“Marseille a besoin de parler du racisme et des violences policières”

Interview
le 6 Juin 2020
5

Ce mardi, des milliers de Marseillais sont descendus dans la rue à l'occasion d'une manifestation contre le racisme et les violences policières. L'événement s'inscrit dans un contexte international mais n'a eu besoin que d'un petit coup de pouce pour, en moins de 24 heures, remplir de monde la Canebière. Rencontre avec l'une de ses initiatrices, avant une nouvelle marche ce samedi.

Photo : PID
Photo : PID

Photo : PID

Personne ne s’y attendait. Ce mardi, une importante manifestation a rassemblé plusieurs milliers de Marseillais. Dans la foulée du mouvement de protestation contre les violences policières et le racisme survenu après la mort du noir américain Georges Floyd lors d’une arrestation à Minneapolis, les événements se sont multipliés dans les grandes villes du monde entier. En France, l’appel s’est cristallisé autour du cas emblématique d’Adama Traoré, à l’initiative du comité qui suit les procédures autour de la mort de cet homme de 24 ans, là encore suite à son arrestation. Rien n’était prévu à Marseille. Jusqu’à ce que deux jeunes femmes n’amorcent l’étincelle.

L’une d’entre elles a accepté de répondre aux questions de Marsactu. Âgée de 34 ans, Lili préfère qu’on ne la mentionne que par son surnom. Cadre dans une grande entreprise marseillaise, elle souhaite également en taire le nom : “Dans mon service, tout le monde est au courant de mon engagement. Mais pas forcément au niveau de ma hiérarchie, et je vous promets que j’assume déjà beaucoup de choses”, explique-t-elle au téléphone pendant que sa fille finit ses devoirs d’histoire. Tout juste le temps d’une interview, avant la prochaine manifestation, prévue ce samedi, à 19 heures. Rencontre avec une militante lambda qui revendique ses différences.

À quel moment vous êtes vous dit que vous alliez organiser une manifestation à Marseille ?

Je suis afro-descendante, bénévole dans des associations, militante féministe et écologiste. Quand j’ai vu ce qu’il s’est passé aux États-Unis, j’en ai beaucoup parlé autour de moi et les gens font le même constat : les violences policières, la colonisation de la pensée, les délits de faciès… J’ai aussi une sœur trans et noire. Ce sont des questions qui me touchent. Quand j’ai vu l’ampleur que cela prenait, j’ai trouvé ça bien. Jusqu’ici, en France, à Paris, Toulouse, Nantes… Et à Marseille­ : rien !

Je me suis dis que ce n’était pas possible, que les gens d’ici doivent aussi avoir envie de parler de ça, que j’allais quand même pas le lancer moi. La veille, j’ai cherché mais je n’ai rien trouvé. Alors je suis allée sur le groupe Facebook de l’événement national et j’ai vu que Camille posait la question*. Je ne la connaissais pas avant mais on s’est dit, “viens on le lance”.

Photo : Marie Allénou.

Vous attendiez-vous à ce que ce soit un tel succès ?

Absolument pas. Au début on s’est dit “bon, même si on est 15 sous l’ombrière, c’est mieux que rien.” On a crée l’événement la veille à 16 heures et on l’a diffusé auprès de nos contacts. On savait qu’on sortait à peine du confinement, on pensait être un petit groupe, faire juste une petite action. Mais finalement, la manifestation est partie, il y a eu un élan du peuple, une volonté de faire parler de ce sujet.

 

Ce sujet, le racisme et les violences policières donc, comment l’abordez-vous, vous ?

Je n’ai jamais été victime de violences policières sauf peut-être en manifestation. Jamais victime de délit de faciès. Mais je viens des Antilles et j’ai des choses à dire. Je fais partie d’une minorité, je vis dans une système fermé où il faut faire entrer nos voix par n’importe quels moyens. Il faut avoir une réflexion sur ces questions.

On sait aussi que de nombreux délits de faciès dépendent du quartier. J’habite la Plaine et j’en ai ras-le-bol des réflexions, des contrôles. Même si ce n’est rien de forcément choquant. Parce que finalement, ce qui est grave, c’est que ce ne soit même plus choquant.

Je n’ai pas envie que ça arrive à ma fille. Elle est jeune mais elle en a déjà conscience. Son père est blanc et elle lui a déjà dit “regarde papa, ils contrôlent quelqu’un de marron et pas nous”.

Pouvez-vous nous donner des exemples de réflexions, de propos racistes auxquels vous avez été confrontés ?

Je me suis faite arrêter pendant le confinement. Je venais de déposer ma fille chez son père, de qui je suis séparée. Je n’avais pas d’attestation alors j’ai expliqué que la raison pour laquelle je me déplaçais. Le policier m’a répondu “vous n’avez pas une tête a avoir des enfants, ou alors, vous devez en avoir beaucoup”…. J’ai subi des délits de faciès mais là je pense que mon amende est totalement raciste.*

Photo : Marie Allenou

Après, je suis privilégiée sur certaines choses. Je ne vis pas dans un grand quartier populaire, j’ai un poste à responsabilité, je n’ai pas un nom et un prénom qui porte à confusion, je veux dire qui est très français, je n’ai donc pas beaucoup souffert. Mais je me souviens il y a 5 ans*, je faisais des défilés et un jour on m’a dit “tu es belle pour une noire”.

Je suis donc totalement consciente du racisme systémique, ordinaire. Même si je n’en ai pas souffert pour avoir un logement, un travail, ce n’est pas une raison pour ne pas m’en rendre compte quand ça arrive. Et pour moi, ce n’est pas un problème de porter la voix de ceux qui ont rencontré des barrières.

Quel est votre sentiment sur la réception de l’événement à Marseille ?

Au début, on pensait qu’il n’y aurait pas grand monde. Mais on voulait faire une action en soutien à la famille Traoré et pour tout ce qui s’est passé à Marseille. La ville en a besoin. Une troisième personne s’est greffée et l’asso Marseille violences policières nous a aidé à relayer. Le jour de la manif, des militants nous ont félicité. Kamel [Guemari, ndlr] du McDo nous a dit bravo. C’était émouvant de voir ces jeunes déterminés et présents du début jusqu’à la fin.

Photo : Marie Allenou

Je crois que les gens avaient besoin de ça pour parler des violences policières, du racisme. Surtout avec tout ce qu’il s’est passé avec Zineb, Maria, les manif après la rue d’Aubagne… On s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. Ici, on a entendu parler de près ou de loin de l’affaire Traoré. Mais les marches blanches, celle de la colère sont encore fraîches dans les esprits de pas mal de monde.

Et en même temps, personne avant vous n’a pris l’initiative de relayer cet appel, dans une ville marquée entre autres par la Marche pour l’égalité et contre le racisme et la mémoire du meurtre d’Ibrahim Ali…

Pourquoi les collectifs ne l’ont pas lancé ? Ils qui nous ont félicité et ont dit que s’ils n’avaient rien fait c’est que, après le COVID, les plus précaires se sont retrouvés sans rien et qu’ils sont depuis le début de la crise sanitaire engagés dans des collectes pour faire des paniers repas, aider les plus démunis. Cela prend beaucoup de temps et je comprends totalement.

On demande à pléthore de collectifs de se substituer à l’état à cause d’un gouvernement qui ne pense pas aux plus démunis, cela a essoufflé ces collectifs.* Ils sont pourtant au final tous signataires de l’organisation du rassemblement.

Photo : PID

Nous, on a lancé ça comme un apéro sur la plage, sans visée politique mais comme un soutien féministe, écolo, anti-raciste, ce n’est pas la même position. Et on est arrivé à un échange, ça a donné quelque chose de beau. Ce n’est pas parti d’un porte-parole d’un syndicat ou d’un parti mais de gens du peuple. Et finalement, c’est le peuple qui est le mieux placé pour visibiliser le mouvement, pour parler de ça, pour faire la place à des voix qui veulent se faire entendre à Marseille.

*Modifications apportées le 10/06 à 13 H.

Cet article vous est offert par Marsactu
Marsactu est un journal local d'investigation indépendant. Nous n'avons pas de propriétaire milliardaire, pas de publicité ni subvention des collectivités locales. Ce sont nos abonné.e.s qui nous financent.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    Bravo Madame ,je suis de tout cœur avec vous Hélas je ne suis plus assez véloce pour me joindre à vous !

    Signaler
  2. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Il faut saluer énergiquement l’initiative de ces deux jeunes femmes qui ont lancé cette manifestation qui a été un premier succès et saluer aussi tous les participant(e)s qui ont eu le courage de manifester malgré l’interdiction du soi-disant état d’urgence sanitaire (qui aurait plutôt du être déclaré en janvier …).

    Une remarque : le silence des nombreux commentateurs de Marsactu qui interviennent habituellement se taisent. Deux cas de figure possible :
    – certains sont de vieux réacs partisans des violences policières (et ils osent parfois le dire)
    – d’autres qui écrivent sous leur identité ou sous un pseudonyme dont l’identité est connue ont peur de critiquer les violences policières car cela pourrait leur attirer des ennuis. Dans ce cas cela voudrait dire que l’autocensure bride la liberté d’expression qui est censée être garantie dans un état démocratique.

    Signaler
  3. Alceste. Alceste.

    Comment être partisan de violence policière ?
    Si l’on est républicain ou tout simplement humain cela n’est même pas envisageable surtout sous le prétexte d’une couleur de peau, d’une origine ou toute autres raisons qui n’en sont pas sauf à être raciste, c’est-à-dire un(e) abruti(e) total(e). Taper des gens pour ce qu’ils sont est inacceptable et doit être sanctionné pénalement et corrigé par l’éducation dans l’acceptation et la compréhension réciproque de l’autre.
    Une fois posé ce principe indéfectible, il y a un deuxième mot ou plutôt des maux à évacuer de notre quotidien et qui proviennent de l’idée communautariste.D’ailleurs ne parle t’on pas d’une ville de communautés à Marseille.
    Malheureusement la République n’a pas joué son rôle vis à vis des gens originaires d’ailleurs et je suis à peu près convaincu que cela a été fait volontairement. Alors ce qui devait arriver arriva. L’affrontement entre des forces de l’ordre dont certains éléments racistes et des gens exclus de la République et qui se retrouvent face à un symbole de la dites République et qui devrait être irréprochable. La police est républicaine dans son immense majorité et il ne faut pas jeter le bébé et l’eau du bain avec, mais il y a un problème et il faut le régler.

    Signaler
  4. Alceste. Alceste.

    Je souhaite rajouter :d’ailleurs et d’ici.
    Ensuite, se méfier des anti républicains qui n’ont qu’un but détruire la République.
    Mais l’un n’excuse pas l’autre. Ceci est bien clair chez moi

    Signaler
  5. petitvelo petitvelo

    Il faut donner des moyens à la police, des moyens à la justice, des moyens à l’hopital … pour enfin arrêter de couvrir les fautes pour ne pas fâcher parcequ’on a pas donné ces moyens. Les moyens sont-ils seulement financiers ? Sans doute pas, réformer pour désengraisser les pontes de ces institutions permettrait de remettre l’argent au niveau de l’action et de l’investissement d’avenir.
    L’église catholique solde ses comptes doucement, l’Etat français est-il plus conservateur encore ? L’Etat est-il encore libre de réformer ? Fallait-il commencer par les retraites ou par l’hopital, la police et la justice ? L’épidémie a recentré la priorité sur l’intégrité physiques des citoyens, continuons dans cette direction.

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire