Marseille habitat, satellite municipal sans stratégie ni boussole
La chambre régionale des comptes dresse un bilan sévère de l'activité Marseille habitat, bras armé de la mairie en matière de lutte contre l'habitat indigne. Sur son cœur de métier comme sur la gouvernance interne de la société, le compte n'y est pas.
Un chantier de Marseille Habitat, rue Sénac, en 2012. (Photo : Julien Vinzent)
La publication d’un rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) donne toujours lieu au même registre de verbes d’action. Selon le niveau de sévérité, les magistrats financiers épinglent, étrillent ou éreintent les organismes publics qu’ils contrôlent. Le rapport que la CRC consacre au fonctionnement de la société d’économie mixte Marseille habitat de 2016 à 2021 tient plus de l’objet contondant moyenâgeux à bout piquant, que de la pelote de mercière.
S’il n’offre pas de surprise aux observateurs avisés de la lutte contre l’habitat indigne, le rapport jette une lumière froide sur la gestion des satellites des collectivités locales, ballottés au gré des errements de la politique locale. “Fonctionnements irréguliers“, “importants problèmes de gouvernance“, “organisation interne défaillante“, le rapport tire un bilan sans concession des dernières années de l’ère Gaudin. Mais les problèmes de gestion n’ont pas cessé avec l’arrivée du Printemps marseillais et de la socialiste Audrey Gatian à la tête de la société. Dans sa réponse, cette dernière met en avant l’adoption d’un projet stratégique, présenté en conseil d’administration, le 20 septembre. La CRC reprend notamment à son compte les révélations de Marsactu sur les raisons du départ de Virginie Delormel, l’ancienne directrice.
Passage en revue des principaux points noirs de la gestion de ce bailleur social, bras armé façon moignon inactif de la politique d’éradication de l’habitat indigne.
Les “importantes insuffisances” du conseil d’administration
Créée dans les années 60, la société d’économie mixte (SEM) est détenue à majorité par la Ville de Marseille, la caisse des dépôts complétant le capital. Elle est le principal satellite de la Ville en matière de logement et singulièrement en centre-ville, puisque la SEM s’est fait une spécialité de lutter contre l’habitat indigne en rachetant des biens dans le patrimoine ancien. Pourtant, le caractère municipal de cette entité ne va pas de pair avec un pilotage serré de la part des six élus locaux qui siègent à son conseil d’administration. Au contraire, le directeur général décide de tout ou presque et informe les élus, au mieux, a posteriori, au pire, jamais.
À titre d’exemple, le conseil d’administration ne se réunit pas pendant un an, entre avril 2019 et juin 2020, du fait de la pandémie mondiale, mais aussi parce que les réunions en visioconférence n’étaient pas prévues par les statuts. Le conseil d’administration n’est pas plus réuni dans les moments de crise que connaît l’institution. Et ils ne sont pas des moindres : pas de réunion après le 5 novembre 2018, alors que deux immeubles s’effondrent rue d’Aubagne causant la mort de huit personnes. L’un appartient pourtant en totalité à Marseille habitat. Les administrateurs ne se verront pas plus au moment de la mise en examen de la société dans le cadre de l’enquête judiciaire sur ces mêmes faits.
Et quand le conseil d’administration se réunit, c’est de manière irrégulière puisque les administrateurs ne sont jamais présents en nombre suffisant pour satisfaire les statuts. L’administrateur le plus assidu possède deux actions de la société : il est le seul à venir à tous les conseils. Il préside par ailleurs la commission d’appel d’offres. Le jugement des magistrats de la chambre est à cet égard sans appel :
“Hormis la présidente, présente à tous les conseils d’administration, la présence des administrateurs de la ville de Marseille a été exceptionnelle entre 2016 et 2020. Ainsi, deux administrateurs ne sont jamais venus, ni n’ont donné pouvoir, un autre n’a assisté qu’à deux conseils d’administration sur treize”.
En réponse Arlette Fructus, adjointe au logement de Jean-Claude Gaudin de 2018 à 2020 et présidente de Marseille Habitat sur la même période, met en avant son assiduité sans faille et le fait qu’elle ne peut être comptable de l’absentéisme d’autrui.
De fait, le directeur général a les coudées franches et décide le plus souvent seul. Ainsi, en 2017, le conseil d’administration lui interdit d’intervenir dans de nouvelles copropriétés alors que la SEM se débat déjà avec le parc Bellevue et Kalliste. En 2019, Christian Gil, directeur d’alors, décide pourtant de participer à une nouvelle concession au parc Corot. Les administrateurs découvrent quatre mois plus tard que Marseille habitat est engagé dans le relogement des habitants de cette copro au moins jusqu’en 2028.
Un directeur bénévole pendant plusieurs mois
Même au moment d’acter les conditions de départ du directeur général historique, Christian Gil, de la société, les administrateurs sont mis devant le fait accompli. Ils n’auront pas validé le montant de son indemnité de rupture conventionnelle fixé à six mois de salaire brut “soit près du double de l’indemnité légale“. À partir de cette date, le directeur exerce ses fonctions à titre bénévole alors qu’il a pris la tête d’Habitat Marseille Provence, le bailleur social de la métropole. Il gère donc Marseille habitat en tant que mandataire social “comme une activité accessoire”, ce qui ne manque pas d’étonner la CRC qui souligne qu’il était payé jusque-là 110 000 euros bruts pour gérer de multiples concessions et 3000 logements à plein temps. “La chambre observe que la période d’activité à temps partiel du directeur général a coïncidé avec une nette baisse d’activité de la société en matière d’acquisitions et de production de logements“, souligne le rapport.
Les mâchoires des magistrats ont du mal à se refermer quand ils abordent la situation de sa successeuse, Virginie Delormel. En effet, celle-ci cumule les rôles en étant en même temps directrice générale de la structure et mandataire sociale de l’entreprise. Un cumul irrégulier aux yeux de la chambre qui considère qu’elle était donc en position d’avoir un lien de subordination avec elle-même, “ce qui est impossible dans les faits“.
Mais les irrégularités ne s’arrêtent pas là. Comme Marsactu l’a raconté, Virginie Delormel a signé un avenant à son propre contrat pour reprendre à son compte une bonne part de la charge de travail de la gestionnaire locative, en partance, ainsi que le salaire afférent. Dès lors, elle se retrouve à travailler bien au-delà des 39 heures inscrites à son contrat de directrice. À moins qu’elle n’exerce son activité de directrice exécutive qu’à 45%, sans diminution de salaire… Dans sa réponse à la chambre, Virginie Delormel souligne l’économie réalisée par la SEM grâce à ce cumul.
Les archives disparues de la commission d’attribution des logements
Les irrégularités et dysfonctionnements ne restent pas cantonnés à la seule gouvernance. Ils ont des conséquences directes sur la vie de la société. La chambre relève de nombreuses irrégularités dans la gestion des marchés. Elles touchent également le fonctionnement de la commission d’attribution des logements, un organe clef pour un bailleur social, qui plus est dans un territoire qui connaît de grandes tensions en matière d’accès au logement social.
La chambre a passé au crible le fonctionnement de la commission d’appel d’offres de l’organisme qu’elle qualifie d’“opaque”. Les magistrats ont tenté en vain de mettre la main sur des comptes-rendus d’activité de cette commission de 2016 à 2018. Visiblement, les archives de cette commission ont tout bonnement disparu. Quant aux procès-verbaux des années suivantes, ils sont “sans contenus”. Jusqu’en 2020, comme le souligne la chambre, il ne contenait pas “les informations minimales permettant de sécuriser l’octroi des logements”. Ainsi pour chaque logement attribué, la commission doit examiner trois candidatures, ce qui est loin d’être le cas. Un problème, notamment en cas de refus de l’attribution, ce qui arrive régulièrement compte tenu de la qualité de repoussoir de certaines cités gérées par Marseille habitat comme La Paternelle ou Bassens.
“L’échec” de l’éradication de l’habitat indigne
Une large part du rapport de la CRC est enfin consacrée à une des missions clefs de la SEM : l’éradication de l’habitat indigne, dans le centre-ville de Marseille. Durant plusieurs décennies, au côté de l’autre société d’économie mixte, Marseille aménagement, Marseille habitat portait la politique municipale, puis métropolitaine, en la matière. Or, comme le souligne la chambre, les objectifs très ambitieux fixés en 2012, ont été très largement révisés en 2016, du fait d’une “large impréparation de l’opération de réhabilitation“. La municipalité d’alors avait mal pris en compte le “coût du foncier“, les “travaux très lourds” et une durée de l’opération bien plus longue que prévu… En 2014, Marseille habitat est censé intervenir sur 97 immeubles mais avec une vingtaine de millions au budget au lieu des 86 initialement prévus. Une “refonte complète” que la chambre qualifie de “quasi abandon“.
En 2018, la politique d’éradication de l’habitat indigne connaît une brusque accélération du fait des effondrements de la rue d’Aubagne. La métropole, qui a pris la main, fixe de nouveaux objectifs ambitieux alors que la SEM n’a pas réussi à tenir ceux fixés précédemment. À partir de 2019, la concession est alourdie de 50 immeubles supplémentaires, qui passe ensuite à 40, puis 36. Pour l’essentiel, l’action de la SEM se résume à du portage foncier. Le jugement de la chambre est lapidaire : “Le bilan à fin 2021 de la concession montre de faibles résultats du concessionnaire dont la rémunération n’a pourtant cessé de croître“. Cela ne suffira pas à redresser les finances de la société. Dans sa réponse à la chambre, Audrey Gatian indique qu’une recapitalisation de la société est prévue à très court terme. Elle sera à l’ordre du jour du prochain conseil municipal, en octobre. Elle a également engagé une réforme en profondeur de la société qui prend largement en compte les recommandations de la chambre, avec notamment un retour à la légalité pour la commission d’attribution des logements et des relations entre la direction et les administrateurs.
Actualisation le 22 septembre 2023 à 13 h : ajout d’éléments de la réponse de la présidente de Marseille habitat.
Commentaires
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Cette ville et cette région sont un véritable “pain béni ” pour la CRC . Dès qu’elle “envoie les mains” ,un véritable florilège d’anomalies,de dysfonctionnements, de dérives surgissent.
Mais ce qui est nouveau ce coup ci, et ce qui est flagrant,c’est que sur une même institution deux administrations aient opéré. Conclusion l’équipe Payan ne vaut pas plus que celle de Gaudin .
Itae missa est.
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Hum, je ne lis pas ça dans l’article de Marsactu. Les deux administrations qui semblent incriminées sont la Mairie de Marseille (Gaudin/Vassal) et la Métropole (Vassal/Gaudin). Pour la gestion Payan, qui commence en 2020, l’article nous dit que ” Jusqu’en 2020, comme le souligne la chambre, (le rapport de la commission d’attribution) ne contenait pas “les informations minimales”. ça signifie qu’après 2020, donc à l’arrivée de l’équipe Payan, les rapports de cette commission se sont améliorés.
Pas d’amalgames. Et pas (toujours) du “tous pourris”.
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Avent de commenter, je pense qu’il faut bien lire.
Le rapport porte sur la période jusqu’à 2021
L’équipe Payan n’avait pas vraiment le temps d’agir
A force de tenir ce genre de raisonnement c’est l’extrême droite qui va gagner. Donc réfléchir et bien choisir son camp.
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Que de raccourcis! Comme d’habitude 🤣
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quand la crc aura t’elle un pouvoir de sanction ?
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Certes la municipalité actuelle accumule les bourdes, mais n’oublions jamais ce genre d’héritage, qui plus est lorsqu’il est sérieusement documenté.
En espérant évidemment que le système ait vraiment progressé d’ici le prochain rapport.
+ un grand merci à @Benoît pour l’analyse des 84 pages et ses points saillants :p
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Il y a quand même un élément plus que non négligeable dans ce rapport et plus que survolé dans le compte rendu ,c’est celui de la situation financière d’Habitat 13 qui s’est dégradée depuis 2022 ( l’héritage sans doute) mais donc la CRC souligne l’agravement certain dans les années à venir.Taux d’intérêts, impôts fonciers en hausse,entretien,etc
Les fonds propres ( le capital qui est la garantie pour les organismesfinanciers) sont trop faibles, il va falloir les augmenter ce qui ne prejuge pas une baisse de nos impôts.
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habitat 13 ??que vient faire là cet organisme qui dépend du conseil départemental ?
il s’agit de marseille habitat ici.
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C’est toujours très facile de juger après coup…il y a ceux qui font et ceux qui vous expliquent une fois fini comment il aurait fallu faire.
C’est d’ailleurs souvent le cas des personnes qui n’ont jamais eu de responsabilités et que l’on retrouve ici (dans certains commentaires 😉 ) à critiquer toutes sortes de décisions , notamment politiques.
Je serais très curieux de savoir si la CRC est aussi bien gérée que les administrations qu’elle juge 2, 3, 5 ans après, par des juges assis tranquillement dans leur bureau, sans connaitre le contexte et les contraintes liées à la prise de décision.
Gérer des prestataires pour réhabiliter c’est compliqué, je n’ose même pas imaginer le faire dans l’habitat indigne.
Vous rajoutez tout le fardeau de l’administration et des appels d’offres, au secours !!
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Lisez le rapport, la situation est proprement catastrophique.
Prenez le temps,un monument d’incurie
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Oui en gros les magistrats de la CRC sont des incompétents et n’ont pas su voir tous les bienfaits de l’administration Gaudino-Vassalesque. Ces juges ne font guère qu’être assis dans leur bureaux pendant que les administrateurs de Marseille habitat travaillaient tellement dur qu’ils allaient à la pêche plutôt qu’au conseil d’administration
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oui, Mathilde c., je suis de votre avis :
…”il y a ceux qui font et ceux qui vous expliquent une fois fini comment il aurait fallu faire”.
c’est la spécialité de certains effectivement, ils assènent des propos définitifs, mais n’ont jamais vraiment mis la main dans le cambouis, laissé par la nullicipalité précédente.
par ailleurs, il est frustrant de noter que l’équipe du printemps marseillais met beaucoup de temps sur certains dossiers, qu’on aimerait voir en voie de règlement ou d’assainissement. 3 ans déjà.
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