais ceci aurait été une autre histoire. MP 2013 restera une belle histoire qui ne raconte pas tout. Mais Marseille ne se raconte pas. Marseille se donne ou reste cachée lorsqu’on l’ignore. Heureux rappel de Minna Sif.

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