Marseille, bonne élève de la lutte contre les trafics de stupéfiants ? Pas si sûr
Le gouvernement présentait mardi son nouveau plan de lutte contre les trafics de stupéfiants depuis Marseille. L'occasion pour le ministre de l'Intérieur de se féliciter de chiffres encourageants à Marseille. Un discours qui se heurte toutefois à une réalité plus difficile.
Christophe Castaner à Marseille le 17 septembre.
Mardi, trois ministres et un secrétaire d’État “descendaient” à Marseille, annoncés à la dernière minute, pour présenter le nouveau plan national de lutte contre les trafics de stupéfiants, étrangement nommé “Plan stup”. Marseille comme décor d’une ville rongée par la drogue ? Pas du tout, rétorque Christophe Castaner. Le ministre de l’Intérieur, qui aime à rappeler son attachement à la deuxième ville de France, met au contraire en avant le “laboratoire” et “les résultats” obtenus au cours des dernières années.
Au milieu des annonces nationales portées par les ministres de l’Intérieur, des comptes publics et de la justice, 55 mesures dont la principale est la refonte des services de lutte anti-drogue sous l’égide de l’OFAST, office anti-stupéfiant, venu remplacer l’OCTRIS, fragilisé par plusieurs affaires au cours des dernières années. Pour autant, les membres du gouvernement, Christophe Castaner le premier, n’ont pas oublié d’apporter quelques fiches sur la situation locale.
“Les résultats sont au rendez-vous”
“Marseille est loin de l’image qu’on veut en donner, déroule-t-il. Ici, les règlements de compte sont un problème, évidemment : mais leur nombre est en baisse cette année. Marseille, c’est le laboratoire des initiatives pour la lutte contre les stupéfiants.” Exit les discours sur la “méthode globale” prônée par l’ancienne majorité, le ministre préfère évoquer le dispositif monté en 2015 par le préfet de police d’alors et aujourd’hui secrétaire d’État, Laurent Nuñez. Mais aussi la “première cellule du renseignement opérationnel contre les stupéfiants”, ou CROSS. Une expérimentation qui sert de modèle à une trentaine d’autres cellules du genre dans toute la France. Elles sont à l’image de la nouvelle méthode promue par le gouvernement : le décloisonnement des informations entre acteurs de la lutte contre les trafics. “Et les résultats ont été au rendez-vous : le nombre de trafiquants écroués dans l’agglomération marseillaise a augmenté de 15 % [depuis 2015, ndlr]. C’est toute l’industrie de la drogue à Marseille, qui a été touchée”, s’enthousiasme le ministre.
Parmi les chiffres mis en avant, la baisse des règlements de compte : alors que 38 personnes avaient trouvé la mort dans le département en 2016, le compteur funeste plafonne pour l’année 2019 à 10 décès. Le taux d’élucidation des affaires de stupéfiants est aussi félicité : 69% en 2017. En 2018, 841 affaires ont été menées dans le domaine, avec 1 252 personnes mises en causes, se réjouit encore Christophe Castaner, qui jure pourtant avoir coupé avec “la politique du chiffre”. “L’expérimentation marseillaise a pu porter ses fruits. À Marseille, sur les trafics comme sur la criminalité, ce n’est pas une situation pacifiée, mais une vraie amélioration”, résume le ministre.
“Est-ce que nous aurons enfin des moyens ?”
Mais alors que la conférence de presse touche à sa fin, la communication gouvernementale connaît un cahot inattendu. Une prise de parole inopinée venue des rangs des invités officiels, par la voix d’une magistrate locale, Audrey Jouaneton. Cette dernière n’est rien d’autre que première vice-procureure et cheffe de la section JIRS criminalité et délinquance organisées. Les mêmes JIRS (juridiction interrégionale spécialisée) dont la ministre de la justice Nicole Belloubet a vanté l’intérêt quelques minutes plus tôt, à travers notamment la cellule parisienne, qui servira de relais au niveau national.
“Vous n’êtes pas à Marseille pour rien, c’est une JIRS à part, qui connaît un phénomène criminel sans comparaison, que ce soit pour les trafics de stupéfiants ou sur les règlements de compte, démarre la magistrate, déterminée et sans micro. C’est une lutte qui se gagne sur le terrain et s’il faut donner des moyens, c’est surtout aux JIRS de terrain, qui sont en train de s’essouffler.” La juridiction en question s’étend sur un immense territoire allant de “Perpignan à la Corse”, souligne-t-elle. “Nous faisons tout nous-mêmes, nous ne sommes quasiment pas assistés, est-ce que nous aurons enfin des moyens humains et matériels ?”
Coup de froid sur le “plan stup”. La garde des sceaux, grave, se relève de sa chaise pour donner le change. “Je sais les contraintes qui pèsent sur cette juridiction.” Et de rappeler que son ministère connaît une augmentation de son budget de 20 % sur cinq ans, “ce qui nous a permis de combler presque la totalité des vacances de postes de magistrats”. “Nous avons bien conscience qu’il faudra une attention particulière aux JIRS”, tente-t-elle de rassurer, ajoutant que des recrutements et formations de greffiers et d’assistants sont en cours. Mais là où le ministère de l’Intérieur met 10 millions d’euros sur la table pour le plan, Nicole Belloubet reste timide sur les chiffres.
L’hydre à mille têtes des réseaux
Le constat décrit par la magistrate n’est pas inédit. Depuis plusieurs années, à mesure que les moyens policiers augmentent, la justice spécialisée est à la traîne et dans l’impossibilité de suivre la cadence, comme le détaillait déjà Le Monde en 2017.
Autre trou dans la raquette d’une situation marseillaise que l’on voudrait voir embellie, les chiffres ne disent pas que chaque réseau de revente démantelé est toujours remplacé dès les jours suivants. Une remarque à laquelle les ministres ne peuvent qu’acquiescer. “Il n’est pas vrai de dire qu’on ne démantèle pas de réseaux à Marseille. Mais le sujet, c’est qu’ils se réimplantent. Il faut réoccuper les espaces par des effectifs policiers le temps nécessaire”, répond Laurent Nuñez.
Car tandis que les saisies et les résultats de l’action policière augmentent, le nombre de points de vente et de consommateurs à Marseille est loin de faiblir. Le rapport annuel de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies sur la situation marseillaise (à lire ici), confirme pour l’année 2018, en même temps que des “saisies record”, “un élargissement de l’offre de vente, en particulier de cocaïne, avec de nouveaux points de vente de rue”. Pour ce qui est de savoir pourquoi les Marseillais, comme les Français en général, sont si friands des stupéfiants, pas de réponse. Il manquait à ce panel au moins une ministre, celle de la santé.
Commentaires
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Sur que c’est difficile. En tout cas savoir que l’argent ”sale” sert aux commerçants, aux magasins, bistrots qui se font embellir la façade quand tant de petits commerces peinent à se rénover…
Sans compter que cette monnaie-billets de 500 Euros- se blanchissent au soleil du Vieux Port avec l’éventuelle complicité de certains élu-e-s dont certains journalistes connaissent la corruption. Difficile d’en dire quelque chose quand certains connaissent le gout pour ce sport national qui consisterait à payer l’artisan sans facture.
Allons soyons honnête. Les petits trafics, l’argent ”sale”, les magouilles (un mot pour dire ce qui se fait d’illégal) ne seront persistant si les élus ne nous montrent pas l’exemple.
Marseille n’est pas une République des démocraties du froid type Suède, Norvège…
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com-com-com…
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L’OFAST remplace l’OCTRIS ! 3 ministres et un sous -ministre pour annoncer ça !
Tant qu’à faire, ils auraient pu créer le GRAND Office anti-stupéfiants : GOFAST ! C’était mieux adapté, non. Et à Marseille, on connaît déjà…depuis longtemps !
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