“Mégalomane cupide”, Gérard Gallas risque la prison pour son “industrialisation” des taudis

Reportage
le 16 Nov 2023
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À l'issue d'une audience de trois jours, l'ancien policier se voit requérir contre lui quatre ans de prison avec mandat de dépôt. Il a peiné à convaincre de sa bonne foi, alors que sa "stratégie de division immobilière" a renforcé l'indignité de ses logements.

“Mégalomane cupide”, Gérard Gallas risque la prison pour son “industrialisation” des taudis
“Mégalomane cupide”, Gérard Gallas risque la prison pour son “industrialisation” des taudis

“Mégalomane cupide”, Gérard Gallas risque la prison pour son “industrialisation” des taudis

Gérard Gallas se passe la main sur les yeux. Il garde la même pose raide alors que l’un de ses conseils, Frédéric Sanchez, disserte sur la situation d’habitat indigne “commune à Marseille” et qui piège tant de propriétaires. Il n’a pas bougé d’un pouce quelques minutes auparavant, alors que le procureur, Guillaume Bricier, requérait à son encontre quatre ans de prison ferme, avec mandat de dépôt. L’ancien policier fixe la cloison sombre des boxes de cette salle d’audience. Sa main passe encore sur les yeux, comme pour se réveiller d’un mauvais rêve.

Ce cauchemar de trois jours d’audience correctionnelle le place au centre d’une forte attention médiatique. “Jusqu’à New York“, avance Jorge Mendès, l’avocat de la Ville de Marseille, partie civile. “Mégalomane cupide, selon le procureur Guillaume Bricier, capable d’une théorie de l’industrialisation de la location d’immeubles dégradés qu’il avait couché sur le papier“. Gérard Gallas se réveille en toute fin d’audience, alors que le président lui propose de prendre la parole une dernière fois.

Tardif mea culpa

Enfin, il dit la “honte qu’il ressent“. “J’ai pris conscience de la douleur de mes locataires, reconnaît-il dans un mea culpa bien tardif. J’ai honte que ces appartements m’appartiennent.” Il dit avoir été atterré par les vidéos montrant les locataires du boulevard Amélie, pataugeant dans plusieurs centimètres d’eau qui coule à flots du plafond. Il a honte mais, lors de leur diffusion, il contestait encore, plaidant que le dégât était dans les parties communes, comme si c’était moins grave. Il a honte désormais et ses accents de sincérité répondent en écho avec les accents encore vibrants de la plaidoirie d’un de ses avocats, Dominique Mattei, ancien bâtonnier.

Le ténor a tenté avec lyrisme parfois de rattraper les erreurs de son propre client, comme de la justice, décrite comme expéditive quand elle maintient en enquête préliminaire un dossier aussi complexe. Ou qu’elle ne fait pas rechercher le coauteur, Faissoili Aliani, menacé de trois ans de prison ferme. Il est absent du procès alors qu’une victime l’a vu au “volant de sa BMW boulevard de Plombières“.

Mais où est l’individualisation de la peine, dans un procès qui est pour ainsi dire borgne.

Dominique Mattéi

L’eau et le feu. Nous sommes prisonniers de ces images“, formule l’avocat, devant l’évidence des films projetés, de l’incendie de la maison du boulevard de la Martine et des inondations de la rue Amélie. “Mais où est l’individualisation de la peine, dans un procès qui est pour ainsi dire borgne“, tempête l’avocat. Un magistrat instructeur aurait peut-être convoqué une expertise psychologique pour sonder son client.

La mégalomanie remonte par bouffée depuis le début de l’audience. Elle revient, encore, quand il espère un partenariat avec l’agence missionnée pour gérer les 21 logements du 85 boulevard Viala, l’association Réseau hospitalité qui a porté assistance aux victimes, également parties civiles. “Un partenariat gagnant gagnant“, avec lui-même, le redresseur de ses propres torts. Le win-win du self made man, saoulé des rêves de machine à cash flow. La novlangue de celui qui se rêvait influenceur ressurgit à l’épilogue de son procès…

Tout ceci paraît bien léger face à la situation d’indignité qu’il a fait subir à la quarantaine de victimes, à la trentaine d’enfants, parfois en très bas âge. Ils se sont succédés à la barre et chaque témoignage a démonté la défense en tangente du multi-propriétaire.

Stratégie de division

Tout part de la “stratégie de division” que Gérard Gallas dit avoir appris en rachetant les parts de la SCI propriétaire d’un immeuble au 179 boulevard Salengro. Les six appartements initiaux deviennent huit, puis 21, jusqu’aux combles, en cours d’aménagement, interrompu par l’enquête de police. Les auteurs de la division se perdent dans le brouillard. Mais le bénéficiaire de la multiplication apparaît clairement : Gérard Gallas a perçu des loyers pour des appartements de moins de cinq mètres carrés. “Je me suis trompé dans l’application de la réglementation”, explique-t-il, maladroitement. Il se fait pourtant péremptoire pour indiquer qu’il peut louer des appartements de neuf mètres carrés, avec une porte-fenêtre comme seul point de lumière naturelle. “J’ai le droit, barre-t-il. J’ai obtenu confirmation auprès des services de la Ville“.

Ces services qui le traquent depuis 2020, pour des arrêtés de péril et des mises en demeure pour insalubrité, apparaissent à l’audience comme des alliés non consentants. Gérard Gallas cite des courriels envoyés par dizaines pour justifier son impossibilité à agir, boulevard Viala, dans des lieux où la violence des gangs nigérians empêche tout chantier.

Mama Sali et les nigérians

Ils sont là néanmoins, ces demandeurs d’asile nigérians, pour venir dire la violence d’Aliani, l’indifférence de Gallas. Ils sont venus dire comment le premier utilisait un terminal à carte bleue pour venir ponctionner le montant du loyer sur leurs allocations délivrées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Les enquêteurs ont établi que les sommes perçues de 2019 à 2021 par Gallas lui-même, sur les deux immeubles de Viala et Salengro, s’élevaient à 220 000 euros. Cela correspond au montant saisi sur ses assurances vie, dont le procureur a demandé la confiscation.

Aurélien Leroux avec un de ses clients nigérians, accompagné d'un interprète. Dessin : Ben8.

En appui à ses dires, Gérard Gallas et ses défenseurs ont convoqué “Mama Sali”, alias Djara Sali, une commerçante de Noailles qui préside l’association Phocéa Solidarité, en même temps qu’elle gérait un magasin de bazar et de cosmétique. Elle pourvoyait en demandeurs d’asile nigérians Gérard Gallas et confirme à la barre qu’une fois “dans les appartements, on ne les reconnaît plus. Ils mettent leur foulard rouge ou bleu et deviennent violents“.

La dame est connue. Marsactu l’a déjà croisé à de multiples reprises au parc Corot où elle louait dans des conditions indignes et s’est rapidement retrouvée dépassée par le squat. Le procureur mentionne deux enquêtes classées, “faute d’éléments caractérisés“. “Il n’y a donc rien contre elle“, coupe la défense. Mais le rapprochement surprend entre ces multi-propriétaires qui, d’un arrondissement à l’autre, trouvent soudain pratique de loger des demandeurs d’asile, dans des taudis impropres à l’habitation.

J’ai fait de la prison, j’y avais plus de confort qu’au boulevard Viala.

Un ancien locataire

Tout était propre quand j’ai acheté les immeubles du boulevard Viala, à l’agence de la Comtesse, soutient Gérard Gallas. J’ai fait les propretés dans les logements déjà loués et refait à neuf les appartements que j’ai divisés.” Mais la cité ouvrière de la Cabucelle présente des appartements minuscules qui étaient déjà à peine dignes au XIXe siècle où les hygiénistes, cités par Aurélien Leroux, avocat des parties civiles, dénonçaient leur état. Lui fait 21 appartements là où il y en avait 16. Sans toucher la surface totale, le toit ou les issues, il s’évite le permis de construire et bâtit à la va-vite.

J’ai fait de la prison, raconte un de ses anciens locataires, Bastien P., avec le débit d’une mitraillette. J’y avais plus de confort qu’à Viala. Au moins dans une cellule, deux hommes peuvent se croiser“. Le 24 janvier prochain, après le rendu du jugement, Gérard Gallas aura peut-être la possibilité de vérifier directement le confort comparé de ces neuf mètres carrés.

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