Mes patients s’appellent Diogène (3)
Diogène est parfois votre grand-père, votre voisine ou un oncle lointain qui entasse et ne jette rien au point de risquer d'être enseveli sous les déchets. Marsactu vous offre une plongée en trois épisodes à la découverte de ce syndrome qui hante nos rues. Alexia Frison-Ramard en a fait le sujet de sa thèse en psychiatrie.
Mes patients s’appellent Diogène (3)
Interne au sein du service de géronto-psychiatrie de l’hôpital Valvert, Alexia Frison-Ramard a choisi le syndrome de Diogène comme sujet de thèse de doctorat. Pendant un an, elle a suivi l’équipe mobile de son service, particulièrement quand celle-ci avait affaire à des personnes atteintes de ce syndrome. Elle s’appuie sur 21 cas de patients âgés, suivis depuis novembre 2016. Spécialiste de la psychiatrie des sujets âgés, Alexia Frison-Ramard s’est intéressé aux “Diogène” dans la complexité d’approche qu’ils nécessitent et dans la façon dont leur logis raconte leur intérieur : “Cela dit beaucoup de l’organisation psychique d’une personne”.
Pour Marsactu, elle revient sur ce syndrome qui échappe aux catégorisations classiques de la psychiatrie ou de la médecine. Créer une relation à travers une porte close, la faire peu à peu s’ouvrir, parvenir à trouver une prise en charge adaptée, Alexia Frison-Ramard s’est progressivement passionnée pour ces cas particuliers, souvent complexes qui nécessitent parfois un vrai travail d’enquête.
Quelle est la définition du syndrome de Diogène ?
Il n’existe pas de définition nette. Il ne s’agit pas d’une pathologie mais d’un regroupement de symptômes. Une étude française de 2010 dresse un certain nombre de points récurrents. En premier lieu, il s’agit d’une accumulation d’objets, autrement appelée syllogomanie, à la fois active – je ramasse et je stocke – ou passive – je me laisse dépasser et ne jette plus les poubelles.
Cette logique d’entassement révèle une relation pathologique aux objets, aux autres et au corps. Les personnes qui souffrent de ce syndrome sont souvent isolées, avec peu ou pas de famille, souvent veuves ou jamais mariées, sans enfant. On peut parfois parler d’une relation misanthropique aux autres. Certains conservent une personne référente, un voisin, un frère ou une sœur qui maintient un lien avec l’extérieur.
Enfin il y a une relation pathologique au corps avec des personnes qui sont souvent très négligées. Elles ne se lavent plus, ne se changent plus, n’ont plus aucun suivi médical et vivent parfois avec des des plaies importantes sans qu’elles semblent en souffrir. C’est là le point commun à toutes les personnes atteintes de ce syndrome : elles ne demandent pas d’aide et la reçoivent souvent malgré elles. Elles n’ont souvent pas conscience de ce qui leur arrive et ne ressentent aucune honte.
Il s’agit donc d’un ensemble de symptômes mais de quelles pathologies ?
Là encore, il n’y a pas de réponse unanime. Cela peut être le symptôme d’une maladie psychiatrique évolutive comme la schizophrénie, la bipolarité ou une psychose paranoïaque. Mais cela peut être aussi chez les personnes âgées de 65 ans et plus, le symptôme d’une maladie neuro-dégénérative comme la maladie d’Alzheimer. Une bonne partie des cas que j’ai étudiés en relève. Enfin, il y a des cas où il n’y a pas de maladies psychiatriques évolutives, un bilan cognitif plutôt bon. Le syndrome peut être considéré comme idiopathique ou être le signe d’un trouble de la personnalité du type personnalité obsessionnelle ou schizotypique par exemple. Ceux qu’on qualifie de manière rapide de “gens bizarres”.
J’ai rencontré une patiente très méticuleuse, très carrée, qui conservait tous les journaux qu’elle avait lus en collant sur la couverture des post it sur les articles qu’ils contenaient. Peu à peu, elle s’est laissée déborder et sa maison s’est retrouvée envahie par les journaux et les livres au point de n’avoir plus que des petits chemins pour passer d’une pièce à l’autre.
À quel moment cela devient pathologique ?
Quand le patient perd la fonctionnalité de sa maison. Il arrête de payer le loyer, l’électricité, les sanitaires cessent de fonctionner, cela devient dangereux, notamment avec un risque d’incendie dû par exemple à l’usage de bougies.
Dans quel cadre êtes-vous saisie d’un signalement ?
L’équipe mobile géronto-psychiatrique peut intervenir après des signalements très divers : un médecin de famille, une maison de santé, les services du département, une sœur ou des voisins. Une fois que nous avons un signalement de ce type, celui d’un trouble pathologique dirons-nous, la première chose est d’entrer en contact par téléphone quand cela est possible, pour mettre au courant les patients que nous allons nous rendre à leur domicile. Notre équipe est composée d’un médecin, d’un assistant social, d’un psychologue et deux infirmiers. Un médecin généraliste peut être présent si la santé physique du patient est décrite comme très altérée.
Trouvez-vous toujours porte close ?
Pas toujours. C’est vrai qu’il y a des portes qui ne se sont jamais ouvertes. Mais tous les cas de figure existent. Nous parlons parfois à travers la porte, parfois celle-ci s’ouvre avec la chaîne mise. Parfois les gens ouvrent spontanément. Un jour, j’ai parlé à une patiente à travers sa porte qui, manifestement, tenait des propos délirants à tonalité persécutoire. Dans la plupart des cas, nous allons prendre du temps pour convaincre la personne de nous recevoir et d’accepter notre aide.
Mais comment faire la différence entre la conséquence d’une pathologie et ce qui relève de la liberté individuelle ?
Vous avez raison, la frontière est parfois très ténue d’autant que l’on touche à la fois à l’intimité et à la propriété privée. Le problème est vraiment la mise en danger de soi et des autres. Nous n’intervenons que s’il n’y a aucun doute.
Y a-t-il une alternative à l’hospitalisation ?
L’important est d’établir un lien avec le patient, d’instaurer une relation de confiance. Nous allons d’abord instaurer un suivi, notamment avec l’assistant social pour qu’il remette à plat la situation administrative. Très souvent ces personnes ne paient plus rien, ni loyer, ni électricité. Ils n’ont plus ni sécurité sociale, ni assurance. S’il y a lieu nous mettons en place un suivi médical et psychiatrique. Et en cas d’absolue nécessité, nous faisons une demande de placement sous tutelle ou curatelle notamment si elles ne parviennent plus à faire face aux obligations du quotidien.
Ensuite on va discuter du débarras de leur logement. Leur consentement doit toujours être recherché lorsqu’il est possible. C’est mieux s’ils sont là et supervisent. Parfois, quand il n’y a pas d’alternative à l’hospitalisation, le débarras se fait souvent en leur absence, avec la famille s’il y en a. Mais, là encore, nous tâchons d’accompagner progressivement les patients, avec des visites régulières sur place. La personne ne peut pas passer d’un intérieur saturé à une maison Ikea avec trois meubles.
Dans quel cadre pouvez-vous agir sous contrainte ?
Dans le cas où il y a péril imminent pour la personne. Le plus souvent nous essayons d’agir sur demande d’un tiers – un membre de la famille, un tuteur – pour qu’il nous donne son accord par écrit. En cas d’absence de tiers, nous agissons de nous-mêmes sur la base d’un certificat médical rédigé par un médecin extérieur à l’hôpital. Mais nous n’intervenons sous contrainte qu’en cas de symptômes psychiatriques justifiant une hospitalisation et que s’il y a une mise en danger réelle de la personne, notamment liée à ses conditions de vie.
Que se passe-t-il après l’hospitalisation ?
Une fois que la personne est stabilisée, nous mettons en place un suivi avec des rendez-vous à domicile au minimum quotidien avec des infirmiers. Ensuite, en parallèle, si la personne est âgée, elle va être éligible à l’allocation personnalisée d’autonomie en fonction de ses revenus et de son autonomie. Elle pourra avoir droit à une aide ménagère par exemple pour éviter une rechute. Dans le cas d’une maladie neurodégénérative, si le maintien à domicile n’est pas possible, qu’il y a une trop grand altération, alors nous pouvons décider d’un placement en maison de retraite. Ce projet se monte toujours avec la famille ou les proches si il y en a. Contrairement à ce que l’on pourrait penser le placement ne se passe pas toujours mal. Il faut le préparer avec la personne, obtenir son consentement. Y aller plusieurs fois avec eux.
Qu’est-ce que ces symptômes disent du rapport au monde ?
C’est clair qu’ils construisent une barrière, une protection entre soi et les autres. Si on passe de tout au rien, cela va très mal se passer. On peut tolérer un certain désordre. S’il peut dormir dans un lit, qu’il a accès des sanitaires et s’alimente correctement il n’y a pas forcément lieu d’intervenir.
Mais est-ce là le symptôme de la société de consommation ?
Non, je ne pense pas. Il y a toujours eu des cas comme ça. On trouve un premier texte d’Ernest Dupré, Les mendiants thésauriseurs en 1913. Il y est décrit des personnes à l’allure très négligée, accumulant beaucoup d’objets au sein de leur domicile et bénéficiant pourtant de ressources financières relativement importantes. Les diagnostics de l’époque balancent entre pathologies psychiques et traits de caractère – notamment l’avarice – dont souffriraient ces personnes. Mais la littérature scientifique sur ce syndrome est vraiment ancienne et internationale. Je ne pense pas qu’on puisse l’interpréter comme un signe de notre société consumériste. La fréquence est de 1 à 5 pour 10 000 quelle que soit la société. Mais c’est sans doute un chiffre en deçà de la réalité car il y a beaucoup de cas qui sont découverts après décès.
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