Marseille ouvre son port aux migrants sauvés en mer : les ONG disent merci mais non merci

Décryptage
le 2 Sep 2020
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En proclamant l'ouverture de son port aux navires humanitaires, la mairie de Marseille s'est invitée dans une crise qui secoue la Méditerranée depuis plusieurs années. Les ONG apprécient la démarche de la ville mais soulignent son éloignement des lieux de sauvetage.

Le MV Louise Michel avant le transbordement de ses passagers vers le Sea-Watch 4. Crédit photo : Louise Michel.
Le MV Louise Michel avant le transbordement de ses passagers vers le Sea-Watch 4. Crédit photo : Louise Michel.

Le MV Louise Michel avant le transbordement de ses passagers vers le Sea-Watch 4. Crédit photo : Louise Michel.

Les bouteilles à la mer voyagent parfois très loin. C’est ainsi à Marseille que les appels de détresse du Louise-Michel ont reçu en premier une réponse. Le 28 août, ce navire de sauvetage ne parvenait pas à trouver un port italien ou maltais où mettre à l’abri les 219 migrants rescapés des eaux méditerranéennes. “Nous ouvrons notre port si [le navire]
en fait la demande. L’Europe et la France s’honoreraient à les secourir”, a annoncé sur Twitter le premier adjoint Benoît Payan, position rapidement confirmée par Michèle Rubirola.

Finalement, c’est à Palerme qu’ils débarqueront, après une première évacuation des 49 plus fragiles par les garde-côtes italiens et un transbordement sur le Sea-Watch 4, autre navire affrété par l’ONG éponyme. Du côté du Louise-Michel, l’équipe d’activistes soutenue par l’artiste Banksy, on accueille cette position marseillaise avec autant de joie que de retenue. “C’est très positif que ce discours d’accueil soit porté politiquement, notamment pour les bénévoles qui sont sans cesse confrontés à des accusations d’être complices des trafiquants, réagit Marie, membre de l’équipe de soutien à terre. Mais ce n’est pas si facile que cela, car au niveau du droit maritime nous dépendons des autorités qui coordonnent les secours.”

Marseille, un port trop loin

Le gouvernement et la préfecture pourraient refuser de coopérer, Marseille devra alors résister.

Michèle Rubirola en juillet 2019.

En réalité, la Ville ne gère aucun port puisque le Vieux-Port comme l’ensemble des ports de plaisance relève de la métropole. Quant au grand port, il est autonome sous la tutelle de l’État. Quant à la décision d’accueil, elle relève encore du niveau national. Sur ce point la règle veut que ce soit le “port sûr le plus proche”  qui accueille les naufragés, comme l’a rappelé le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal, au micro du Grand Jury RTL, Le Figaro, LCI, refusant ainsi d’avaliser la position municipale. Au moment des faits, le Louise-Michel était à plus de 1000 kilomètres de Marseille.

“Nous n’avons pas l’intention de distordre le droit international ou de réduire la longueur des milles nautiques, pose Benoît Payan. Mais quand tout le monde refusait de faire le moindre geste, nous avions le choix de nous en tenir au droit international ou bien de fracturer le silence et l’omerta. Le port est ouvert, quelle que soit la situation, et si les autorités veulent nous arraisonner, nous en prendrons le risque.” Il s’inscrit ainsi dans le sillage de Michèle Rubirola qui, dès juillet 2019, se disait prête à passer outre les compétences institutionnelles dans ce cas de figure : “Le gouvernement et la préfecture pourraient refuser de coopérer, Marseille devra alors résister.”

Mais les ONG semblent réticentes à sortir du cadre international, dont elles dénoncent justement l’absence de respect de la part des États méditerranéens. “Nous tenons aussi à cette définition du port le plus proche, commente Sophie Beau, directrice générale de SOS Méditerranée. Vous ne pouvez pas sillonner la Méditerranée pour débarquer à l’autre bout des personnes vulnérables, qui nécessitent parfois une évacuation médicale en urgences.” D’autant plus que le navire se trouve ainsi éloigné de son théâtre d’opération pendant de longs jours.

Les ONG réticentes à “créer un précédent”

Un long voyage déjà effectué par l’Aquarius en juin 2018. Devant le refus des ports maltais et italiens, le gouvernement espagnol avait accepté de l’accueillir à Valence. Partisanes d’une telle rotation des débarquements, les autorités italiennes s’étaient empressées d’ordonner au navire d’appareiller vers cette destination. “C’était absurde, nous avons dû affronter une tempête en route, escortés par deux navires italiens”, se remémore Sophie Beau. En septembre 2018, dans une contexte similaire, l’association a cependant à nouveau envisagé une solution de repli lointaine : Marseille, son port d’attache. L’idée était alors approuvée par Jean-Claude Gaudin, ainsi que Benoît Payan alors chef de l’opposition, mais refusée par le gouvernement français, toujours au nom de la règle du port le plus proche.

Aujourd’hui, Sophie Beau n’écarte pas une telle option, “en théorie, en cas de blocage total”. “Mais ce serait une distorsion du droit maritime. Accepter cela, c’est problématique, ce serait un précédent”, estime-t-elle. La situation actuelle ne paraît pas si éloignée de ce blocage. “Tout est grippé. Ce ne sont pas que les navires des ONG. Un tanker de la compagnie Maersk attend depuis près d’un mois l’autorisation de débarquer 27 naufragés, c’est du jamais vu !” S’y ajoute “la criminalisation des ONG”, avec la détention administrative qui touche son navire l’Ocean Viking en Sicile.

Après le débarquement, l’accueil se fait flou

souvent, La répartition des candidats à l’asile entre pays retarde l’autorisation de débarquer

Et derrière la question du débarquement, il y a celle de l’accueil, des pays qui s’engagent à prendre en charge le parcours d’étude des dossiers des réfugiés. Souvent, ce sont les négociations au cas par cas sur cette répartition qui retardent l’accord de débarquement. En septembre 2019, la France, l’Allemagne, l’Italie et Malte s’étaient entendues sur une règle automatique. “La crise du Covid a fait exploser le petit mécanisme de répartition qui s’était mis en place”, regrette Sophie Beau.

C’est sur ce terrain que le soutien de la mairie de Marseille est le plus attendu. “C’est important d’avoir le soutien des maires pour créer des conditions d’accueil décentes et il s’agit de la deuxième ville de France, avec un rayonnement important”, note Marie, du Louise Michel. “Il y a une absence de solidarité entre les États qui sont en première ligne [Italie, Malte mais aussi la Grèce et l’Espagne, ndlr] et les autres, avec une instrumentalisation des discours autour de l’immigration. C’est là où l’appel de la mairie peut être intéressant, pour inciter la France à prendre ses responsabilités”, appuie Sophie Beau. Et si “l’examen des demandes d’asile, l’hébergement, c’est encore l’État, il peut y avoir une politique volontariste de la part de la mairie de créer des structures d’accueil.” Un débat miné sur les flux migratoires dans lequel Benoît Payan refuse d’entrer, du moins pour le moment. Le port est ouvert, mais on ne sait pas quel avenir il offre pour ceux qui tenteraient la traversée.

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Commentaires

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  1. Coquelicot Coquelicot

    Quoiqu’il en soit, heureuse que Marseille se soit proposée.

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    • VALMA VALMA

      Oui, moi aussi, et que d’autres suivent !

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    • Julien Vinzent Julien Vinzent

      Bonjour,
      ce cas évoqué dans l’article :
      “S’y ajoute « la criminalisation des ONG », avec la détention administrative qui touche son navire l’Ocean Viking en Sicile.”

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  2. jean jacques chardon jean jacques chardon

    La bonne Maire de Marseille

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    • Jacques89 Jacques89

      Faut juste espérer qu’elle ne formalise pas un “vœu pieux” sans avoir bien bordé le problème avec l’Etat et vus les principes adoptés par l’Ofpra ces derniers temps, cela m’étonnerait. Bref, faudrait pas que ces malheureux se retrouvent sous les ponts de la Joliette ou dans les squats des quartiers Nord. Le retour de bâton risquerait de faire mal et l’image des “naïfs débutants” dure à diluer.

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  3. didier L didier L

    Beau geste en effet reste la suite … quelle prise en charge pour ces personnes démunies, quels moyens réels a la ville qui doit faire face à bien des soucis déjà : écoles habitat, traitement des déchets … la question des migrants est européenne, africaine mondiale, elle ne sera hélas pas réglée à l’échelle Marseillaise. Question l Occident vide déjà Afrique de ses matières premières, le continent peut il espérer se développer s il continue à se vider d une partie de sa jeunesse qui vient en Europe au Canada etc … alimenter les petits boulots précaires Uber, delivero etc … c juste une réflexion, pas politiquement ou humanitairement correcte peut-être mais qui devrait se poser à nous

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